Eco Conjoncture

Bilan des années Modi à la veille des élections

02/04/2019

Le bilan économique de Narendra Modi est globalement positif. Au cours des cinq dernières années, ce dernier a fait adopter d’importantes réformes profitant de sa majorité à la chambre basse du Parlement. Cependant, pour parvenir à augmenter significativement le niveau de revenu par tête et réduire la vulnérabilité extérieure du pays, la poursuite et l’approfondissement des réformes sont nécessaires afin de créer un environnement plus favorable aux investissements domestiques et étrangers. Mais, au vu des derniers sondages, aucun parti n’obtiendrait la majorité à la chambre basse du Parlement lors des élections générales qui se tiendront en avril et mai. Le parti de N. Modi, toujours donné vainqueur, serait contraint de gouverner avec le parti du Congrès. Un tel cas de figure risquerait de rendre plus difficile l’adoption des réformes et pourrait fragiliser les finances publiques.

Cinq ans après l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, et à la veille de nouvelles élections générales qui se tiendront du 11 avril au 19 mai, la situation économique de l’Inde est globalement plus solide qu’en 2014.

La croissance économique est restée dynamique au cours des cinq dernières années. Elle s’est accompagnée d’une hausse des revenus réels qui a permis de réduire le niveau de pauvreté, bien qu’il reste encore élevé.

Les finances du gouvernement ont été consolidées grâce à la rationalisation des dépenses publiques et à l’adoption en 2017 d’un système de taxation sur les biens et services (Goods and Services Tax, GST) commun à l’ensemble des Etats. A moyen terme, la GST devrait permettre d’élargir la base fiscale et accroître la compétitivité du pays même si, à ce jour, les résultats sont inférieurs aux objectifs.

La restructuration du secteur bancaire, bien qu’inachevée, a été favorisée par l’adoption de la loi sur les faillites en 2016. En outre, la croissance du crédit bancaire a accéléré sensiblement après deux ans de ralentissement, même si la situation des banques publiques reste fragile.

Finalement, la position extérieure du pays s’est consolidée par rapport à 2013. Cependant, en dépit d’une amélioration significative de l’environnement des affaires, les investissements directs étrangers (IDE) restent insuffisants pour réduire la vulnérabilité du pays à l’environnement extérieur et soutenir sa croissance potentielle.

Le principal défi du nouveau gouvernement sera de parvenir à dynamiser la croissance afin qu’elle profite davantage à l’ensemble de la population. Même si le taux de pauvreté a diminué, le PIB par tête de l’Inde reste très inférieur à celui des autres pays d’Asie. Le futur gouvernement doit parvenir à créer un environnement économique, financier, fiscal et institutionnel plus favorable aux investissements domestiques et étrangers. Pour cela, il lui faudra poursuivre ses réformes afin d’améliorer davantage l’environnement des affaires, en particulier sur le plan de la gouvernance, de l’éducation, de la libéralisation du marché du travail et de l’acquisition des terres. Le manque d’investissements pèse sur la croissance, les créations d’emplois et accroît la vulnérabilité extérieure du pays. Par ailleurs, la consolidation des finances publiques devra être renforcée afin de dégager les ressources budgétaires suffisantes pour accroître les dépenses d’investissement du gouvernement.

Une croissance toujours concentrée dans les services

La croissance économique indienne a atteint en moyenne 7,5% au cours des cinq dernières années, soit le rythme le plus élevé parmi les pays d’Asie. Cependant, elle ne profite pas suffisamment à l’ensemble de la population. Le PIB par tête, en hausse de 6,2% en termes réels au cours des cinq dernières années, reste faible (USD 2011 en 2018) et le niveau de développement de l’Inde est bien inférieur à celui des autres pays d’Asie. A titre de comparaison, le rythme de croissance du PIB réel par tête de la Chine atteignait en moyenne 9,7% sur la période 2000-2010 pour ensuite décélérer progressivement jusqu’à 6,1% en 2018. En 2017, le PIB par tête à parité de pouvoir d’achat de l’Inde était 2,4 fois inférieur à celui de la Chine, 1,7 fois inférieur à celui de l’Indonésie et 1,2 fois inférieur à celui des Philippines. Il reste toutefois légèrement supérieur à celui du Vietnam. Selon le dernier rapport sur le développement humain de l’ONU, en 2017 le pays était classé 130e sur 188 pays (soit 14 places derrière le Vietnam). Le taux de pauvreté restait élevé à 28% (soit 364 millions de personnes) bien qu’en forte baisse en dix ans.

A son arrivée au pouvoir en 2014, afin d’atteindre un objectif de 10% de croissance par an, le gouvernement Modi avait comme ambition de s’appuyer sur le modèle économique chinois en attirant les investissements étrangers afin de développer son secteur manufacturier. Or, à ce jour, les résultats sont mitigés. En effet, même si le pays est parvenu à accroître ses parts de marché à l’exportation, le secteur manufacturier reste trop peu développé pour favoriser les créations massives d’emplois productifs et ainsi augmenter le niveau de vie de la population.

Croissance du PIB en Asie
PIB par tête en Asie

Structure de la croissance indienne

Pour élever son potentiel de croissance, un pays peut agir sur trois leviers : le capital, le travail et le progrès technique. Dans son dernier rapport, la Banque mondiale estimait la croissance potentielle de l’Inde à 7% et considérait que pour atteindre un rythme de 8% il était indispensable d’accroître les investissements privés et publics.

Des investissements insuffisants

La croissance du capital en Inde est insuffisante. Le taux d’investissement atteignait 32% au cours des cinq dernières années alors qu’il s’établissait à 45% en Chine. Ce manque d’investissement s’explique par trois phénomènes :

  • L’environnement des affaires, qui, bien qu’en nette amélioration, pèse encore sur les décisions d’investissement.
  • Le processus de désendettement des entreprises indiennes sur la période 2014-2017.
  • La base fiscale trop faible pour que le gouvernement parvienne à dégager les ressources nécessaires pour financer ses dépenses d’investissement. Au cours des cinq dernières années, celles-ci sont restées très modestes à 1,7% du PIB par an en moyenne (soit une baisse de 0,1 point de pourcentage par rapport à la période 2008/2012).
  • Les investissements étrangers restent insuffisants. En dépit de l’amélioration de l’environnement des affaires et de l’ouverture du marché indien aux investissements étrangers depuis l’arrivée de N. Modi au pouvoir, le stock d’investissements directs étrangers en Inde n’a augmenté que de 0,8 point de PIB en cinq ans pour atteindre 13,4% du PIB au T3 2018. A titre de comparaison, les flux d’IDE se sont élevés à 2% du PIB par an en moyenne sur la période 2007-2017 soit presque moitié moins que ceux reçus par la Chine entre 2000 et 2010 (3,8% du PIB).

Des créations d’emplois insuffisantes concentrées dans des secteurs à faible productivité

Bien que la main d’œuvre indienne soit très abondante, le rythme de créations d’emplois reste largement insuffisant par rapport à l’augmentation de la population active (6 millions d’emplois auraient été créés annuellement au cours du mandat de N. Modi qui s’était engagé à en créer 10 millions). En effet, la situation sur le marché du travail se serait dégradée au cours des dix dernières années. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT) le taux de chômage aurait augmenté de 1,4 point de pourcentage en dix ans pour atteindre 3,5% en 2017. Le chômage est même supérieur à 10% chez les jeunes. Selon le dernier rapport très polémique publié par l’organisme indien, le National Sample Survey Office, le taux de chômage aurait atteint un point haut de 6,5% en 2017/18. Finalement, selon le Centre for Monitor Indian Economic (CMIE) le taux de chômage et le taux de participation s’établiraient respectivement à 7,2% et 42,7% en février 2019.

Le niveau de l’éducation, bien qu’en progression, reste encore inférieur à celui des autres pays d’Asie (y compris au Vietnam). La part de l’emploi informel reste prédominante (81% selon l’OIT). Un des objectifs de N. Modi, avant sa prise de poste en 2014, était de libéraliser le marché du travail afin d’alléger les contraintes qui pèsent sur les entreprises en matière de licenciement et réduire ainsi la part de l’emploi informel, mais aucune réforme n’a été adoptée dans ce sens pendant son mandat.

L’emploi reste concentré dans des secteurs à faible productivité. En 2016, 46,6%[1] des emplois étaient occupés dans le secteur primaire alors que ce secteur n’a généré que 17,2% du PIB du pays au cours de l’année budgétaire 2017/2018. La part de l’emploi dans les services, bien qu’en hausse continue, reste modeste (30,3% en 2016) alors que les activités dans le secteur des services ont généré 53,5% du PIB en 2017/2018. En dépit de la volonté du gouvernement de développer l’industrie, et notamment le secteur manufacturier (« made in India »), sa part dans le PIB est restée relativement stable au cours des cinq dernières années (16,4% en 2017/2018) et baisse même de 2 points de pourcentage par rapport à 2007/2008. La part de l’emploi industriel, bien qu’en hausse depuis 2010, restait faible (12,8% en 2016 selon l’Asian Productivity Organisation).

Le secteur manufacturier peine à se développer

Globalement, au cours des dix dernières années, le développement du secteur manufacturier est resté faible (+1,3% en moyenne par an) en comparaison avec la forte accélération de l’activité dans les services (+4,1% en moyenne par an). La part de l’industrie dans le PIB a baissé de 3,3 points de pourcentage à 29,3%, même si le gouvernement prévoit pour l’exercice 2018/2019 une hausse à 29,8%. Un changement dans cette tendance a néanmoins été observé après l’arrivée de N. Modi. En effet, depuis 2014/2015, l’activité dans le secteur manufacturier s’est légèrement renforcée. En analysant la structure de la valeur ajoutée au sein du secteur manufacturier, on observe que la part de l’activité dans le secteur des machines et biens d’équipement est restée stable à 3,8%, de même que celle de l’industrie textile.

Toutefois, l’Inde est peu intégrée dans le commerce mondial. Les exportations de marchandises représentaient moins de 19% de son PIB en 2018 contre 97% au Vietnam, et cette part n’a pas cessé de diminuer depuis 2013-2014. Par ailleurs, dans le processus d’intégration dans les chaînes de valeurs mondiales, la participation de l’Inde est l’une des plus faibles en Asie. Elle était estimée, selon l’UNCTAD, à 42% en 2017 contre 50% en Indonésie, 51% au Vietnam, 62% en Chine et 64% en Malaisie.

L’Inde est parvenue à accroître ses parts de marché à l’exportation, lesquelles s’élevaient à 1,7% du commerce mondial en 2017 contre 1% en 2007. Cette progression reflète la hausse des prix des produits primaires et des prix des produits transformés mais aussi une progression des parts de marché dans le secteur manufacturier non transformé.

En effet, si l’on exclut les produits manufacturés issus de la transformation des matières premières, la part de marché à l’exportation de produits manufacturés a augmenté de 0,6 point de pourcentage pour s’élever à 1,4% des exportations mondiales en 2017 contre 0,8% dix ans plus tôt. Les plus fortes progressions ont été enregistrées dans le textile, l’automobile et dans une moindre mesure les produits intermédiaires mécaniques dont les parts de marché ont le plus progressé en dix ans. Cependant, cette amélioration a principalement été enregistrée sur la période 2007-2013. Les parts de marché de l’Inde ont progressé très marginalement depuis, voire baissé dans le secteur textile face à la concurrence des autres pays d’Asie.

Inde : croissance de la valeur ajoutée par secteur d'activité

Décomposition de la croissance

Les investissements directs étrangers restent insuffisants dans le secteur manufacturier

Pour parvenir à développer son industrie, un pays a besoin des investissements directs étrangers (IDE). Or, au cours des cinq dernières années, en dépit de l’amélioration sensible de l’environnement des affaires et de la levée totale des contraintes sur les investissements étrangers par le gouvernement Modi, les investissements étrangers sont restés modestes et concentrés dans les services. Selon le rapport annuel de la Banque centrale indienne, les IDE dans le secteur manufacturier ont atteint moins de USD 9 mds en moyenne par an au cours des cinq dernières années (30% des investissements totaux), soit seulement 0,3% du PIB. A titre de comparaison, sur la période 1995-2000 la Chine recevait en moyenne plus de USD 31 mds par an dans le seul secteur secondaire, soit l’équivalent de près de 2,5% de son PIB.

Environnement des affaires : en nette amélioration

L’environnement des affaires s’est amélioré au cours des cinq dernières années, tant en matière de gouvernance que de facilité à faire des affaires, d’ouverture aux étrangers et de corruption. Cependant, le pays reste moins compétitif que les pays de l’ASEAN (hors Vietnam).

Selon le dernier classement international sur la facilité à faire des affaires (Ease of Doing Business), l’Inde aurait gagné 55 places en cinq ans pour s’établir à la 77e place sur 188 pays, devant les Philippines mais derrière l’Indonésie et le Vietnam.

  • Selon le dernier classement du World Economic Forum sur la compétitivité, l’Inde était classée 58e sur 140 pays, soit 2 places de mieux qu’il y a cinq ans. Néanmoins, la méthodologie utilisée n’étant pas la même, la progression est trop faible pour conclure à une réelle amélioration sauf pour la qualité des infrastructures. Les barrières commerciales, le manque d’efficacité du marché du travail et le niveau de l’éducation sont les principales contraintes. L’Inde est classée derrière l’Indonésie et les Philippines. Elle reste toutefois mieux positionnée que le Vietnam (77e).
  • La qualité de la gouvernance s’est améliorée même si elle reste fragile. Le pays était classé 107e sur 211 en 2017, soit 24 places de mieux qu’il y a cinq ans.
  • La corruption a reculé au cours des cinq dernières années grâce à l’adoption de mesures prises par le gouvernement de N. Modi visant à accroître la digitalisation de l’économie. Le pays était classé 78e sur 180 pays en 2018 (devant l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam), soit 6 places de mieux qu’en 2014.

Pour parvenir à attirer davantage les investissements étrangers et soutenir les investissements domestiques, il est donc nécessaire de poursuivre le processus d’amélioration de l’environnement des affaires en mettant l’accent sur les contraintes qui pèsent sur le fonctionnement du marché du travail, l’éducation, l’accès des femmes à l’éducation et au travail, la réduction des barrières tarifaires.
Par ailleurs, le futur gouvernement devra avancer dans la réforme sur l’acquisition des terres suspendue par le gouvernement Modi en 2015.

Indicateurs de gouvernance en Asie entre -2,5 (faible) et +2,5 (forte)
Environnement des affaires en Asie : classement parmi 188 pays

Consolidation des finances publiques : la base fiscale reste trop faible

Les finances publiques indiennes ne permettent toujours pas au gouvernement de dégager les ressources suffisantes pour financer les investissements publics, en dépit d’une réelle consolidation.

Au cours des cinq dernières années, le gouvernement central est parvenu à réduire son déficit grâce, notamment, à une meilleure rationalisation de ses dépenses. Néanmoins, la base fiscale reste faible. L’adoption en juillet 2017 d’un système de taxation sur les biens et services « Goods and Services Tax » (GST) devrait, à terme, accroître la base fiscale et indirectement renforcer la compétitivité du pays, même si, à ce jour, les résultats restent en deçà des objectifs.

Dans le même temps, la situation budgétaire des Etats s’est dégradée en raison, d’une part, de la prise en charge par certains d’entre eux des prêts aux paysans les plus pauvres (Loans waivers scheme) et, d’autre part, des restructurations de dette des entreprises publiques d’électricité (UDAY scheme).

Ainsi, alors que la dette du gouvernement central a baissé, celle des Etats a augmenté de sorte que la dette publique a atteint 67,6% du PIB en 2017/2018[2] contre 67,1% du PIB en 2013/2014.

Pour l’instant, le risque de refinancement est modéré car la dette publique est presque exclusivement détenue par des agents domestiques, libellée en monnaie locale et avec une longue maturité. Mais, les charges d’intérêt restent importantes et contraignent lourdement les dépenses d’investissement du pays.

Baisse des dépenses à l’origine de la consolidation

Le déficit du gouvernement central était de 3,5% du PIB sur l’exercice 2017/18 et devrait, selon les prévisions du ministère des Finances (MoF), atteindre 3,4% du PIB pour l’exercice 2018/2019 qui s’est achevé au 31 mars 2019, alors qu’il s’élevait à 4,5% du PIB en 2013/2014.

Jusqu’à l’année dernière, la baisse du déficit du gouvernement central résultait principalement d’une réduction des dépenses publiques alors que le ratio des recettes rapportées au PIB restait relativement stable. Mais, au cours du dernier exercice 2018/2019, à la veille des élections générales, le gouvernement a augmenté certaines dépenses en faveur de la population la plus pauvre dans un contexte de légère hausse de ses revenus, reflet de la hausse des recettes de la taxe sur les biens et services.

Au cours des cinq dernières années, les dépenses du gouvernement ont baissé de 1 point de pourcentage à 12,9% du PIB en 2018/2019 :

  • La baisse des dépenses publiques reflète, notamment, la diminution du coût des subventions de 0,7 point de pourcentage (pp) à 1,6% du PIB en 2018/2019.
  • La plus forte baisse porte sur les subventions sur le pétrole
    (-0,6 pp). En effet, dans la continuité du précédent gouvernement, le ministère des Finances a progressivement dérégulé les prix de l’essence et du fioul jusqu’à la mi-2018[3].
  • Les subventions restent concentrées sur les produits alimentaires qui ont augmenté de 0,3 point de pourcentage lors du dernier exercice 2018/2019 pour atteindre 0,9% du PIB.

La baisse des dépenses de subventions a permis de réduire une partie des dépenses incompressibles. Néanmoins, ces dernières limitent la capacité du gouvernement à faire face à un choc sur son économie et à investir dans les infrastructures. Les charges d’intérêts s’élevaient pour l’exercice 2018/2019 à 3,1% du PIB, soit l’équivalent de 32% des revenus du gouvernement selon les estimations du ministère des Finances.

Inde : finances publiques du gouvernement
Inde : déficit budgétaire du gouvernement général

La base fiscale reste faible

Au cours des cinq dernières années, la base fiscale est restée très faible. Selon les premières estimations, les revenus du gouvernement central ont atteint 9,1% du PIB au cours de l’exercice 2018/2019, soit seulement 0,1 point de pourcentage de plus qu’il y a cinq ans. A titre de comparaison, les revenus en Indonésie (parmi les plus faibles en Asie) atteignaient 13,1% du PIB en 2018 et ceux du gouvernement Vietnamien étaient de l’ordre de 23% du PIB selon le FMI.

Néanmoins, derrière ce résultat décevant se cache une réalité légèrement plus nuancée. En effet, les recettes fiscales brutes ont atteint 11,9% du PIB en 2018/2019 alors qu’elles s’élevaient à 10,1% du PIB il y a cinq ans. Les recettes de la GST, qui ont atteint 3,4% du PIB, contribuent à hauteur de 0,8 point. Les prélèvements directs sur les entreprises sont restés stables à 3,5% du PIB, ceux sur les ménages ont augmenté de 0,7 point de pourcentage à 2,8% du PIB[4] alors que les recettes des tarifs douaniers ont baissé de 0,8 point de pourcentage.

Depuis sa mise en place, les recettes de la GST restent encore inférieures aux objectifs fixés par le ministère des Finances (en 2018/2019 l’écart est de 0,6 point de pourcentage). Depuis juillet 2017 la liste des exemptions sur le paiement de la GST n’a cessé de s’allonger. Elle a porté sur la nature des biens et services assujettis à la taxe mais aussi sur les entreprises qui ont à la payer. Les exemptions concernent notamment les petites et moyennes entreprises dont les revenus annuels sont inférieurs à INR 4 millions.

Baisse de la dette du gouvernement central

Au cours des cinq dernières années, la dette du gouvernement a diminué de 3,4 points de pourcentage à 49,1% du PIB en 2017/2018[5]. Le ministère des Finances estime que la dette sera abaissée à 47,8% du PIB à la fin de l’exercice 2018/2019.

La structure de la dette du gouvernement est plutôt saine. Le risque de revalorisation dû à une dépréciation de la roupie est très faible car la dette libellée en devises était inférieure à 3% du PIB fin 2018. Le risque de refinancement est modéré car la maturité moyenne des titres de dette émis est de 10,4 ans. Seulement 3% des titres de dettes ont une maturité inférieure à un an (l’équivalent de USD 22 mds).

Inde : dette publique

Par ailleurs, la dette étant détenue à 93% par des agents domestiques, le pays est relativement protégé d’une hausse de la volatilité à l’international. Les banques commerciales sont les principales détentrices des titres d’Etat (40,5% fin décembre 2018) suivies des compagnies d’assurance (24,6%), de la banque centrale (13,8%) et des fonds de pension (5,5%). La dette extérieure (2,8% du PIB fin 2018) est concessionnelle.

Finances publiques des Etats : hausse de la dette

A l’inverse du gouvernement central, les Etats ne sont pas parvenus à consolider leurs finances publiques. Leur déficit a doublé en pourcentage du PIB entre 2011/2012 et 2016/2017 pour atteindre 3,5% du PIB. Cette détérioration s’est interrompue l’année dernière, le déficit ayant été abaissé à 3,0% du PIB lors de l’exercice 2017/2018. Toutefois, leur dette a continué d’augmenter et est estimée à 23,8% du PIB en 2018/2019.

La dégradation des finances publiques des Etats résulte principalement d’une hausse de leurs dépenses induites par :

  • Leur décision (pour certains d’entre eux) de prendre à leur charge une partie des prêts des paysans les plus pauvres[6] (Loan waivers scheme) dont le coût était estimé à 0,3% du PIB pour l’exercice 2017/2018 ;
  • la prise en charge d’une partie des dettes des entreprises publiques d’électricité dans le cadre de leur redressement financier (Uday Scheme) au cours des exercices 2015/2016 et 2016/2017 (dont le coût était de 0,7% du PIB par an) ;
  • la hausse des dépenses salariales et des primes sur les loyers en application des recommandations de la 7th central pay commission, qui constituent près de 25% des dépenses des Etats ;
  • l’augmentation de leurs charges d’intérêt à 1,7% du PIB en 2017/2018 contre 1,5% du PIB cinq ans plus tôt.

Consolidation difficile du secteur bancaire et financier

La détérioration progressive de la situation financière des banques publiques entre 2011 et 2018 a pesé sur la distribution du crédit bancaire à partir de 2016 et sur les investissements des entreprises. Néanmoins, d’importantes réformes ont été mises en place par le gouvernement Modi et les autorités monétaires indiennes afin d’assainir le secteur bancaire et lui permettre de soutenir la croissance. La loi sur les faillites, la reconnaissance des créances douteuses, la recapitalisation des banques les plus fragiles ont permis une reprise du crédit depuis août 2018.

Néanmoins, le secteur bancaire et financier reste fragile. Les banques publiques ne sont pas parvenues à lever les fonds nécessaires sur les marchés pour respecter les nouveaux critères de solvabilité Bâle III entrés en vigueur au 31 mars 2019. Par conséquent, la recapitalisation des banques publiques par le gouvernement, bien que modeste (1% du PIB), a été bien supérieure aux objectifs initiaux annoncés en octobre 2017. Même si les banques publiques sont aujourd’hui davantage en mesure de répondre aux besoins de financement de l’économie qu’il y a trois ans, la qualité de leurs actifs reste dégradée et la gouvernance est sujette à caution. Par ailleurs, les interconnexions entre les banques publiques et le secteur financier non bancaire (dont la part de marché dans le crédit a fortement augmenté au cours des cinq dernières années) sont une source croissante de risque.

Parmi les ambitions de N. Modi figurait sa volonté de combattre l’économie parallèle et d’assainir le secteur bancaire. Pour lutter contre le marché noir, ce dernier a pris la décision inopinée en novembre 2016 de retirer de la circulation tous les billets de 500 et 1000 roupies. A ce jour, il semblerait que 86% de la masse monétaire en circulation ait ainsi été retirée. Néanmoins, l’impact positif sur l’économie parallèle est très discutable dans la mesure où l’argent liquide continue d’être le principal moyen de paiement.

Restructuration en cours du secteur bancaire

Le Parlement indien a adopté en mai 2016 la loi sur les faillites des entreprises (Insolvency and Bankruptcy code) qui est désormais le seul cadre réglementaire en matière de résolution des défauts de paiement, toutes les autres procédures ayant été supprimées. Les banques disposent de seulement 180 jours à compter de la date du défaut pour restructurer les créances défaillantes de plus de INR 20 mds. Par ailleurs, pour accélérer le processus de résolution des créances douteuses, la banque centrale a abaissé en 2018 le seuil d’obtention d’un accord entre les prêteurs[7]. Elle peut intervenir directement dans le processus de restructuration des crédits afin de conseiller les établissements bancaires en difficulté. Finalement, pour contraindre les banques à provisionner davantage leurs créances douteuses, les autorités monétaires ont exigé, à partir de février 2018, que les créances restructurées et les special mention loans soient considérés comme des prêts non performants.

Banques publiques : stabilisation de la situation

La situation financière des banques, et en particulier des banques publiques, qui s’était fortement détériorée entre 2011 et mi-2018, s’est redressée depuis le deuxième trimestre 2018. Le taux de créances douteuses dans l’ensemble du secteur bancaire a décliné depuis le T2 2018 de 11,5% au T1 2018 à 10,8% au T3 2018 (14,8% dans les banques publiques) et la part des crédits considérés comme « risqués » a été réduite de 12,4% au T1 2018 à 11,3% au T3 2018 (15,4% dans les banques publiques). Dans le même temps, le taux de provisionnement, bien que toujours très insuffisant, s’est élevé à 52,4%. Le ratio de solvabilité de l’ensemble du secteur bancaire et plus particulièrement des banques publiques atteignaient respectivement 13,7% et 11,3% en septembre 2018. Néanmoins, la banque centrale estimait en décembre 2018 que neuf banques publiques ne respecteraient pas le ratio de solvabilité de 9% au 31 mars 2019. Le gouvernement a dû procéder à de nouvelles injections de capital au début de l’année 2019. Le coût total pour le gouvernement des recapitalisations successives entre 2017 et 2019 est estimé à INR 1960 mds soit l’équivalent de 1% du PIB.

Risques induits par le développement du « shadow banking »

La part du shadow banking dans le crédit a doublé au cours des cinq dernières années en raison notamment des difficultés enregistrées par les banques publiques. Dans l’analyse qui suit, nous définissons le shadow banking par le crédit octroyé par les organismes non bancaires, c’est-à-dire principalement les sociétés financières non bancaires (non banking financial companies, NBFC) et les sociétés de prêts du secteur immobilier (Housing finance companies[8], HFC). La part des crédits octroyés par les NBFC et les HFC s’élevait fin septembre 2018 à respectivement 18% et 8% du crédit commercial, soit l’équivalent de 17% du PIB. En outre, 50% des crédits au secteur immobilier sont le fait des NBFC.

Inde : créances douteuses dans le secteur bancaire
Inde : croissance du crédit bancaire

Les NBFC sont sous la supervision des autorités monétaires et doivent respecter des règles prudentielles en matière de fonds propres et de provisionnement des créances douteuses. En revanche, elles ne sont soumises, à ce jour, aucune contrainte en termes de liquidité.

Globalement, leur situation financière s’est dégradée depuis 2015 en raison notamment d’une forte hausse de leur endettement à court terme, laquelle a provoqué un important déséquilibre entre leurs avoirs et engagements de court terme qui a conduit au défaut en septembre 2018 d’une des plus grosses entités (Infrastructure Leasing & Financial Services). Néanmoins, pour l’ensemble du secteur et selon le dernier rapport de la Banque centrale indienne, il apparaît que :

  • La qualité de leurs actifs est moins risquée que celle des banques commerciales car leur ratio des créances douteuses est estimée par la banque centrale à 6,1% en septembre 2018.
  • Leur ratio de solvabilité, bien qu’en baisse de plus de 5 points de pourcentage par rapport à 2015, restait supérieur au taux réglementaire de 15%, car il atteignait 21% en septembre 2018.
  • Leur rentabilité restait faible fin septembre 2018 avec un ROA et un ROE atteignant respectivement 1,8% et 4,4%.

La hausse croissante de la part de marché du shadow banking pose problème en raison des interconnexions croissantes avec le secteur bancaire.

En effet, les prêts bancaires sont l’une des principales sources de financement des NBFC et des HFC (respectivement 47,2% et 41%). Cependant, le risque systémique associé est encore faible car la part des prêts bancaires octroyés par les banques indiennes aux NBFC ne représente que 7% de l’encours total des prêts des banques indiennes en décembre 2018. Les autorités indiennes ont incité les banques à accroître leurs prêts aux sociétés non financières. L’objectif étant de favoriser leur accès au financement long-terme pour réduire les déséquilibres de maturité entre leurs avoirs et leurs engagements.

Vulnérabilité extérieure moins forte qu’en 2013 mais le pays n’attire pas assez les IDE

La vulnérabilité extérieure de l’Inde est aujourd’hui moins forte qu’elle ne l’était en 2013. Néanmoins, le pays n’attire pas suffisamment d’investissements directs étrangers pour accélérer son processus de développement et réduire sa vulnérabilité à la volatilité sur les marchés financiers internationaux. En 2018, le stock d’IDE s’élevait à seulement 14,3% du PIB (contre 22,5% en Indonésie, 21,7% en Chine). L’Inde reste vulnérable à la hausse des prix du pétrole (23% de ses importations) et aux tensions sur les marchés internationaux de capitaux. La baisse des investissements directs étrangers en 2017 et 2018, après deux années de hausse, a rendu le pays beaucoup plus dépendant des capitaux volatils pour financer son déficit courant, même si l’Inde reste moins exposée que l’Indonésie ou la Malaisie à une sortie de capitaux. Par ailleurs, ses réserves de change sont suffisantes pour couvrir ses besoins de financement à court terme.

Consolidation de court terme sur la période 2014-16

Entre 2014 et 2016, le déficit courant de l’Inde a baissé sensiblement pour atteindre en moyenne 1,1% du PIB par an alors qu’il s’établissait à 3,6% du PIB sur la période 2010-2013. Cette amélioration a résulté de la forte diminution du déficit commercial. Importateur de pétrole, l’Inde a bénéficié de la baisse des prix internationaux. Par ailleurs, les investissements directs étrangers ont fortement augmenté en 2015 et 2016, conjointement à la levée des contraintes sur les investissements par le gouvernement Modi, et s’élevaient en moyenne à 2% du PIB par an, alors qu’ils atteignaient 1,6% du PIB par an en moyenne sur la période 2010-2013. Ainsi, pendant deux années consécutives, les investissements directs nets ont couvert le déficit courant, favorisant une forte hausse des réserves de change qui atteignaient 1,7 fois les besoins de financement à court terme du pays en 2016.

Fragilisation des comptes extérieurs depuis 2017

En 2018, les comptes extérieurs se sont à nouveau dégradés conjointement à l’augmentation des prix du pétrole et à la hausse de l’aversion au risque des investisseurs étrangers dans un contexte de durcissement de la politique monétaire américaine.

Les investissements directs étrangers en Inde ont reculé en 2017 et 2018, atteignant seulement l’équivalent de 1,8% du PIB par an en 2018. Ils ne couvrent plus le déficit courant en hausse de 1,7 point de pourcentage par rapport au point bas de 2016, à 2,4% du PIB, en raison de l’augmentation des prix du pétrole, rendant de facto le pays vulnérable à un choc potentiel sur les marchés internationaux de capitaux. Ainsi, en 2018, l’Inde a été, avec l’Indonésie, l’un des pays d’Asie les plus touchés par le mouvement de défiance vis-à-vis des émergents. Les sorties de capitaux (le stock d’investissements de portefeuille a baissé de 1,4% du PIB en 2018) associées au creusement du déficit courant ont généré une dépréciation de la roupie face au dollar de 9% et une baisse des réserves de change de USD 20 mds. Cependant, atteignant plus de USD 400 mds fin mars 2019, elles restent largement suffisantes pour couvrir les besoins de financement à court terme du pays (1,3 fois).

Pour parvenir à réduire sa vulnérabilité extérieure et soutenir sa croissance, le futur gouvernement doit parvenir à stimuler davantage les investissements étrangers. Leur baisse au cours des deux dernières années (par rapport à 2015/2016) est d’ailleurs difficile à expliquer. D’après le dernier rapport de l’UNCTAD paru mi-2018, le montant des IDE à destination des pays émergents d’Asie est resté globalement stable en 2017 ; les investissements vers l’Indonésie et le Vietnam en particulier n’enregistraient pas de baisse en 2017 et 2018[9].

Inde : balance des paiements

Structure de la dette extérieure : modérément risquée

La dette extérieure indienne est modérée et sa structure reste modérément risquée. Elle atteignait fin décembre USD 521,2 mds, soit seulement 19,2% du PIB dont plus de 36% en roupies au T3 2018. La dette extérieure est composée à plus de 37% d’émissions de titres par les entreprises indiennes (external commercial borrowings) et de dépôts des non-résidents (24% de la dette). La dette du gouvernement constituait 20% de la dette extérieure.

Inde : besoins de financement à court terme

Les risques de refinancement de la dette extérieure sont modérés. La dette remboursable à horizon décembre 2019[10] s’élevait fin décembre 2018 à USD 226,6 mds (43,5% de la dette), ce qui représentait 55,7% des réserves de change en mars 2019. Néanmoins, sur les montants « dûs » à moins d’un an, figurent les dépôts des non-résidents. Les remboursements de dette à moins d’un an hors dépôts s’élevaient donc à seulement USD 136,5 mds, soit seulement 33,5% des réserves de change.

Au cours des cinq dernières années, le gouvernement de Narendra Modi est parvenu à faire adopter d’importantes mesures (loi sur les faillites des entreprises, taxe sur les biens et services, ouverture aux investissements étrangers) profitant de sa majorité à la chambre basse du Parlement. Néanmoins, pour parvenir à augmenter significativement le niveau de revenu par tête et réduire la vulnérabilité à l’environnement extérieur, le nouveau gouvernement – qui sera élu le 23 mai 2019 – devra aller encore plus loin dans ses réformes afin de créer un environnement plus favorable aux investissements domestiques et étrangers.

Les marges de manœuvre du gouvernement pour les cinq prochaines années dépendront des résultats des élections générales.


[1] Données d’emplois publiées par l’Asian Productivity Organisation (APO), septembre 2018.

[2] Calculs réalisés avec les nouvelles séries de PIB.

[3] En octobre 2018 les prix du fioul ont été abaissés afin de réduire les pressions sur le pouvoir d’achat des ménages dans un contexte pré-électoral.

[4] Une meilleure gestion fiscale a permis d’augmenter sensiblement le nombre de personnes assujetties au paiement de l’impôt sur le revenu.

[5] Données calculées avec les nouvelles séries de PIB publiées en janvier 2019 par le CSO indien.

[6] L’Andra Pradesh et le Telangana sont les premiers Etats à avoir annoncé une annulation d’une partie des prêts des paysans en 2014. En 2016, ce fut le tour du Tamil Nadu, puis en 2017, des Etats du Maharasthra, de l’Uttar Pradesh et du Punjab. En 2018 ce fut tout d’abord le Rajasthan et le Karnataka puis l’Assam, le Chhatisgarh et le Madhya Pradesh après les élections législatives de la fin de l’année calendaire.

[7] Il suffit désormais d’obtenir l’accord de 50% des créanciers détenteurs de 60% de la créance.

[8] Selon le rapport de Crédit Suisse en date du 12/12/2018, les Non Banking Financial Companies (NBFC) et les Housing Finance Companies (HFC) seraient à l’origine de près de 60% des financements par dette hors crédits bancaires (crédits octroyés par les NBFC et les HFC + titres de dettes émis par les entreprises).

[9] Pour ces deux pays, les IDE sont restés stables en 2018 également (jusqu’au 1er semestre dans le cas du Vietnam).

[10] Dette à court terme et dette à moyen et long terme remboursable à moins d’un an.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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