Eco Emerging

Une reprise économique inégale

11/10/2021

L’économie des Émirats Arabes Unis (EAU) a été doublement affectée par la chute des prix du pétrole en 2020 et les conséquences de la pandémie sur le secteur des services. La récession a été significative en 2020, et la reprise devrait rester timide cette année. Malgré les perspectives positives liées à l’Exposition universelle, l’activité à Dubaï restera contrainte par les difficultés structurelles du marché immobilier et les incertitudes pesant sur le tourisme et la logistique pour lesquels un retour à la normale n’est attendu qu’en 2023. Dans ce contexte, la situation des finances publiques et externes demeure très favorable grâce aux excédents accumulés depuis de nombreuses années, mais le risque de crédit s’accroît. Certains conglomérats quasi-publics actifs dans le secteur immobilier connaissent des difficultés, et le soutien de l’État restera sélectif.

Reprise économique graduelle

Les Émirats Arabes Unis (EAU) ont été l’économie la plus affectée parmi les pays du Golfe par le double choc de la chute des prix et de la production pétrolière, et par les conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur le secteur des services. En 2020, l’économie s’est contractée de 6,1%, conséquence du recul de 6% environ du PIB pétrolier (environ 30% du PIB total) et du PIB hors pétrole. La politique restrictive des producteurs de l’OPEP+ (les EAU sont le troisième producteur de l’OPEP avec 10% de la production totale du cartel) a entraîné une réduction de la production pétrolière de 7,5%.

Les conséquences de la pandémie ont particulièrement affecté les secteurs de la logistique (-16% pour 6% du PIB) et du commerce (-13% pour 13% du PIB). Par ailleurs, l’activité des secteurs de la construction et de l’immobilier (14% du PIB pour l’ensemble) s’est repliée de 9%. À Dubaï (environ 30% du PIB de la fédération), qui concentre l’essentiel de l’activité hors hydrocarbures, le PIB a reculé de 11% avec l’effondrement du commerce (-12%), de la restauration (-33%) et de la logistique (-36%).

PRÉVISIONS

En 2021, la croissance économique de la fédération devrait atteindre 2,0%. Cette faiblesse de la reprise est en partie due au recul du PIB pétrolier (-2,8%) pour la deuxième année consécutive. La hausse de la production depuis juin reste très graduelle et le niveau de production actuel (2,8 mb/j en septembre 2021) reste loin de celui atteint en avril 2020 (3,7 mb/j). Du côté de l’activité non pétrolière, les indicateurs avancés du premier semestre restent mitigés et l’ouverture de l’Exposition universelle à Dubaï en octobre ne modifiera pas fondamentalement la situation. Malgré une campagne de vaccination parmi les plus fortes au niveau mondial, les indicateurs de mobilité restent à peine supérieurs à ceux précédant la pandémie. Au T1 2021, le PIB était en contraction de 3,7% à Dubaï, avec le recul continu de la logistique (-32% en g.a.) et malgré la reprise timide du commerce (+2,8% en g.a.). À fin juin 2021, les arrivées à l’aéroport de Dubaï sur les quatre derniers trimestres étaient en baisse de 70% en g.a. Sur la même période, le nombre de bâtiments achevés était en baisse de 41%. Depuis cet été, on assiste à une reprise de la fréquentation touristique. Cette dynamique devrait bénéficier de l’Exposition universelle qui se déroulera durant les six prochains mois.

C’est en 2022 que devrait se consolider la reprise de l’activité. Le PIB pétrolier devrait progresser de 7% environ, grâce à la poursuite de la hausse de la production pétrolière, mais aussi au relèvement du quota de production des EAU au sein de l’OPEP. La capacité de production des EAU est importante (4,2 mb/j), mais il convient de rester prudent sur l’évolution du marché pétrolier étant donné les incertitudes pesant sur la demande, et la reprise possible de la production pétrolière hors OPEP+. La hausse attendue des prix du pétrole devrait profiter à l’économie hors hydrocarbure, notamment au secteur immobilier. La diminution progressive des conséquences de la pandémie sur les mouvements de population devrait permettre au PIB hors pétrole de croître de 3,2%. Au total la croissance de l’économie des EAU devrait atteindre 4,4%. Cependant, d’importants risques baissiers subsistent. La persistance de la pandémie pourrait affecter la demande mondiale de pétrole et la fréquentation touristique. Le secteur de la logistique devrait pâtir encore plusieurs semestres des perturbations du commerce mondial. Un retour à un trafic normal n’est pas attendu avant 2023.

À moyen terme, le secteur des hydrocarbures devrait bénéficier du plan d’investissement annoncé par la compagnie pétrolière nationale ADNOC qui prévoit d’investir massivement au cours des cinq prochaines années (USD 122 mds au total soit l’équivalent de 40% du PIB pétrolier chaque année) afin d’augmenter les capacités de production pétrolière et gazière, et d’accroître la production pétrochimique.

Concernant, les activités hors hydrocarbures, les perspectives sont moins claires. Dubaï connaît une crise rampante du secteur immobilier depuis plusieurs années. Les prix de vente et les loyers sont en baisse continue depuis 2015, l’offre étant structurellement excédentaire. Par ailleurs, la croissance de la fréquentation de l’aéroport de Dubaï perd constamment en dynamisme depuis 2015 (+4,3% en moyenne durant 2015-19, contre +11,2% durant 2009-14). L’évolution est négative depuis juin 2019. Au-delà de l’influence de la conjoncture pétrolière, cette tendance pourrait signaler une perte relative d’attractivité de cette destination. L’évolution du trafic de l’aéroport de Dubaï est inférieure à la croissance du trafic passager mondial depuis 2019. D’une manière générale, les autorités ont engagé depuis 2020 un programme visant à renforcer l’attractivité de la fédération pour les entreprises et les résidents, dans un contexte de concurrence régionale croissante.

Des fondamentaux macroéconomiques solides

Malgré un recul prononcé de l’activité économique, les comptes budgétaires et extérieurs ne se sont pas très dégradés. En 2020, selon nos estimations, le déficit budgétaire s’est élevé à environ 5,5% du PIB. Les revenus pétroliers (environ 45% des revenus totaux) ont chuté environ d’un tiers avec la baisse de la production et des prix du pétrole. Les dépenses totales se sont contractées d’environ 15% malgré des mesures spécifiques de soutien à l’économie équivalentes à environ 2% du PIB. Un léger excédent devrait être enregistré en 2021 (1,8% du PIB) grâce à la hausse significative des recettes pétrolières et à la faible augmentation des dépenses. Celles-ci devraient rester inférieures à leur niveau de 2019.

CROISSANCE DU PIB RÉEL (%)

La solvabilité publique est soutenue par le niveau modéré de la dette gouvernementale consolidée (36% du PIB en 2020) et d’importants actifs publics (supérieurs à deux fois le PIB), détenus en majeure partie par l’émirat d’Abu Dhabi.

Chaque émirat est autonome budgétairement (hormis les budgets de la défense et de la sécurité qui sont fédéraux) et peut émettre de la dette sur les marchés internationaux. Depuis 2020, environ USD 25 mds ont été émis par les émirats d’Abu Dhabi (USD 20 mds, soit environ 10% du PIB d’Abu Dhabi), de Sharjah (USD 2,3 mds, soit environ 7,4% du PIB de Sharjah) et de Dubaï (USD 2,9 mds, soit environ 2,8% du PIB de Dubaï).

Les émissions obligataires d’Abu Dhabi vont au-delà du financement d’un éventuel déficit budgétaire ou du remboursement de dettes arrivées à échéance, et permettent – par des émissions régulières – d’établir des taux de référence pour d’autres émetteurs. Concernant Dubaï, une partie du financement obtenu est destinée à soutenir certaines entreprises publiques en difficulté (notamment dans le domaine des transports). Par ailleurs, en octobre 2021, la fédération a procédé pour la première fois à une émission obligataire sur les marchés internationaux pour un montant de USD 4 mds. Cet appel au marché n’est autorisé que depuis 2019, et devrait notamment financer des projets d’infrastructures.

La situation des comptes extérieurs reste très confortable et les excédents courants sont récurrents et élevés, même en période de conjoncture pétrolière défavorable. Ils ont atteint 7% du PIB en moyenne depuis 2016 et nous prévoyons un surplus de 6,8% du PIB cette année. Les réserves de change sont actuellement équivalentes à environ 4,5 mois d’importations de biens et services.

Persistance du risque de crédit

L’exposition des banques aux secteurs les plus affectés par le ralentissement économique a eu des conséquences négatives sur la qualité de leurs portefeuilles de crédit. Au niveau de la fédération, le taux de créances douteuses a atteint 8,2% en juin 2021 selon le FMI (le plus élevé parmi les pays du Golfe), contre 6,5% fin 2019. À Dubaï, un certain nombre de promoteurs immobiliers connaissent des difficultés financières et ont engagé une renégociation de leurs créances pouvant se traduire par un défaut partiel. Les secteurs de la construction et de l’immobilier représentaient 20% du crédit intérieur total en juin 2021.

BILAN SIMPLIFIÉ DES BANQUES COMMERCIALES (G,A, %)

L’augmentation du risque de crédit ne présente pas un risque systémique. La liquidité bancaire reste confortable, étant donné la faible croissance du crédit intérieur et la progression des dépôts (+1,1% en juin 2021). Le crédit au secteur privé (70% du crédit intérieur) était en repli de 2,1% en g.a en juin 2021 (-1,6% pour le crédit intérieur). Avec le ralentissement du crédit et la hausse des dépôts du gouvernement à la faveur d’une meilleure conjoncture pétrolière, la position extérieure nette du secteur bancaire est largement excédentaire. Elle a atteint USD 36 bn en mars 2021 (USD 16 mds en mars 2020).

La banque centrale a mis en place des mesures de soutien au secteur bancaire : apport de liquidité, relâchement de certaines normes prudentielles et baisse du taux d’intérêt directeur (-125 points de base en 2020). Plus généralement, si le soutien fédéral aux banques systémiques est assuré en cas de nécessité, le soutien aux entreprises quasi-publiques (notamment dans l’immobilier) étant du ressort des gouvernements fédérés aux moyens plus limités, il sera plus sélectif.

Achevé de rédiger le 06/10/2021

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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