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Banques européennes : Accord politique sur les seuils minimums de couverture des expositions non performantes

12/02/2019

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont parvenus à un accord politique sur les seuils minimums de couverture des expositions non performantes des banques.

A l’avenir, les nouvelles expositions devenues non performantes devront être intégralement couvertes par des provisions au plus tard neuf années après avoir été classées en tant que telles ; les seuils s’appliqueront au plus tôt deux ans après le classement de l’exposition en catégorie non performante.

Le compromis accorde ainsi aux banques un délai supplémentaire, comparativement au calendrier proposé initialement, avant que les seuils ne commencent à s’appliquer. De même, le délai pour couvrir intégralement, par des provisions, les expositions devenues non performantes a été étendu.

Les seuils minimums de couverture s’appliqueront uniquement aux expositions prises après la publication, au Journal officiel de l’Union européenne, de cet amendement au règlement sur les exigences en fonds propres (CRR[1]). La date du 14 mars 2018, qui avait été proposée par la Commission européenne, n’a finalement pas été retenue.

Le classement des expositions, fondé sur la durée de l’arriéré de paiement, n’a pas non plus été retenu. En revanche, les prêts immobiliers ou garantis par des actifs immobiliers seront traités plus favorablement. Enfin, les renégociations et les abandons de créances sont encouragés.

Les négociateurs du Parlement européen et la présidence autrichienne du Conseil de l’Union européenne sont parvenus le 18 décembre 2018 à un accord politique sur les seuils minimums de couverture des expositions non performantes (le « prudential backstop »[2]). Cet accord provisoire a été obtenu dans le cadre d’une procédure législative ordinaire (anciennement appelée « codécision »). Il est donc le résultat d’un compromis entre les seuils approuvés par les représentants permanents auprès de l’UE des pays membres[3] et la contre-proposition finale de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen[4].

Plusieurs modifications significatives ont été apportées à la proposition initiale de la Commission européenne[5] notamment au regard des seuils eux-mêmes et de leur calendrier de mise en œuvre (1). Certains aspects de l’amendement ont également été précisés et visent à encourager les renégociations ainsi que les abandons de créances (2).

Le compromis final modifie sensiblement les seuils de couverture et allonge leur calendrier de mise en œuvre

La proposition initiale d’amendement à la CRR envisageait d’imposer des seuils minimums de couverture dès la première année suivant le classement en catégorie non performante d’une exposition. Le compromis final repousse de deux années la mise en œuvre des premiers seuils. Par ailleurs, la durée de l’arriéré de paiement n’est plus un critère déterminant des seuils minimums de couverture.

Les expositions garanties par des biens immobiliers sont distinguées de celles garanties par d’autres instruments

Initialement, la Commission européenne proposait d’appliquer aux expositions devenues non performantes des seuils distincts selon la durée de l’arriéré de paiement. Ainsi, les expositions devenues non performantes, et dont l’arriéré de paiement aurait était supérieur à 90 jours, se seraient vues appliquer des seuils supérieurs à ceux qui auraient prévalu si l’arriéré avait été inférieur à 90 jours (voir tableau 1).

Ce critère des 90 jours est notamment l’un des deux retenus par l’approche réglementaire pour estimer qu’un débiteur est en défaut[6]. L’autre critère repose sur l’estimation par l’établissement bancaire que « […] sauf recours à des mesures telles que la réalisation de la garantie, le débiteur ne pourra probablement pas s’acquitter intégralement de ses obligations […] ». En outre, la nouvelle norme comptable IFRS 9 Instruments financiers[7], adoptée le 1er janvier 2018, ne classe pas automatiquement une exposition en catégorie non performante dès que l’arriéré de paiement dépasse 90 jours.

A l’avenir, les banques disposeront de deux années supplémentaires pour couvrir intégralement par des provisions les expositions garanties par des biens immobiliers (et les prêts immobiliers garantis par une hypothèque ou un dispositif jugé équivalent) qui deviendraient non performantes, comparativement aux expositions garanties par d’autres instruments.

La distinction entre fraction garantie et non garantie de l’exposition est conservée. L’accord final précise également que cette distinction repose sur les mêmes critères que ceux de l’approche réglementaire.

Les expositions devront être intégralement couvertes au plus tard neuf ans après être devenues non performantes

La mise en œuvre des seuils minimums de couverture est repoussée au regard du calendrier proposé initialement par la Commission européenne.

  • Fraction non garantie. Deux années après être devenue non performante, au minimum 35% de la valeur comptable brute de la fraction non garantie d’une exposition devra être couverte par des provisions. Dans l’éventualité où les provisions comptables seraient inférieures à ce seuil, la différence devrait être déduite des actions ordinaires et assimilés (Common Equity Tier 1). Après la troisième année ou au début de la quatrième année, ce seuil devra atteindre 100% de la valeur comptable brute de la fraction non garantie de l’exposition devenue non performante.
  • Fraction garantie. La fraction garantie des expositions sera soumise aux seuils minimums de couverture trois ans (au début de la quatrième année) après qu’elles seront devenues non performantes. Le compromis trouvé entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE accorde ainsi plus de flexibilité aux banques dans la gestion de leurs expositions non performantes. Ces expositions ne sont ainsi pas pénalisées de manière excessive au cours des premières années qui suivent leur classement en catégorie non performante. En effet, cette période est probablement celle au cours de laquelle des mesures telles que la renégociation ou le refinancement sont le plus amplement mises en œuvre afin de favoriser le retour à meilleur fortune du débiteur.
  • Fraction garantie par des biens immobiliers. La fraction des expositions garantie par des biens immobiliers devra être intégralement couverte par des provisions au plus tard neuf ans après être devenue non performante, soit un délai supplémentaire de deux ans comparativement à la proposition initiale. En revanche, la fraction garantie par d’autres instruments devra être couverte à 100% au plus tard sept ans après le classement en catégorie non performante de l’exposition, à l’instar de la proposition initiale du Conseil de l’UE.

Des précisions supplémentaires

L’accord précise que les seuils minimums de couverture s’appliqueront exposition par exposition et, qu’en cas de cession d’une banque à une autre, le classement en catégorie non performante ne sera pas remis en cause. Le seuil de couverture ne sera pas non plus remis à zéro. Les renégociations et les abandons de créances sont, en outre, encouragés afin de faciliter l’assainissement des bilans bancaires.

Les seuils s’appliqueront exposition par exposition

Le compromis final précise que les seuils minimums de couverture s’appliqueront à chaque exposition considérée individuellement. Aussi, les déductions en cas de provisions insuffisantes seront imputées aux fonds propres CET1 des banques exposition par exposition.

Une telle approche se justifie notamment dans la perspective de la cession d’une exposition. Par ailleurs, afin de garantir une égalité de traitement réglementaire entre vendeurs et acheteurs, le seuil minimum de couverture applicable avant et après la cession d’une exposition non performante sera identique. En cas d’achat avec une décote, cette dernière sera traitée par l’acheteur comme un abandon partiel de créance, réduisant proportionnellement le montant des provisions réglementaires.

Les renégociations et les abandons de créances sont encouragés

Les mesures de renégociation sont mieux prises en compte dans la version finale de l’amendement à la CRR. Les expositions qui en feront l’objet se verront ainsi appliquer le seuil auquel elles seront soumises au moment de la renégociation pendant une année supplémentaire.

En revanche, dans l’éventualité où l’exposition ne redeviendrait pas performante au cours de cette période, elle serait soumise l’année suivante au même seuil que si elle n’avait jamais fait l’objet d’une mesure de renégociation. Ce moratoire est de nature à inciter les banques à engager encore plus largement des procédures de renégociation.

Le traitement des abandons partiels de créances est précisé dans la version finale du compromis. Ces derniers sont assimilables à des provisions réglementaires mais, en contrepartie, ils ne sont pas déduits de l’encours des expositions non performantes servant de base au calcul du taux de couverture. La différence entre l’encours comptable des expositions non performantes et la base de calcul des provisions réglementaires sera donc égale aux abandons partiels de créances. Le montant des provisions pour les expositions non performantes concernées par ce type de mesure sera ainsi réduit. L’objectif des auteurs de l’amendement à la CRR est d’encourager les banques à procéder à plus d’abandons de créances dans la perspective d’un assainissement accéléré de leur bilan.

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L’accord politique auquel sont parvenus le Parlement européen et le Conseil de l’UE sur les seuils minimums de couverture des expositions non performantes replace le traitement de ces dernières dans le contexte plus large du renforcement de la stabilité du système bancaire.

Dans la continuité de la mise en place en mars 2018 des « attentes prudentielles » de la BCE en matière de provisionnement des expositions non performantes, qui demeurent juridiquement non contraignantes mais servent à la fixation des exigences en fonds propres supplémentaires au titre du pilier 2[8], la finalisation de l’amendement à la CRR était amplement attendue. L’écart entre les « attentes prudentielles » de la BCE pour les grandes banques placées sous sa surveillance directe et les seuils définis par la Commission européenne, qui ont vocation à s’appliquer à toutes, est finalement réduit.

Le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont pour objectif de renforcer la stabilité du système bancaire notamment en contraignant de facto les établissements à céder davantage d’expositions non performantes. Dans l’éventualité où ces cessions seraient réalisées dans des conditions défavorables aux banques, une telle réglementation serait de nature à accroître les difficultés de certaines. Ce risque serait d’autant plus prégnant que le développement d’un marché secondaire de l’envergure souhaité par la Commission européenne prendrait du temps.

Compromis final sur les seuils minimums de couverture des expositions non performantes


[1] Règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013

[2] European Commission, Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on amending Regulation (EU) No 575/2013 as regards minimum loss coverage for non-performing exposures – Confirmation of the final compromise text with a view to agreement, 03/01/2019

[3] Conseil de l’UE, Prêts non performants : le Conseil approuve sa position sur les exigences en fonds propres pour les créances douteuses des banques, Communiqué de presse 594/18, 31/10/2018

[4] Committee on Economic and Monetary Affairs, Report on the proposal for a regulation of the European Parliament and of the council on amending Regulation (EU) No 575/2013 (COM(2018)0134 – 2018/0060(COD)), European Parliament, 07/12/2018

[5] European Commission, Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on amending Regulation (EU) No 575/2013 (COM(2018)0134 – 2018/0060(COD)), 14/03/2018

[6] Article 178 du Règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013

[7] Règlement (UE) 2016/2067 de la Commission du 22 novembre 2016

[8] Le processus de surveillance prudentielle donne notamment lieu à une évaluation individuelle quantitative et qualitative de la résistance et de la gouvernance des banques qui servent à la définition des exigences supplémentaires en fonds propres (pilier 2), au-delà des exigences minimales de pilier 1.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE