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Tirer parti d’un environnement favorable

15/04/2021
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Le pays a relativement bien passé le cap de l’année 2020, nonobstant la récession due à la Covid-19 et le tarissement des entrées de capitaux privés. Avec l’amélioration des termes de l’échange, l’excédent courant a suffi à équilibrer la balance des paiements. L’Ukraine a su bénéficier des progrès réalisés ces dernières années dans la gestion des comptes publics pour obtenir le soutien des bailleurs internationaux. Les défis à venir seront le retour des capitaux, tant privés qu’officiels, et la mise en œuvre des réformes attendues pour favoriser l’investissement et élever le potentiel de croissance. Il sera également important de poursuivre les réformes du secteur bancaire, visant à sa consolidation et à l’amélioration du cadre prudentiel et de supervision.

L’équation des besoins de financement semble bouclée

Confrontée à un choc massif, l’économie ukrainienne a fait preuve d’une résistance inhabituelle. Ses réserves de change ont même augmenté en 2020 alors que les entrées de capitaux privés s’interrompaient. C’est un phénomène nouveau dans l’histoire du pays, qui a contribué à ce que la période de la Covid-19 soit mieux franchie que les crises antérieures (2008 ou 2014).

PRÉVISIONS

Même si le pays n’a pas échappé à la récession et que les comptes publics se sont détériorés, il a réussi à équilibrer sa balance des paiements au-delà du soutien des bailleurs internationaux. Le solde courant est passé d’un déficit de USD 4,1 mds en 2019 à un large excédent de USD 6,6 mds (amélioration de près de 11 mds). Cette amélioration a compensé le manque à gagner des flux nets de capitaux privés entre 2019 et 2020, qui se sont détériorés du même montant. En parallèle, les décaissements des institutions financières internationales se sont limités à USD 3 mds, nets des remboursements effectués au titre de prêts antérieurs.

L’amélioration des termes de l’échange et la structure par produits des exportations ont joué un rôle primordial dans l’évolution du solde courant. Le repli des exportations a été limité à 2% quand les importations baissaient de près de 11%, en partie en raison de la baisse du cours du pétrole. Les exportations ont bénéficié au 1er semestre 2020 de la forte demande de produits agricoles (céréales notamment). Ensuite, le rebond de l’industrie, observé partout en Europe à partir du second semestre 2020, a entraîné un fort rebond des exportations d’acier en volume et plus encore en valeur sous l’effet de l’envolée des prix.

Cependant, le fragile équilibre de la balance des paiements reste un sujet important pour 2021. L’excédent courant devrait se réduire, sous le poids de la baisse des exportations de céréales (baisse des volumes) et du rebond du prix du pétrole. Par ailleurs, même si les capitaux privés reviennent, ils seront en partie compensés par des remboursements de dette relativement conséquents arrivant à échéance, avec notamment USD 4 mds au 3e trimestre. Dans ce contexte, le pays a besoin de continuer à bénéficier du soutien financier du FMI.

Or, un décaissement incomplet des USD 3 mds prévus pour 2021 est possible, avec déjà un retard pour la tranche de février. Sachant que le pays doit rembourser USD 1,5 md au FMI, le décaissement net pourrait être limité. Toutefois, la perspective d’une allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI pourrait plus que combler ce manque à gagner : considérant la quote-part de l’Ukraine au FMI, près de USD 4 mds pourraient lui échoir (sans compter que des pays avancés pourraient renoncer à leur allocation au profit de pays émergents). Cela faciliterait l’équation des besoins de financement et augurerait d’une nouvelle progression des réserves de change ukrainiennes.

Si les décaissements du FMI reprennent comme prévu et que l’attribution des DTS intervient rapidement, l’appréciation modérée de la hryvnia (UAH) depuis le début de l’année pourrait se poursuivre malgré un différentiel d’inflation croissant. En effet, l’inflation s’est accélérée à 7,5% en g.a. en février 2021 (contre 2,6% encore en octobre 2020), principalement en raison des prix de l’alimentation, de l’électricité et du gaz. La politique monétaire pourrait être durcie au-delà de la hausse de 50 points de base (pb) déjà mise en œuvre début 2021 (à partir d’un plus bas historique de 6%).

TERMES DE L’ÉCHANGE (PRIX À L’EXPORT SUR PRIX À L’IMPORT) : ÉVOLUTION A/A

Poursuivre les réformes bancaires

L’assouplissement de la politique monétaire au 1er semestre 2020 (-500 pb) avait en effet permis de faire baisser les taux d’intérêt octroyés par les banques vers des plus bas historiques. Cet élément a permis de soutenir la croissance du crédit en 2020, au-delà des mécanismes préexistants de prêts subventionnés (programmes dits
« 5-7-9 ») qui, bien qu’élargis, ont représenté simplement 0,5% du PIB. Le crédit bancaire au secteur privé non financier a ainsi augmenté de 9% à périmètre constant (voir explication dans le paragraphe suivant).

Pour autant, ce retour à une croissance des prêts dans un contexte de récession suggère de nouvelles créances douteuses à venir, que les banques ont provisionnées. Ce contexte a conduit la banque centrale à introduire différentes mesures. Elle a prorogé en 2021 un plan qui avait conduit à restructurer 10% des prêts à la consommation et 7% des prêts aux entreprises en 2020. Elle devrait imposer le durcissement de 100 à 150% de la pondération des risques associés aux prêts à la consommation. La convergence vis-à-vis des règles de Bâle et de l’Union européenne devrait reprendre après une pause en 2020. Enfin, une revue de la qualité des actifs et un exercice de stress test devraient concerner les 30 principales banques.

Ces règles plus strictes apparaissent nécessaires. En effet, le système bancaire a généré par le passé un volume conséquent de créances douteuses, qu’il met du temps à effacer. Ainsi, en 2020, les banques ont continué de restructurer les créances douteuses apparues en 2015-16. Ces dernières représentaient encore 41% des prêts en fin d’année contre 48,4% en 2019. De plus, le taux de recouvrement final reste faible (9% d’après la Banque mondiale).

La réduction de l’occurrence d’une créance douteuse et l’efficacité de sa restructuration sont au cœur des réformes judiciaires que le gouvernement souhaite mettre en place, afin d’améliorer la transparence financière et la sécurité juridique des financements octroyés. Ces réformes font partie également des conditions requises par le FMI pour octroyer la prochaine tranche d’aide à l’Ukraine. La difficulté à les faire adopter explique le retard dans le versement de la tranche de février 2021 du prêt accordé à l’Ukraine.

Libérer la contrainte financière pesant sur les finances publiques

Dans le passé récent, l’assainissement du système bancaire a constitué un coût important pour l’État, contribuant à la dégradation des finances publiques. Après la crise de 2015-16, la principale banque du pays, PrivatBank, a ainsi été nationalisée. Or, l’Ukraine fait face à une contrainte financière forte qui rend nécessaire le retour à un désendettement public. Le niveau élevé des taux d’intérêt en UAH, reflet du niveau du risque, est un frein. Il incite à un financement extérieur en devises pour lequel le taux d’intérêt est faible, mais dont le coût peut être in fine accru en cas de dépréciation de la hryvnia.

COURBE DES TAUX

Or, la dette publique devrait continuer à augmenter en 2021, pour atteindre 66% du PIB. La prolongation de l’épidémie de Covid-19, avec le déclenchement d’une 3e vague en mars 2021, et la lenteur de la vaccination impliquent le maintien de l’essentiel des programmes d’aide en 2021. Le déficit public resterait élevé à 5,5% du PIB, contre 7,5% du PIB en 2020. De plus, si l’aide du FMI a servi en 2020 à financer directement le budget, une allocation de DTS ne peut, quant à elle, que bénéficier à la banque centrale. Cela implique que, tant que les décaissements de l’aide du FMI ne reprendront pas, le gouvernement devra se financer sur le marché local à un taux d’intérêt bien supérieur. L’ampleur de la charge d’intérêts de la dette (3,5% du PIB en 2021) montre la nécessité d’un désendettement afin de retrouver des marges de manœuvre en matière budgétaire.

Développer le potentiel de croissance

L’Ukraine doit également privilégier les investissements directs étrangers (IDE) afin de limiter sa dette extérieure (83,4% du PIB en 2020), et développer son potentiel de croissance. Ces IDE avait repris à partir de 2016, mais ils se sont de nouveau interrompus en 2020. Afin de les relancer, le gouvernement a adopté une nouvelle loi début 2021 accordant aux investisseurs étrangers des baisses de taxes, une exemption de droits de douane à l’importation, des droits de propriété fonciers préférentiels, ainsi que la stabilité du cadre réglementaire (rule of law). L’objectif de cette loi est de favoriser une montée en gamme en rendant éligibles les secteurs industriels et en y incluant ceux associés à une activité extractive (minerai de fer) seulement si le processus de transformation-enrichissement est mis en œuvre en Ukraine.

Des succès ont été enregistrés ces dernières années, notamment dans les services informatiques. Cependant, l’Ukraine a besoin d’un effort d’investissement durable en capital physique et humain, jusqu’à présent bridé par la répétition des crises. Ainsi, la productivité totale des facteurs n’a retrouvé qu’en 2019 son niveau de 2008. Le stock de capital (infrastructures notamment) n’a cessé de diminuer ces dernières années dès lors qu’on le mesure à prix constants. Enfin, le nombre de personnes employées a diminué avec l’émigration de personnel qualifié. Tout cela contribue à limiter le potentiel de croissance qui a besoin d’être soutenu.

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