La banque
d’un monde
qui change
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à celle établie par Bonis, Ihrig et Wei (2017) , le processus de
■ Flux et reflux
normalisation du bilan de la Fed entrainerait, d’ici à fin 2020, une
hausse d’une soixantaine de points de base de la prime de
terme à dix ans. L’effet s’entend, à nouveau, toutes choses
égales par ailleurs. Il peut se combiner avec d’autres. L’influence
des anticipations de taux à court-terme est bien entendu
prépondérante. Or sur ce terrain, le risque apparaît également
haussier.
Président de la Réserve fédérale américaine de 2006 à 2014, Ben
Bernanke est aussi l’un des meilleurs connaisseurs de la mécanique
dépressive des années 1930. Auteur de plusieurs essais sur le sujet,
il sait que la liquidation désordonnée des dettes peut conduire au
chaos ; et que, pour l’éviter, la Banque centrale doit pouvoir assumer
pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort, quitte à user d’outils
peu conventionnels. Ce qui fut fait dès le déclenchement de la crise
financière de 2008, lorsque, sur un marché devenu illiquide, la Fed
s’est mise à prendre en garantie, puis à acquérir, des titres adossés à
des actifs hypothécaires (Mortgage-backed securities, MBS).
Différents programmes et autant de sigles furent créés, qui
contribuèrent à faire décoller le bilan de l’Institution. Le PPAD
Il existe en effet un certain décalage entre les attentes du
marché, assez conservatrices, et les projections de la Fed, plus
«
agressives ». En retenant un taux d’inflation anticipé de 2%,
qui correspond aussi bien à l’objectif officiel qu’au taux des
swaps indexés à dix ans, le taux réel d’équilibre visé par les
membres du Comité fédéral de l’open market (FOMC) ressort à
(
Planned Purchases of Agency Debt) et le TABSLF (Term Asset-
Backed Loan Facility) sont mis en place dans le courant de l’automne
2008. Ils nourrissent une première vague de rachats de dette, celle
émise ou garantie par les agences hypothécaires, et consacrent le
quantitative easing (QE) en tant que nouvel instrument de la politique
monétaire aux États-Unis. D’autres programmes suivront. En
novembre 2010, la Fed annonce un "QE2" et étend ses achats aux
obligations du Trésor américain. Elle déclenchera l'opération "twist"
consistant à allonger la maturité de son bilan en septembre 2011, puis
un "QE3" en septembre 2012. Au total, de septembre 2008 à octobre
0
,8%, tandis que celui anticipé par les marchés se situerait 40 à
4
50 points de base au-dessous .
Au total, et pour peu qu’elle ne dévie pas de sa feuille de route,
la politique monétaire américaine contribuerait à faire remonter
d’une centaine de points de base les taux d’intérêt dans les
deux ans. L’inversion de la politique quantitative favoriserait la
réapparition de la prime de terme, et la hausse du taux objectif
des fonds fédéraux la normalisation des anticipations de taux
courts.
2
014 (fin du QE3), la Fed aura fait l’acquisition de quelque USD 3.500
mds d’actifs et multiplié par cinq la taille de son bilan. Au 20
septembre 2017, elle détient USD 4.511 mds d’actifs, dont USD 2.465
mds en obligations du Trésor américain (18% de l’encours
négociable) et USD 1.776 mds en MBS (20% de l’encours total).
Cause et conséquences
C’est à Mme Yellen, à la tête de la Fed depuis 2014, que revient la
lourde tâche de la normalisation. En juin 2017, le processus de
réduction de la taille du bilan de l’institution qu’elle préside a été
détaillé. A compter d’octobre 2017, la Fed imposera des limites dans
les montants qu’elle réinvestira à échéance, qui correspondront à
autant de ventes nettes de titres. La feuille de route est la suivante :
Pourquoi freiner alors que la tendance inflationniste (1,7% par
an en août, hors alimentation et énergie) reste sous l’objectif
officiel, et que l’économie n’a toujours pas retrouvé son
potentiel ? Une explication possible est que la Réserve fédérale
s’emploierait désormais à réduire le risque d’instabilité financière.
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- La détention de Treasuries sera réduite d’un montant maximum de
USD 6 mds par mois, plafond qui sera augmenté tous les trois mois
par palier d’USD 6 mds, pour atteindre USD 30 mds par mois au bout
d’un an.
Cette préoccupation première est normalement l’apanage de la
politique macro-prudentielle. Elle est toutefois de plus en plus
présente dans les débats du FOMC depuis la crise (voir Peek,
6
Rosengren, Tootell, 2017 ). Si elle n’est pas au cœur de la
-
La détention de MBS sera réduite d’un montant maximum de
politique monétaire, elle peut l’influencer.
USD 4 mds par mois, plafond augmenté tous les trois mois par palier
d’USD 4 mds, pour atteindre USD 20 mds par mois au bout d’un an.
L’arme des taux d’intérêt permet en particulier à la Fed de cibler
les entités non bancaires (fonds d’investissement ou d’arbitrage,
Sauf “détérioration substantielle” de la conjoncture économique, la
réduction en rythme de croisière de la taille du bilan atteindra donc un
maximum de USD 50 mds par mois dès la fin de 2018, ce qui porterait
la taille du bilan de la Fed aux alentours de USD 2.800 – 3.000 mds
fin 2020.
«
trusts »…) sur lesquelles elle a moins d’emprise mais qui
3
4
Ibid.
Chiffres estimés en septembre 2017. Le taux réel de la Fed dérive de la
Encadré 1
Source : Réserve fédérale
médiane des projections à long terme du taux des fonds fédéraux (2,8%), de
laquelle est retranchée la cible d’inflation (2%). Il ressort donc à 0,8%, alors
qu’il était plutôt proche de 2% avant la crise et retenu comme tel dans la
règle de Taylor. Voir par exemple Brainard, L. (2015) « Normalizing
Monetary Policy When the Neutral Interest Rate is Low », Remarks at the
Stanford Institute for Economic Policy Research, December.
La moyenne des rendements à 10 ans des Treasuries en septembre 2017
ressort à 2,20%, avec une prime de terme associée (dérivée du modèle de
Kim & Wright) calculée à -0,24%. Cela situe le taux à court terme anticipé
sur longue période à 2,44%, soit 0,44% en termes réels (toujours pour une
inflation anticipée à 2%).
peuvent avoir de plus en plus recours à l’emprunt pour financer
leurs activités. Le fait est que les prêts à effet de levier
connaissent une expansion rapide ces derniers temps. D’après
les estimations de la Banque des règlements internationaux
(BRI), ceux consacrés aux achats d’actions marquent de
nouveaux records aux Etats-Unis. Ils dépassent les pics atteints
en 2005 ou lors de la bulle internet de la fin des années 1990, et
7
alimentent la hausse des cours (voir graphique 2 et BRI, 2017) .
Sur le compartiment de la dette d’entreprise, ils concourent à
5
Rappelons que le système de la Réserve fédérale a été précisément créé
en 1913 pour promouvoir la stabilité financière. Voir
https://fraser.stlouisfed.org/docs/publications/books/fra_owen_1919.pdf
7
La dette de marge nette sur les marchés d’actions, soit la différence entre
les soldes créditeurs au comptant et sur marge consacrés aux achats
d’actions moins la dette de marge, atteignait un record de USD 254 mds en
août 2017. Voir Banque des règlements internationaux (BRI), Revue
trimestrielle, Septembre 2017.
6
Peek J., Rosengren E., Tootell G. (2017) « Should U.S. Monetary Policy
th
Have a Ternary Mandate? », Contribution to the 59 Economic Conference
of the Federal Reserve Bank of Boston, October.
economic-research.bnpparibas.com
Jean-Luc Proutat
19 octobre 2017
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