Eco Flash

Six questions autour du Brexit après les élections européennes du 23 mai 2019

04/06/2019

Qu’indiquent les résultats des élections européennes ?

La démission de Mme May change-t-elle la donne ?

L’Accord de retrait peut-il encore être sauvé ?

Y a-t-il toujours un risque de « hard Brexit » ?

Va-t-on vers des élections générales anticipées ?

Comment se comporte l’économie britannique ?

Le 23 juin 2016, 51,9% des Britanniques se prononçaient par référendum pour une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), ou « Brexit ». Le 29 mars 2017, l’article 50 du traité sur l’UE était activé par la première ministre, Mme Theresa May, donnant le départ officiel d’une procédure de retrait devant intervenir le 29 mars 2019 à minuit. En mai 2019, le Brexit n’a pas eu lieu, les électeurs britanniques ont voté contre toute attente aux élections européennes, et Mme May a annoncé sa démission. A cinq mois de la prochaine échéance, fixée au 31 octobre 2019 (fin de mandat officielle de la Commission « Juncker »), nous faisons le tour en six questions de l’actualité du Brexit.

Qu’indiquent les élections européennes ?

Une polarisation des antagonismes autour de la question du Brexit et une participation en hausse, un paradoxe pour un scrutin qui n’aurait jamais dû avoir lieu. Outre-Manche, un bon tiers des électeurs a voté pour les partis extrémistes du Brexit ou de l’Indépendance du Royaume-Uni (UKIP), réfractaires à l’UE et prônant une rupture radicale avec celle-ci.

Mais face à eux, les différentes formations pro-européennes (Libéraux Démocrates, Verts, Change UK, Parti National Ecossais) ont recueilli davantage de voix (6,7 millions au total, soit 40% des suffrages). Sanctionnés pour leur indécision, les partis travailliste et conservateur rallient moins d’un électeur sur quatre et ressortent grands perdants du scrutin (graphique 1). Les élections européennes montrent donc un paysage morcelé, mais délivrent aussi un message important : au Royaume-Uni, les partisans d’un Brexit dur (sans accord avec l’UE), s’ils sont nombreux, n’en sont pas moins minoritaires.

Polarisation

La démission de Mme May change-t-elle la donne ?

Elle risque surtout de prolonger l’inaction, alors que la date butoir pour le Brexit reste fixée au 31 octobre 2019. Après sa démission, prévue le 7 juin, Mme May gérera les affaires courantes, le temps pour le Parti conservateur de se trouver un nouveau leader. Les 313 députés Tories devront d’abord sélectionner, à travers une série de votes, deux candidats parmi treize (!) prétendants (en date du 3 juin). Le choix final reviendra ensuite aux 125 000 adhérents du parti, le ou la candidat(e) élu(e) devenant alors Premier(e) ministre, après nomination par la Reine, normalement une formalité. La procédure pourrait s’étendre jusqu’au 20 juillet, ce qui signifie que, compte tenu de la trêve estivale, le ou la futur(e) Premier ministre disposera de très peu de temps pour agir.

L’Accord de retrait peut-il encore être sauvé ?

Les vingt-sept chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE ont été clairs sur le fait que l’accord de retrait conclu avec le Royaume-Uni le 28 novembre 2018 ne serait pas renégocié. Cela concerne notamment la question du « backstop » nord-irlandais[1] qui achoppe côté britannique mais garantit, côté européen, l’intégrité du marché unique. La Chambre des communes conserve, quant à elle, la possibilité de ratifier l’Accord jusqu’à la date butoir du 31 octobre. Mais, l’ayant déjà rejeté par trois fois, les chances qu’elle finisse par s’y rallier sont minces, surtout dans la configuration actuelle, où le Parti unioniste irlandais joue les arbitres et empêche tout compromis. Le seul moyen de progresser vers un retrait négocié passe donc, sans doute, par un renouvellement de la Chambre, ce qui implique la tenue d’élections générales anticipées (cf. Infra).

Y-a-t-il toujours un risque de « hard Brexit »

Un Brexit dur, soit un retrait de l’UE sans accord, est l’option politiquement et économiquement la plus coûteuse pour le Royaume-Uni (elle provoquerait une perte cumulée de 5 points de PIB à l’horizon 2021, selon une estimation récente du NIESR[2]). Comme déjà indiqué, le vote européen, mais aussi l’évolution des sondages, suggèrent qu’une majorité de Britanniques n’y est pas favorable (graphique 2). La Chambre des communes elle-même a signifié, lors d’un vote indicatif qui s’est tenu le 14 mars, qu’elle s’y opposerait en toute circonstance. Ceci réduit objectivement le risque, mais ne l’élimine pas.

L’ombre d’un doute

D’abord parce qu’aucune loi britannique n’oblige formellement à un accord de sortie avec l’UE ; ensuite parce que, affronterait-il un vote de défiance à la Chambre et serait-il mis en minorité, tout Premier ministre qui voudrait aller jusqu’au no deal aurait la possibilité de proroger la session parlementaire au-delà du 31 octobre minuit, arguant de l’impératif de négocier jusqu’au bout avec les partenaires de l’UE[3]. Un « hard Brexit » pourrait alors intervenir par défaut.

Va-t-on vers des élections anticipées ?

Puisque la Chambre des communes n’est pas en mesure de ratifier l’accord de retrait mais qu’elle s’oppose aussi à un « no deal », seul son renouvellement parait offrir une chance de sortir de l’impasse. Aussi la question est-elle moins de savoir si, mais quand et à quelles conditions, des élections générales anticipées peuvent se tenir. Si la date butoir du 31 octobre parait trop proche, les Vingt-Sept accepteraient sans doute de la repousser au motif que des élections générales au Royaume-Uni peuvent changer la donne et permettre de progresser vers un retrait ordonné, voire de reposer la question du Brexit. Il faudrait néanmoins que le futur Premier ministre britannique s’inscrive dans cette logique (il est le seul à pouvoir demander un nouveau report) ce qui est loin d’être acquis. Sur les treize prétendants conservateurs à l’investi-ture, cinq, dont deux favoris (Boris Johnson et Dominic Raab, respectivement anciens ministres des Affaires étrangères et du Brexit) ont déjà laissé entendre qu’ils se tenaient prêts à une sortie sans accord le 31 octobre.

Comment se comporte l’économie ?

Son rebond du premier trimestre de 2019 (où le PIB a crû de 2% en rythme annuel) s’est nourri d’une intense activité de stockage, précisément en prévision du Brexit. Il est à contre-courant des enquêtes auprès des chefs d’entreprise, plus pessimistes, et ne doit donc pas faire illusion. Sur le fond, la tendance n’est pas bonne. Intervenu il y a deux ans (en mars 2017), le déclenchement de l’article 50 officialisant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a marqué un début d’inversion des flux d’investissements directs étrangers : les entrées nettes (GBP +56 milliards par an entre 2012 et 2016) ont fait place aux sorties nettes (GBP -1 milliard par an depuis 2017, cf. graphique 3).

Perte d’attractivité

Les flux migratoires en provenance de l’UE se sont raréfiés (moins de 60 000 entrées nettes recensées en 2018, ce qui correspond à l’étiage de 2009), ce qui pèse sur l’immobilier.


[1] L’Accord de retrait prévoit que, une fois le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne et afin d’éviter la réintroduction d’une frontière physique entre les deux Irlande, un filet de sécurité ou « backstop » s’applique à l’Irlande du Nord. Aux termes de l’accord et le temps de parachever le cadre de la « relation future » celle-ci devra temporairement maintenir avec l’UE une union douanière ainsi qu’un alignement complet des normes (juridiques, techniques, environnementales, etc.).

[2] National Institute of Economic and Social Research (2019) “Modelling the Short- and Long-run impact of Brexit” NiGEM Observation n°14, May 31.

[3] Cf. point de vue exprimé par l’ancien député conservateur Nick Boles, et repris par le site du Guardian en date du 29 mai 2019.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE