Alors même que la reprise post-pandémique reste fragile, les pays émergents sont confrontés aux conséquences du conflit en Ukraine sur le commerce extérieur, les flux de capitaux et l’inflation. C’est le thème général du dernier Eco Emerging. Pour l’instant, dans l’ensemble, le conflit n’a pas généré de véritable choc financier, ni sur les taux d’intérêt, les primes de risque ou les taux de change. L’effet direct de la forte contraction attendue des importations russes et ukrainiennes (effet demande) ne devrait pas être sévère, sauf évidemment dans les pays de la CEI et, dans une moindre mesure, les pays d’Europe centrale, les Balkans et la Turquie.
En revanche, l’effet indirect de la hausse des prix des matières premières sur l’inflation voire sur la production agricole ou industrielle touchera a priori l’ensemble des zones et l’impact sur le pouvoir d’achat des populations pourrait être particulièrement sévère dans les pays à faible revenu notamment d’Afrique. La hausse des prix des matières premières est massive et concerne à la fois, l’énergie et les matières premières industrielles agricoles ou non agricoles. L’effet sur l’inflation et la croissance est général car les entreprises sont à la fois confrontées à la hausse des prix et, si le fournisseur est la Russie ou l’Ukraine, à des contraintes d’approvisionnement.
En dépit de cet environnement, nous n’anticipons pas de dégradation généralisée de la solvabilité extérieure ni même de la solvabilité des États dans les pays émergents. S’agissant de la solvabilité extérieure, la plupart de ces derniers disposent d’un matelas confortable de réserves de change et les ratios de solvabilité ne se sont pas détériorés par rapport à fin 2019 (les seules exceptions sont l’Argentine, l’Égypte, la Tunisie et la Turquie). S’agissant de la solvabilité des États, les ratios d’endettement ont fortement augmenté dans pratiquement tous les pays. Mais l’autre ratio principal de solvabilité, à savoir les intérêts de la dette en pourcentage des revenus, n’a dans l’ensemble que modérément augmenté depuis la fin 2019. En revanche, s’agissant de la liquidité extérieure des États, une grosse dizaine de pays ont des remboursements d’obligations et prêts internationaux qui représentent au moins 20% des réserves de change ou des actifs financiers nets. Pour les plus fragiles d’entre eux comme l’Égypte, la Tunisie et l’Argentine, l’éventualité d’un défaut dépendra de la volonté ou de la capacité des gouvernements à s’assurer le soutien des bailleurs internationaux ou, dans le cas contraire, à pouvoir compter sur les créanciers bilatéraux. C’est le cas pour l’Argentine et l’Égypte mais pas encore pour la Tunisie.
Le message est que nous n’attendons pas de dégradation importante et généralisée du risque souverain malgré la hausse de l’endettement. À ce sujet, dans leur dernier rapport sur la stabilité financière mondiale, les économistes du FMI ont mené une étude approfondie des liens entre le risque souverain et le risque bancaire sur la base du double constat 1/ l’endettement des États a fortement augmenté 2/les banques ont très largement contribué au financement des États. Les mécanismes de propagation du risque souverain vers le risque bancaire sont multiples avec des effets de rétroaction qui sont très sérieusement documentés par les équipes du FMI. Et il est normal que le principal bailleur international pointe les risques potentiels. Mais, sauf à imaginer un scénario de stagflation, les systèmes bancaires dans les pays émergents sont a priori suffisamment solides pour les absorber. Un exemple : d’après les simulations du FMI, il faudrait une dévalorisation des portefeuilles de titres publics d’au moins 30% pour entamer le ratio de solvabilité minimum des banques. Or une telle dévalorisation nécessiterait, en moyenne, une augmentation des rendements obligataires deux fois plus importante que l’augmentation observée au cours des six derniers mois dans les zones où il y a effectivement eu une hausse des taux.