Eco Emerging

Une économie de surplus

26/01/2020
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Les perspectives de croissance restent faibles

La croissance économique au T3 2019 a sensiblement accéléré à 1,7% en glissement annuel (g.a.) après une croissance de seulement 0,7% en g.a. au premier semestre. C’est le secteur agricole qui a été le plus dynamique. La demande intérieure a légèrement rebondi, sous l’impulsion notamment d’une hausse de la consommation des ménages, alors que les exportations ont continué de pâtir d’un environnement mondial défavorable. Ce rebond a été favorisé par une forte décélération de l’inflation et l’assouplissement des conditions monétaires qui en a découlé. En novembre 2019, la hausse des prix n’a atteint que 3,5% en g.a., un rythme inférieur à la cible de 4% fixée par les autorités monétaires. Dans ce contexte, en décembre 2019, la banque centrale a abaissé pour la cinquième fois consécutive ses taux directeurs les ramenant à seulement 6,25%, un plus bas depuis 2014. Les taux des prêts (en termes nominal et réel) et les taux sur les obligations d’Etat à 10 ans se sont sensiblement réduits par rapport à l’année dernière. Les taux à dix ans s’élevaient à seulement 6,5% mi-décembre (vs 8,8% un an plus tôt), un niveau inférieur à ce qui prévalait avant la crise de 2014.

Même si la croissance se consolide au T4, elle ne devrait guère excéder 1,1% sur l’ensemble de l’année 2019 (vs 2,3% en 2018).

Prévisions

En 2020, la croissance devrait bénéficier d’un effet de base positif. Plus fondamentalement, la baisse de l’inflation et la poursuite de la détente monétaire au S1 2020 continueront de soutenir l’investissement privé et, dans une moindre mesure, la consommation des ménages. Les conditions sur le marché de l’emploi resteront favorables. Les investissements publics devraient continuer d’augmenter conjointement à la mise en place des projets de développement. En revanche, la contribution des exportations nettes à la croissance devrait rester négative. Dans le cadre des derniers accords signés avec l’OPEP en décembre 2019, la production pétrolière russe devrait diminuer de 95000 baril/jour au T1 2020 par rapport à la production de novembre (-8,4%).

La croissance reste faible

Hormis une baisse marquée des prix du pétrole, le principal risque pour l’économie russe est un renforcement des sanctions qui pèserait sur les investissements.

Les perspectives de croissance (1,6% en 2020 et 1,8% en 2021) restent insuffisantes pour accroître sensiblement le niveau de revenu de la population russe. Selon le FMI, le revenu par tête libellé en USD serait, en 2021, encore 26% inférieur à celui qui prévalait avant la crise. En outre, bien que le taux de chômage ait atteint un de ses points bas, à seulement 4,4% au T3 2019, la hausse des revenus réels a ralenti avec l’augmentation de la TVA. Au T2 2019, on recensait 19,8 millions de pauvres (soit 13,5% de la population) contre 16,1 millions en 2014 (11,2% de la population).

L’évolution démographique et la faiblesse des investissements productifs pèsent structurellement sur la croissance. Le nombre d’actifs n’a pas cessé de baisser depuis 2012 et ce mouvement devrait, selon la Banque mondiale, se poursuivre jusqu’en 2027 en dépit du relèvement de l’âge de départ à la retraite.

Par ailleurs, le rythme de croissance des investissements a fortement ralenti depuis 2009 (+2% par an en moyenne sur la période 2009-18 contre +12,5% sur la période 2000-08). En outre, même si le taux d’investissement est resté relativement stable à 23% du PIB, la structure des investissements a changé. Selon le Conference Board, la part des investissements productifs a baissé au profit des investissements dans la construction, pesant sur l’évolution du progrès technique. Le stock de capital privé a diminué à 159% du PIB en 2017 contre 282% du PIB en 2000.

Les finances publiques vont rester solides

Sur les dix premiers mois de l’année 2019, le surplus budgétaire du gouvernement a atteint 3,5% du PIB en dépit de la baisse de plus de 1 point de pourcentage (pp) des recettes issues des activités liées au pétrole et au gaz (7,6% du PIB). Cette bonne tenue des finances publiques a été permise par la forte hausse des recettes de TVA (+16,7%) qui ont contribué à l’augmentation de 1 pp des recettes hors pétrole et gaz, lesquelles ont atteint 11,3% du PIB, un rythme jamais atteint depuis la période 2000-08 (alors que la croissance s’établissait à 7% en moyenne). Les dépenses sont restées contenues sur les dix premiers mois de l’année (+6%) malgré la hausse des investissements en octobre qui ont atteint 66,1% de leur cible annuelle fixée dans le programme de développement à moyen terme.

Sur l’ensemble de l’année 2019, les comptes publics devraient rester excédentaires et enregistrer un surplus de 1,6% du PIB qui baissera progressivement jusqu’à 0,6% du PIB d’ici 2021 avec la diminution des revenus du pétrole et la hausse des dépenses.

En baisse constante depuis 2015, la dette publique a atteint seulement 14,9% du PIB au T2 2019. Elle devrait augmenter progressivement au cours des cinq prochaines années car une partie des dépenses d’investissement 2019-24 (estimées à 1,1% du PIB par an) seront financées par l’émission de dette. La structure de la dette reste peu risquée et peu affectée par les sanctions mises en place en août 2019. La dette extérieure du gouvernement (i.e. détenue par les non-résidents en monnaie locale et en devises), bien qu’en hausse, s’élevait à seulement USD 64,5 mds au T3 2019 et était libellée à plus de 63% en roubles (la dette libellée en USD s’élevait à seulement USD 22,9 mds, soit 36% du total). Par ailleurs, le gouvernement pourrait toujours puiser dans son fonds souverain (le National Wealth Fund) pour financer une partie de ses dépenses d’investissement. Ce dernier a été en partie reconstitué et s’élevait à USD 124 mds au 1er décembre 2019, soit l’équivalent de 7,3% du PIB contre 4,4% du PIB en décembre 2018.

Les comptes extérieurs restent robustes

Depuis la crise de 2014-15, les comptes extérieurs de la Russie se sont renforcés. La dette extérieure a diminué de 34% depuis son point haut de 2013 (pour atteindre seulement USD 471 mds au T3 2019), la dépendance au financement en dollars a baissé (la part de la dette extérieure libellée en dollars était de 49% au T2 2019 contre 61% en 2013) et la corrélation entre le rouble et le prix du pétrole s’est distendue. Néanmoins, la diversification des exportations russes reste faible et les IDE ont sensiblement baissé depuis cinq ans, conjointement à la mise en place des sanctions internationales.

Réserves de change et fonds souverain

Les réserves de change ont atteint USD 436 mds en novembre 2019, soit USD 57 mds de plus qu’il y a un an. Elles sont proches de leurs plus hauts niveaux de 2013 (USD 486 mds) et couvrent

4,5 fois le service de la dette extérieure. Cette hausse des réserves s’explique principalement les achats de devises de la banque centrale (qui s’élevaient à USD 42 mds sur les onze premiers mois de 2019) et, dans une moindre mesure, par un surplus du compte courant.

Sur les neuf premiers mois de l’année 2019 le solde du compte courant est resté positif, bien qu’en baisse par rapport à 2018. Il s’est élevé à 4,7% du PIB contre 6,2% à la même époque en 2018. Cette légère baisse reflète la contraction du surplus commercial aux T2 et T3 2019, induite par la diminution des exportations de pétrole et de gaz (effet prix et volume).

Sur les neuf premiers mois de l’année, les sorties nettes de capitaux ont fortement diminué par rapport à la même période en 2018 lorsque le renforcement des sanctions américaines avait généré d’importants mouvements de défiance de la part des investisseurs étrangers. Au deuxième et au troisième trimestre 2019, le compte financier a enregistré une entrée nette de capitaux.

Cette consolidation des comptes extérieurs depuis la crise de 2014-15 est à nuancer. Premièrement, hors pétrole et gaz, le solde du compte courant a affiché un déficit de 9,8% du PIB sur les trois premiers trimestres 2019, reflet de la forte dépendance de l’économie aux exportations énergétiques. En 2018, les matières premières représentaient toujours 67% des exportations russes. Deuxièmement, les IDE ont fortement baissé depuis l’instauration des sanctions en 2014. Sur la période 2014-2019, les nouveaux investissements (hors réinvestissements des profits) n’ont atteint en moyenne que USD 4,9 mds par an alors qu’ils s’élevaient à USD 32,5 mds par an sur la période 2008-13. Il est difficile de déterminer l’origine des IDE en Russie compte tenu des importants mouvements de capitaux effectués via Chypre ou les Pays-Bas. Néanmoins, les IDE en provenance d’Europe et des Etats-Unis ont baissé respectivement de 88% et 41% sur la période 2015-18 alors que ceux en provenance d’Asie ont été multipliés par 5,2. Or, la forte baisse des IDE occidentaux a pesé sur la diversification de l’économie. En effet, les IDE d’Asie sont fortement concentrés dans le secteur de l’énergie tandis que les IDE américains et européens étaient répartis dans de nombreux secteurs.

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