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Le real brésilien a le vent en poupe

01/04/2022

La monnaie brésilienne s’apprécie fortement depuis le début de l’année dopée par la hausse du prix des matières premières, le rééquilibrage des portefeuilles d’investissement sur les marchés et un différentiel de taux d’intérêt réel important avec d’autres émergents et les pays développés. Si cette hausse de la monnaie permet d’atténuer l’inflation on ne doit pas pour autant surestimer ses effets.  

Transcription

Le real brésilien fait partie des monnaies qui se sont le plus renforcées depuis le début de l’année, au même titre que le kwanza angolais et le rand sud-africain. La monnaie s’est appréciée de près de 20% contre le dollar au premier trimestre – une hausse qui a surpris plusieurs observateurs par son ampleur. Qu’est-ce qui explique ce renforcement de la monnaie ? Et cette hausse est-elle une bonne nouvelle pour l’économie brésilienne ?  

Depuis le début de l’année, la monnaie brésilienne bénéficie d’au moins trois facteurs de soutien.

Premièrement, la hausse du prix des métaux, des produits agricoles et de l’énergie profitent aux pays exportateurs nets de matières premières comme le Brésil. On observe d’ailleurs un afflux de capitaux vers les places boursières de ces pays-là pour profiter de ce facteur cyclique. Cela s’est traduit dans le cas du Brésil par une progression du principal indice boursier d’environ 15% depuis le début de l’année.

Deuxièment, le Brésil a profité des phénomènes de réallocations sur les marchés. On a tout d’abord eu des ajustements liés à la correction sur le prix des actifs de la tech aux États-Unis. Mais surtout en amont de la guerre en Ukraine et évidemment depuis le début de l’intervention militaire, les investisseurs procèdent à des rééquilibrages de portefeuilles qui se sont faits typiquement aux dépens de la Russie, de certains pays d’Europe centrale exposés à la Russie ou encore dans une moindre mesure la Turquie en raison de certaines restrictions sur la convertibilité de la monnaie. Ces mouvements de capitaux ont ainsi profité à d’autres émergents, y compris le Brésil. 

Troisièment, et c’est un point qui est lié aux deux précédents, c’est que dans l’univers des émergents, et dans un contexte généralisé d’accélération de l’inflation, le Brésil se distingue – notamment comparé à d’autres pays de la zone également exportateurs nets de matières premières – par le fait qu’en plus le pays offre la possibilité aux investisseurs de profiter de taux d’intérêts réels positifs. Pour rappel, en l’espace d’un an on a eu 9 hausses de taux avec un taux directeur qui est passé de 2% à 11,75% ; et quand on retranche au taux actuel les anticipations d’inflation à 12 mois, on obtient un différentiel positif assez notable, que l’on ne retrouve pas dans beaucoup d’autres économies. Cette situation favorise les opérations de portage où les investisseurs s’endettent dans des pays où le crédit est bon marché (comme c’est le cas aux États-Unis et en Europe où les taux réels sont négatifs) et placent ces fonds dans des pays où les rendements en termes réels sont intéressants comme au Brésil.

En somme, ces trois facteurs font qu’on assiste depuis le début de l’année à une hausse des flux d’investissement de portefeuille de la part des non-résidents vers le Brésil. Par ailleurs quand on regarde les transactions sur le marché des changes, que celles-ci soient à des fins commerciales ou financières, on remarque que les achats nets de real au premier trimestre sont équivalents à à peu près USD 9 milliards – ce qui représente près de USD 3 milliards de plus que sur l’ensemble de l’année 2021.

Ce renforcement de la monnaie est-il une bonne nouvelle pour l’économie brésilienne?

Oui, dans une certaine mesure car elle permet de ralentir l’inflation importée et donc de protéger en partie le pouvoir d’achat des brésiliens, lesquels vont par ailleurs bénéficier d’un nouveau programme de soutien budgétaire annoncé il y a quelques semaines par les autorités.

Pour autant, il ne faut pas surestimer son effet sur la dynamique d’inflation. D’abord parce que sa contribution à la variation de l’indice des prix est moins importante que, par exemple, une variation des prix administrés. Il faut rappeler aussi que la crise qui touche les engrais –  une des conséquences de la guerre en Ukraine – affecte de plein fouet le prix de l’alimentation et que ce poste de dépenses est particulièrement important pour les brésiliens. Enfin, parce qu’il n’est pas dit que l’on assiste au fil de l’année à un retournement de tendance : contrairement à ce que l’on a pu voir ces dernières années, pour l’instant ce sont plutôt des facteurs externes qui semblent influer sur la monnaie mais avec l’approche des élections, en octobre, le real pourrait davantage réagir à des facteurs internes puisque de nombreuses questions restent en suspens concernant notamment l’orientation future de la politique économique, le maintien ou pas des règles budgétaires mais aussi le risque de voir se prolonger dans le temps une croissance faible et une inflation forte. Bref, autant de considérations susceptibles de peser sur la monnaie.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE