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Hongrie : Recalibrage monétaire et budgétaire

17/01/2023
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L’activité économique s’est affaiblie au troisième trimestre. Les perspectives restent sombres à court terme. Depuis septembre dernier, la Banque centrale a mis fin à son cycle de resserrement monétaire face aux risques baissiers pesant sur la croissance. Cette politique est actuellement peu compatible avec la trajectoire de l’inflation. Par ailleurs, la politique budgétaire s’est durcie dès le second semestre en raison de la nette dégradation du déficit budgétaire. Le blocage des fonds européens par l’Union européenne en 2022, privant les autorités hongroises d’une source de revenus, a sans doute pesé dans leur décision. Ce recalibrage limite, certes, le soutien à la croissance, mais renforce la crédibilité de la politique budgétaire.

Prévisions de la Hongrie

Au troisième trimestre, le PIB a reculé de 0,4% par rapport au trimestre précédent après une performance relativement solide au premier semestre (+1,6% et +0,8% respectivement au premier et deuxième trimestre).

Pourtant, contrairement aux pays voisins, la confiance des entreprises ne s’est pas dégradée au cours des derniers mois en dépit des contraintes d’approvisionnement et de la hausse des prix des matières premières. Malgré une inflation plus forte et une politique monétaire plus restrictive, la progression de la consommation et de l’investissement est restée positive. La demande intérieure s’est contractée au T3 principalement en raison d’une forte contribution négative des stocks.

L’activité industrielle a plutôt bien résisté soutenue également par les exportations. Toutefois, les industries énergivores sont lourdement affectées par l’alourdissement de la facture énergétique. Les autres segments, tels que l’industrie plastique et les transports sont aussi en perte de vitesse.

Ralentissement dans les mois à venir

Hongrie : compte courant et flux de capitaux

La consommation va sans doute s’affaiblir à court terme pour plusieurs raisons. En premier lieu, les ménages voient leur pouvoir d’achat diminuer (les salaires réels ont baissé de 7% entre avril et septembre). Le marché du travail est devenu moins dynamique avec un taux de chômage en légère hausse. Il s’est établi à 4,1% en novembre contre 3,1% en juin 2022.

Par ailleurs, les effets des aides de l’État en faveur des ménages au premier semestre vont s’atténuer. Enfin, la suppression du gel des prix sur les carburants, d’abord pour les foyers aisés, puis généralisée à l’ensemble des ménages en décembre dernier, va peser sur le budget de ces derniers. D’ailleurs, les ventes au détail s’essoufflent déjà, progressant à 2,6% en rythme annuel en octobre-novembre contre 4,0% en septembre.

Les autres moteurs de la croissance devraient s’affaiblir. Le ralentissement attendu de l’économie mondiale cette année, le choc énergétique et les incertitudes liées à la guerre en Ukraine conduiront sans doute au report des projets d’investissements. La demande en provenance des principaux partenaires commerciaux de la Hongrie, notamment l’Allemagne, sera sans doute plus faible. Au total, nous anticipons une croissance légèrement négative en 2023.

Politique monétaire moins restrictive

L’an dernier, le resserrement monétaire a été particulièrement marqué en Hongrie. La Banque centrale a relevé son taux directeur de 1010 points de base (pb) en cumul en 2022. À titre de comparaison, l’ampleur a été plus modérée dans les autres pays de la région, soit + 450 pb en Pologne, +550 pb en Roumanie et +470 pb en République tchèque. En septembre dernier, les autorités monétaires hongroises ont cependant mis fin au cycle haussier de leur taux directeur en raison des risques baissiers liés à la croissance. D’autres outils, tels que les taux de dépôts et taux prêteur au jour le jour ont été privilégiés pour la conduite de la politique monétaire. Face aux pressions baissières sur le forint hongrois en octobre dernier, le taux de dépôts au jour le jour a été relevé à 18%. De même, le taux prêteur a été porté à 25%.

L’orientation vers une politique moins restrictive pourrait retarder la lutte contre l’inflation en 2023.

Hongrie : inflation et taux directeur

Dans la région, la Hongrie fait partie des pays les plus touchés par les pressions inflationnistes. À 23,1% en g.a. en novembre 2022, l’inflation restera élevée à court terme en raison de i/ la suppression du plafond sur certains prix à la pompe en décembre ; Ii/ les effets de la forte dépréciation du forint de l’an dernier et iii/ les pressions salariales importantes.

La hausse des prix de l’énergie qui s’était quelque peu atténuée ces deux derniers mois (avec une contribution de 3,1 points à l’inflation globale en novembre) pourrait ainsi réaccélérer dans les mois à venir. De même, pour les prix des produits alimentaires et des boissons alcoolisées/non alcoolisées qui ont très fortement contribué à l’inflation (à hauteur de 10,9 points en 2022).

Accord de dernière minute sur les fonds européens

En 2022, L’UE a bloqué les fonds européens liés au plan pour la relance (EUR 5,8 mds) ainsi qu’aux fonds de cohésion dans le cadre du Budget européen sur la période 2021-2027 (EUR 21 mds). Finalement, un accord de dernière minute a été conclu entre les autorités hongroises et l’UE fin décembre. Toutefois, le décaissement des fonds ne se fera pas dans l’immédiat car il est conditionné à l’adoption et la mise en œuvre de nombreuses réformes. Par exemple, l’UE a imposé 27 étapes en matière judiciaire, d’audit et de lutte contre la corruption avant que les fonds soient versés.

Le blocage des fonds européens a constitué un sérieux défi face à la dégradation des comptes publics et extérieurs. Les autorités ont réagi en durcissant leur politique budgétaire. Cette orientation renforce la crédibilité de la politique budgétaire même si la marge de manœuvre pour soutenir la croissance devient plus limitée. Quant aux comptes extérieurs, les préoccupations portent sur le financement du déficit courant. L’an dernier, en l’absence des fonds européens, l’écart a été comblé en partie par la dette et par les flux d’investissements directs étrangers.

Poursuite de la consolidation budgétaire

Sur le plan budgétaire, les mesures généreuses d’avril dernier ont fortement creusé le déficit qui a atteint 4,6% du PIB en juin 2022. Celui-ci s’est rapidement rapproché de l’objectif initial de 4,9% pour l’ensemble de l’année. En réaction, le gouvernement a coupé dans les dépenses, notamment d’investissement, dès le deuxième semestre 2022 dans un contexte où les fonds en provenance de l’Union européenne ont été bloqués. L’introduction d’une taxe temporaire sur les profits exceptionnels des entreprises a généré des recettes supplémentaires et les réformes sur les subventions énergétiques entrées en vigueur depuis le 1er août ont permis de réaliser des économies.

Pour 2023, les efforts en matière de consolidation budgétaire devraient se poursuivre. Le gouvernement vise à ramener le déficit à 3,9% du PIB même si cet objectif semble a priori optimiste.

Le financement du déficit ne pose pas de problème majeur mais le coût sera plus élevé car les taux d’intérêt à 5 ans et à 10 ans ont fortement augmenté et les fonds européens ne sont pour l’instant pas accessibles. Le renchérissement du coût de la dette reste gérable dans la mesure où la charge d’intérêts rapportée aux recettes est très faible : 5,7% en 2021.

La dette publique devrait avoisiner 60% du PIB ces deux prochaines années. Son profil s’est amélioré ces dernières années avec une forte baisse de la proportion libellée en devises étrangères (de 21 % du total en 2021 comparé au pic de 51 % en 2011).

La dégradation des comptes extérieurs est gérable

Le solde courant a rebasculé dans le rouge en 2019 après plusieurs années d’excédents. Cette détérioration s’explique par un creusement du déficit commercial. En 2022, le choc énergétique ainsi que l’envolée des prix des biens alimentaires ont aggravé le déficit courant estimé à -6,8% du PIB en 2022 après -4,2 % en 2021.

Le déficit n’a été financé qu’en partie par la composante stable des flux de capitaux, notamment par les investissements directs étrangers (IDE). Sur les 9 premiers mois, ces derniers ont atteint EUR 2,6 mds, couvrant ainsi 23% du déficit attendu en 2022. Malgré cela, les réserves de change ont continué de se redresser pour atteindre EUR 38,7 mds fin décembre. Les IDE, en général résilients pendant les crises passées, devraient se maintenir cette année. Par ailleurs, le déficit courant va probablement s’atténuer en 2023 en raison de la relative détente des prix de l’énergie et des biens alimentaires sur les marchés mondiaux de matières premières. La date du versement des fonds européens reste néanmoins un facteur d’incertitude.

Achevé de rédiger le 13 janvier 2023

Cynthia Kalasopatan

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