Edito

BCE : dépréciation de l’euro, aubaine ou casse-tête ?

01/05/2022
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De prime abord, la forte dépréciation de l’euro semble être une aubaine pour la Banque centrale européenne. Par son effet mécanique sur les prix à l’importation, elle dissiperait les derniers doutes quant à la nécessité de relever le taux de rémunération des dépôts dans la zone euro. Cependant, on peut craindre que l’affaiblissement de la monnaie européenne n’entame la croissance du fait de son impact sur l’inflation et, par conséquent, sur le pouvoir d’achat des ménages. La prudence s’impose donc en matière de resserrement monétaire. Si une hausse du taux de rémunération des dépôts au second semestre semble acquise, le sujet central est celui de l’ampleur et du calendrier des hausses ultérieures. L’évolution des perspectives d’inflation sera à cet égard déterminante.

Les dernières données relatives à la zone euro font ressortir une inflation record et un ralentissement de la croissance du PIB au premier trimestre[1], une combinaison embarrassante pour la Banque centrale européenne (BCE). Face à une inflation élevée et généralisée, l’institution de Francfort est obligée d’agir. De plus, les marchés intègrent d’ores et déjà des hausses de taux de 90 points de base (pb) en 2022[2] mais le fléchissement de la croissance donne aussi aux membres du Conseil des gouverneurs, favorables à une politique monétaire accommodante, un argument pour ne pas précipiter les choses.

Etats-Unis / zone euro : taux de change et écart de taux à 10 ans

Dans une interview récente accordée à Bloomberg[3], Philip Lane, chef économiste de la BCE, indiquait que le premier relèvement des taux n’était pas la question, le sujet central étant celui de l’ampleur et du calendrier des hausses suivantes. La position de la Réserve fédérale américaine est tout autre. La Fed table sur plusieurs hausses de taux dans les prochains mois, dont des relèvements de 50 pb, probablement dès la réunion du FOMC les 3 et 4 mai prochains.

Etats-Unis/zone euro : taux de change et écart de taux à 1 an

Comme on pouvait s’y attendre, la différence de sévérité des resserrements monétaires a provoqué une dépréciation considérable de l’euro face au dollar du fait de l’élargissement des différentiels de taux d’intérêt (graphiques 1 et 2). A priori, pour la zone euro, cette évolution du taux de change doit être considérée comme un élément favorable à la croissance économique, dès lors qu’elle stimule les exportations européennes et limite les importations, mais aussi comme un facteur inflationniste, puisqu’elle renchérit les prix à l’importation.

Philip Lane reconnaît que « la dépréciation de la monnaie jouera un rôle important dans l’élaboration des projections pour le mois de juin », en raison de son effet mécanique sur les prix à l’importation. De ce point de vue, l’affaiblissement de l’euro est une aubaine pour le Conseil des gouverneurs dans la mesure où il devrait faciliter la conclusion d’un accord sur la nécessité de relever le taux de rémunération des dépôts. Cependant, poursuit-il, « lorsqu’on pense aux investissements, à la consommation, aux exportations nettes de la zone euro, il s’agit d’une importante variable macroéconomique et ce mouvement est significatif. »

Cours du baril de brent

L’interprétation de ces commentaires sur les investissements et la consommation est ambigüe. L’inflation est déjà nettement supérieure à l’objectif fixé par la BCE, même en excluant les prix de l’énergie et des produits alimentaires. Ainsi, le recul de l’euro, la hausse des prix à l’importation et, par conséquent, l’augmentation de l’inflation, ne font qu’aggraver la situation des ménages, dont le pouvoir d’achat s’effrite, et celle des entreprises, dont les marges sont mises sous pression. Dans un contexte de choc des prix des matières premières, la dépréciation de la monnaie est particulièrement malvenue (graphique 3) car elle constitue un frein supplémentaire à la croissance.

La prudence s’impose donc en matière de resserrement monétaire. Quoi qu’il en soit, une décision rapide de l’institution de Francfort sur le premier tour de vis monétaire pourrait être bénéfique, à condition qu’elle constitue un facteur de soutien pour l’euro. Une chose est sûre : que l’on considère le fléchissement de l’euro comme une aubaine – par son impact sur l’inflation – ou un casse-tête – par son impact sur la croissance – en matière de politique monétaire il est recommandé de commencer sans tarder à relever le taux de rémunération des dépôts.

[1] L’estimation préliminaire pour le mois d’avril fait ressortir une inflation à 7,5 % (7,4 % en mars) et une accélération de l’inflation IPCH sous-jacente, i.e. hors prix de l’énergie et des produits alimentaires, de l’alcool et du tabac, de 2,9% à 3,5. La croissance du PIB réel s’est établie à 0,2 % au premier trimestre (en glissement trimestriel et en données non annualisées) contre 0,3% au quatrième trimestre 2021. Source : Eurostat.

[2] Source : ECB's Lane say first rate hike is no big deal, cautious on further moves, Reuters, 29 avril 2022.

[3] Interview accordée à Bloomberg Television le 29 avril 2022.

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