Plus de trois ans se sont écoulés depuis que les Britanniques ont choisi par référendum de sortir de l’Union européenne (UE), et nul ne sait aujourd’hui où le Royaume-Uni se dirige.
Un accord de retrait est bien sur la table mais, déjà rejeté par trois fois à la Chambre des communes, sa ratification d’ici au 31 octobre 2019 (prochaine date butoir) tiendrait de l’exploit. Le premier ministre, Boris Johnson, a récemment tenté d’en modifier les contours et proposé d’élargir les mailles du « filet de sécurité » (backstop) prévu pour l’Irlande du Nord afin de garantir l’intégrité du marché unique. Mais l’offre faite aux Vingt-Sept autres Etats membres de l’UE (ci-après, les Vingt-Sept) n’a aucune chance d’être acceptée, tant sur la forme (elle est présentée comme à prendre ou à laisser) que sur le fond. Non détaillée, peu réaliste, celle-ci prétend résoudre la quadrature du cercle en maintenant les deux Irlandes dans une zone réglementaire commune, tout en les faisant appartenir à deux unions douanières différentes (l’une britannique, l’autre européenne), le tout sans rétablissement des contrôles à la frontière. Au moment d’écrire ces lignes, le Parlement européen, tout comme le président du Conseil, Donald Tusk, lui réservaient un accueil plus que mitigé.
Boris Johnson obtiendrait-il par extraordinaire un nouvel accord avec les Vingt-Sept qu’il aurait les plus grandes difficultés à le faire ratifier, ayant perdu sa majorité à la Chambre des communes après avoir tenté d’y suspendre les débats[1]. Resteraient donc, en bout de course, l’option du « no deal », qu’une loi britannique récemment votée interdit cependant, ou celle, plus vraisemblable mais non totalement acquise, d’un nouveau report, assorti d’élections générales anticipées.
Accord ou pas…
Tout en négociant l’Accord de retrait (AR), les Vingt-Sept se sont activement préparés à l’éventualité d’un « no deal ». Pour tenter d’y faire face, le Conseil et le Parlement européens ont adopté une série de mesures d’urgence couvrant des domaines aussi variés que la pêche, les échanges de données, les droits des citoyens, les transports, la chimie ou les médicaments. Les dispositifs sont pour la plupart temporaires et soumis à réciprocité britannique (cf. encadré 3) ; la Commission européenne indique par ailleurs qu’ils ne se substituent en aucune manière aux règles et préférences communautaires, qui cesseront de s’appliquer au Royaume-Uni dès la date du retrait. Leur but est d’atténuer, autant que possible, les conséquences d’un « no deal » que la quasi-totalité des acteurs économiques, à commencer par le patronat britannique, jugent à la fois néfastes et inévitables.
Dans un calcul rendu public récemment[2], l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) évalue à trois points de PIB le déficit de production que les Britanniques auraient à subir d’ici à 2022 en quittant l’UE sans accord. Le National Institute of Economic and Social Research estime quant à lui l’impact à cinq points. Il ne s’agit que d’une moyenne. Eu égard à l’insertion du Royaume-Uni dans les chaines de valeur européennes, les pertes seraient particulièrement lourdes dans les secteurs très intégrés de l’automobile ou de l’aéronautique (graphique 2).
Non négligeable, le choc serait tout de même plus acceptable pour la zone euro, puisque divisé par cinq. Bien entendu, il serait très inégal d’un pays à l’autre, l’Irlande subissant, par exemple, une amputation estimée de sa croissance huit fois supérieure à celle de l’Espagne[3]. Aussi les dispositifs d’accompagnement prévoient-ils de flécher les ressources communautaires disponibles (comme par exemple le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche) vers les secteurs ou régions les plus touchés. Un Brexit sans accord revenant à un saut dans l’inconnu, nul ne peut prétendre en mesurer les conséquences avec exactitude. Le travail économétrique sert donc à titre indicatif. Son mérite est cependant de montrer que l’aventure se terminerait mal pour à peu près tout le monde, ne faisant aucun gagnant, seulement différentes catégories de perdants. A l’approche du 31 octobre, la raison plutôt que l’envie devrait pousser les dirigeants du Royaume-Uni et l’UE à convenir d’un nouveau délai (le troisième) avant de divorcer… ou pas. Des élections générales anticipées pourraient être annoncées outre-Manche, les sondages plaçant pour l’heure Boris Johnson et le parti conservateur en tête des intentions de vote.
… le mal est fait
Quelle qu’en soit l’issue, l’affaire du Brexit aura déjà causé de nombreux de torts à l’économie britannique, difficilement réparables. Les transferts vers le Continent de l’Autorité bancaire européenne, de l’Agence européenne des médicaments, du centre de sécurité du système de positionnement par satellites Galileo, ou simplement des filiales et sièges sociaux de groupes voulant sécuriser leur accès au marché unique, sont autant d’allers vraisemblablement sans retour. Pour la première fois depuis la grande crise financière de 2008, la balance des paiements du Royaume-Uni enregistre de façon chronique des sorties nettes d’investissements directs étrangers.
Sur l’Ile, la conjoncture se dégrade. Les enquêtes auprès des entreprises sont restées mauvaises tout l’été, alors que le PIB s’était déjà contracté au deuxième trimestre. A 49,3 en septembre, l’indice des directeurs d’achats est au plus bas depuis dix ans, abstraction faite de son passage à vide de juillet 2016, après la victoire du « leave ».