Au revoir à l’assouplissement quantitatif, bienvenue au resserrement quantitatif

16/01/2022

Les minutes du Comité de l’Open market (FOMC) du mois de décembre ont révélé un revirement brusque de la politique monétaire américaine en direction d’un durcissement. Le rythme des achats d’actifs nets (tapering) ralentira plus vite et la première hausse de taux devrait avoir lieu plus tôt que prévu. Par ailleurs, les membres du FOMC sont favorables à un démarrage rapide du resserrement quantitatif (quantitative tightening, QT) et à un rythme plus soutenu. Même si ce tournant leur semble moins difficile à négocier qu’en 2017, l’opération n’en reste pas moins délicate. Le défi consistera à trouver le bon équilibre entre le resserrement quantitatif et le nombre de relèvements de taux nécessaire pour juguler l’inflation sans compromettre la croissance. Or, l’histoire a montré combien il est difficile de réussir un atterrissage en douceur.

Depuis la crise financière mondiale de 2008, la gestion de la taille du bilan de la banque centrale fait partie intégrante de la boîte à outils de la politique monétaire, aux côtés des taux directeurs et de la forward guidance (indications prospectives). Ces différents instruments sont utilisés lorsque la priorité est à la détente monétaire ou au resserrement, comme actuellement aux États-Unis. De fait, les minutes du FOMC de décembre ont révélé un revirement brusque et prononcé en direction d’un durcissement de l’orientation de la politique monétaire américaine.

Rendement des Treasuries et du Bund à 10 ans depuis début 2021

Ce changement de pied a poussé à la hausse les rendements des obligations d’État aux États-Unis comme ailleurs dans le monde (graphique 1). Il vient s’ajouter à la révision à la hausse des projections de taux d’intérêt par les membres du FOMC – les dots - et à l’annonce d’une réduction accélérée des achats d’actifs nets (tapering).

Le commentaire selon lequel « une augmentation du taux des fonds fédéraux pourrait être justifiée plus tôt ou à un rythme plus rapide que les membres ne l’avaient prévu » illustre cette position, ainsi que celui concernant la « discussion sur les considérations relatives à la normalisation de la politique monétaire ».

À ce propos, les principaux points à retenir de ces minutes sont que « la quasi-totalité des membres estiment qu’il serait probablement approprié de commencer la réduction de la taille du bilan dès la première hausse de la fourchette cible du taux des fonds fédéraux ». De plus, « nombre de membres considèrent que le rythme approprié de diminution de la taille du bilan serait probablement plus soutenu que celui adopté lors des épisodes de normalisation précédents ».

Bilan de la Réserve fédérale, taux des fonds fédéraux et rendement des Treasuries

Il s’agit là d’une différence de taille avec 2017 où le cycle de relèvement des taux était déjà bien engagé avant le début de la réduction (resserrement quantitatif) de la taille du bilan (graphique 2). Par ailleurs en 2017, le malaise à l’égard du possible impact du QT sur les marchés financiers était tel que la présidente de la Fed, Janet Yellen, avait comparé cette diminution de la taille du bilan de la banque centrale à un exercice aussi ennuyeux que de regarder la peinture sécher.[1]

Dans les circonstances actuelles, les membres du FOMC sont favorables à un lancement rapide du resserrement quantitatif et à une accélération de son rythme compte tenu de perspectives économiques bien plus robustes, d’une inflation plus élevée, d’un marché du travail plus tendu et d’une taille du bilan beaucoup plus importante qu’en 2016-2017.

Le resserrement quantitatif n’en reste pas moins une opération délicate. Premièrement, l’impact sur les flux du marché pourrait être significatif. Lorsque les titres du Trésor arriveront à échéance, de nouveaux titres seront émis mais, lorsque la Réserve fédérale diminuera la taille de son bilan, elle ne réinvestira pas ou, tout au moins, pas la totalité du montant[2]. Les autres investisseurs, aux États-Unis comme à l’étranger, devront accroître leur portefeuille de titres et être peut-être incités à le faire, ce qui pourrait faire remonter les rendements obligataires[3]. Cela dépend cependant aussi du volume des émissions nettes, qui est lui-même fonction du déficit budgétaire. Ce dernier devant reculer, l’effet en termes de flux l’emporterait sur celui du QT[4].

Deuxièmement, le QT et les relèvements de taux directeurs sont interchangeables. Ces deux instruments sont censés ralentir la croissance. Plus la réduction de la taille du bilan est importante, plus la marge de manœuvre pour relever les taux des fonds fédéraux est faible. En conséquence, lors du prochain cycle d’assouplissement, le potentiel de baisse des taux pourrait être rapidement épuisé. Cela pourrait inciter la Fed à préférer relever les taux et à limiter la contraction de la taille du bilan.

Troisièmement, les membres du FOMC considèrent que « comme lors des épisodes de normalisation précédents […] les variations de la fourchette cible du taux des fonds fédéraux devraient être le principal instrument d’ajustement de l’orientation de la politique monétaire » en raison d’une moins grande incertitude entourant les effets d’une hausse des taux directeurs. De surcroît, il est plus facile de communiquer en direction du grand public sur les hausses de taux d’intérêt que sur le resserrement quantitatif.

Comme le recours au QT ne semble pas trop inquiéter le FOMC, le débat sera centré sur la rapidité et l’importance de la réduction du bilan. Le défi consistera à trouver le bon équilibre entre le resserrement quantitatif et les relèvements de taux pour juguler l’inflation sans compromettre la croissance. Or, l’histoire a montré combien il est difficile de réussir un atterrissage en douceur. Plusieurs membres du FOMC ont exprimé leur inquiétude à l’égard des vulnérabilités du marché des Treasuries en réaction au resserrement quantitatif. Mais la véritable vulnérabilité résidera dans les classes d’actifs plus risqués comme les actions, les obligations d’entreprises ou l’immobilier en raison de craintes de plus en plus fortes sur les perspectives de croissance.

Plusieurs membres du FOMC ont exprimé leur inquiétude à l’égard des vulnérabilités du marché des Treasuries en réaction au resserrement quantitatif. Mais la véritable vulnérabilité résidera dans les classes d’actifs plus risqués comme les actions, les obligations d’entreprises ou l’immobilier en raison de craintes de plus en plus fortes sur les perspectives de croissance.


[1] « Ce sera comme regarder la peinture sécher, quelque chose qui se déroule discrètement en arrière-plan ». Source : Federal Reserve, Transcription de la conférence de presse de Janet Yellen, 14 juin 2017.

[2] Il en va de même, bien sûr, des titres hypothécaires achetés par la Réserve fédérale.

[3] Le graphique 2 illustre la relation complexe existant entre le taux des fonds fédéraux et la taille du bilan, d’une part, et les rendements des Treasuries, de l’autre. Le cycle de relèvement des taux, entamé fin 2016, a fait remonter les rendements obligataires et le resserrement quantitatif – qui a commencé en octobre 2017 et s’est terminé en août 2019- a, dans un premier temps, probablement, contribué à cette évolution. A l’automne 2018, cependant, les investisseurs ont commencé à anticiper que le pic des taux des fonds fédéraux était sur le point d’être atteint. Cela a déclenché un repli des rendements des Treasuries, alors que la diminution de la taille du bilan se poursuivait.

[4] Selon la Stratégie de taux des marchés mondiaux de BNPP, la réduction de la taille du bilan de la Fed devrait atteindre USD 100 mds par mois en décembre 2022, mais l’offre nette de Treasuries devrait diminuer, passant de USD 1050 mds en 2021 à USD 934 mds en 2022 et à USD 592 mds en 2023.

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