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19/01/2022
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Gabriel Boric a remporté le deuxième tour de l’élection présidentielle en décembre dernier. Il prendra ses fonctions à la mi-mars et les défis qu’il affrontera au cours de son mandat seront nombreux. Le nouveau gouvernement devra composer avec une assemblée fragmentée et des attentes populaires très fortes. La croissance économique devrait ralentir avec le retrait progressif des mesures exceptionnelles de soutien. Bien que la population soit très largement vaccinée, l’activité pourrait être fragilisée par de nouvelles vagues de contaminations et les restrictions qui y seraient associées. Enfin, consolider les finances publiques tout en répondant aux promesses de réforme des systèmes d’éducation, de soin et de retraite s’annonce comme la principale difficulté.

Élection sous tension

Le 19 décembre dernier, Gabriel Boric, candidat de la très large coalition des partis de gauche, a remporté le second tour de l’élection présidentielle face à J. Kast, candidat d’extrême droite. Il a remporté 56% des suffrages exprimés, avec un taux de participation de 55%, un record depuis la fin du vote obligatoire en 2012. Au premier tour, fin novembre, le taux de participation avait été de 46%.

Prévisions

Le nouveau gouvernement entrera en fonction le 11 mars prochain. La tâche s’annonce particulièrement délicate pour le président élu et les difficultés seront amplifiées par l’évolution de la situation sanitaire au niveau mondial. Bien que la population soit largement vaccinée (à ce jour plus de 80% de la population a reçu deux doses de vaccin, et près de 60% a reçu une troisième dose), le pays reste fragilisé par la survenue de potentielles nouvelles vagues de contaminations (qui pèseraient sur la demande interne, le secteur du tourisme, les exportations).

En outre, la stabilité politique et sociale du pays s’est nettement dégradée depuis les violentes manifestations de l’automne 2019. Surprenant par leur ampleur et leur durée, celles-ci ont regroupé un large éventail de revendications, parmi lesquelles la frustration créée par la montée des inégalités et l’opposition aux réformes proposées par le gouvernement Pinera sur l’accès aux soins et le système de retraites.

La crise économique et sanitaire a d’ailleurs exacerbé la fragilité du système de santé et de protection sociale, en grande difficulté malgré le soutien massif apporté par les autorités au cours des deux dernières années. Les attentes populaires ont été renforcées d’autant.

Dans le même temps, le processus de rédaction de la nouvelle constitution (qui devrait s’achever d’ici la fin 2022) et les débats qui lui sont associés, centrés sur les mêmes sujets (éducation, système de santé…), amplifient la pression exercée sur le nouveau gouvernement, avant même son entrée en fonction. L’indépendance de la banque centrale et son mandat (un objectif de croissance et/ou d’emploi pourrait être ajouté à l’inflation, à l’image du mandat de la Fed) feront également l’objet de discussions.

Indices d'activité mensuelle
Déficit et dette publics

Conditions peu favorables

Enfin, la mise en place de la politique économique et sociale du nouveau gouvernement s’avère déjà délicate. La composition du nouveau Congrès (élu fin novembre, au moment du premier tour de l’élection présidentielle) n’est pas franchement favorable au gouvernement de G. Boric : aucune majorité ne s’est dégagée au Sénat, et la coalition de gauche ne disposera que d’un avantage de deux sièges (sur 155) à la Chambre des députés.

Une telle situation permet certes de prévenir un changement radical de la politique économique, comme le craignaient pourtant certains analystes (le cours de Bourse a perdu plus de 6% le lendemain de l’élection). Mais elle risque de compromettre toute possibilité de réforme structurelle d’ampleur, puisque de nombreuses discussions et très certainement des compromis seront nécessaires au gouvernement pour les faire appliquer. Il est très probable que le climat politique et social reste tendu tout au long du mandat et que les changements soient bien moins radicaux qu’escompté.

Parallèlement la croissance devrait très nettement ralentir. Le PIB devrait avoir progressé de près de 11% en 2021, grâce (outre les effets de base) au soutien massif des autorités (comme en 2020) et la hausse du prix du cuivre. Mais l’autorisation accordée (à trois reprises) aux bénéficiaires de puiser dans leur épargne retraite a stimulé la consommation de façon artificielle. le PIB ne devrait progresser « que » de 2,5% cette année, avec le retrait progressif des mesures exceptionnelles de soutien à la croissance et un environnement international incertain.

C’est dans ce contexte difficile que le gouvernement prendra ses fonctions au mois de mars prochain. Les détails de son programme ne sont pas encore connus, mais le nouveau président souhaite trouver un « juste équilibre » entre le besoin de réformes en faveur de plus de justice sociale et le rétablissement de « conditions favorables » à plus d’investissement et de croissance, tout en restant « fiscalement responsable ».

Autrement dit, G. Boric semble vouloir répondre aux fortes attentes de la population et, pour cela, lancer plusieurs réformes de grande ampleur. Mais il lui faut conserver la confiance des investisseurs, des agences de notation et du FMI, confiance mise à mal par la crise politique, les retraits d’épargne retraite et leurs conséquences économiques et fiscales à moyen et long terme.

Pour rappel, le Chili est un des rares pays disposant d’une ligne de crédit modulable auprès du FMI, ce qui lui fournit une garantie précieuse permettant de renforcer la confiance des marchés en période d’accentuation des risques. Le Chili dispose de cette ligne de crédit depuis mai 2020.

Objectifs trop ambitieux ?

Les nombreuses ambitions du nouveau gouvernement paraissent difficilement réalisables (et compatibles) au regard des contraintes budgétaires. Dès la fin de la campagne, G. Boric a annoncé qu’il souhaitait augmenter fortement les dépenses publiques, avec le double objectif de nettement améliorer le filet de protection sociale et d’entamer une « transition verte » (volontairement « agressive »), tout en mettant en place un processus de consolidation budgétaire.

Le président s’est également engagé à mener une politique « fiscalement responsable », qui permettrait dans un premier temps de ramener le déficit public de 7,6% du PIB en 2021 à moins de 4% du PIB en 2022. Il entend donc respecter l’objectif fixé par la loi de budget 2022 (à 3,9% du PIB) proposé par le gouvernement sortant.

D’après les annonces, la réduction du déficit devrait ensuite se poursuivre tout au long du mandat, pour revenir à un niveau comparable à celui d’avant la crise (entre 2015 et 2019, le déficit public était en moyenne inférieur à 2,5% du PIB). L’objectif est de stabiliser le ratio de dette, encore modéré (35% du PIB fin 2021) mais en hausse continue depuis plus de dix ans, afin de le contenir en deçà de 45% d’ici la fin du mandat.

Poursuivre la consolidation budgétaire, tout en augmentant significativement (et de manière pérenne) les dépenses, nécessitera donc une hausse substantielle et permanente des revenus. Les hypothèses de travail du gouvernement reposent sur une augmentation des revenus de 5 points de pourcentage (pp) du PIB d’ici la fin du mandat, (les revenus représentaient 21,5% du PIB en moyenne entre 2015 et 2019) via des hausses d’impôt sur les entreprises, la mise en place d’un impôt sur la fortune et de nouvelles « taxes vertes », des royalties sur les compagnies minières privées, et une réduction significative de l’évasion fiscale et des exemptions. Or, il paraît peu probable que le gouvernement parvienne à faire adopter les mesures ou réformes nécessaires pour y parvenir (concernant aussi bien les dépenses que les revenus).

G. Boris a, en outre, récemment précisé que chaque augmentation de dépense pérenne devrait être précédée par une augmentation de revenus. Michelle Bachelet avait elle-même proposé en 2014 une réforme fiscale projetant une augmentation des revenus de 3 pp au cours de son mandat. En 2018, les revenus avaient finalement augmenté de 1,4pp (par rapport à 2014).

Concernant le système de retraites, l’une des réformes les plus attendues, le nouveau gouvernement pourrait (d’après les propositions faites lors de la campagne) chercher à réformer totalement mais progressivement le système existant. Trois grandes étapes sont envisagées. Premièrement améliorer et renforcer le « pilier de solidarité » en créant un minimum retraite universel (d’un montant supérieur de plus de 30% au minimum retraite existant, qui n’est pas universel actuellement). L’augmentation des dépenses correspondante (estimée à un montant équivalant à 2,5% du PIB) devrait être compensée par le supplément de revenus généré par la réforme fiscale.

Deuxièmement, les contributions des employeurs augmenteront progressivement (de 10% du montant du salaire actuellement à 16% à la fin du mandat). Enfin, un nouveau fonds de retraite public devrait être créé pour se substituer progressivement aux fonds de pension privés existants.

Achevé de rédiger le 14 janvier 2022

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