Eco Emerging

Bilan économique à la veille des élections

17/04/2019

Croissance robuste en 2018, malgré un ralentissement au T3 2018/19

Au troisième trimestre de l’exercice budgétaire 2018/2019 (octobre-décembre 2018) la croissance économique a ralenti à 6,6% en glissement annuel (g.a.). Ce ralentissement s’explique en partie par la décélération des dépenses du gouvernement alors que la consommation des ménages et les investissements sont restés dynamiques. L’activité a ralenti dans le secteur primaire alors qu’elle est restée robuste dans l’industrie et les services. Pour soutenir sa croissance, la banque centrale indienne a abaissé à deux reprises (février et avril) ses taux directeurs profitant de la modération des tensions inflationnistes (+2,6% en février en g.a.) et de la fin du durcissement de la politique monétaire américaine.

Sur l’ensemble de l’année calendaire 2018, la croissance économique a atteint 7,4% (contre 6,9% en 2017) soit l’un des rythmes les plus élevés au sein des pays en Asie. A titre de comparaison, elle a atteint 5,2% en Indonésie, 6,2% aux Philippines, 6,6% en Chine et 7,1% au Vietnam. Cependant, en dépit d’une croissance solide, le revenu par tête de l’Inde reste faible (USD 2016).

Consolidation de la situation des entreprises

Prévisions

La situation des entreprises privées non financières s’est sensiblement améliorée et elle est aujourd’hui plus solide qu’elle ne l’était en 2011, date à laquelle elle avait commencé à se dégrader.

Depuis 2014, les entreprises indiennes dans leur ensemble sont dans un processus de consolidation financière. Leur ratio de dette rapportée au PIB a diminué de 5 points de pourcentage pour atteindre 57% au T3 2018. Selon les données sur les entreprises privées non-financières cotées publiées par la banque centrale, leurs charges d’intérêts ont baissé et s’élevaient à 22,3% des profits avant impôts au T4 2018 alors qu’elles atteignaient plus de 35% en 2014. Par ailleurs, la croissance de leur chiffre d’affaires a fortement accéléré depuis la fin 2017 générant une hausse des profits nets de près de 25% au T4 2018 en dépit d’une hausse de la masse salariale. Ainsi, leurs profits avant impôts couvraient 4,5 fois leurs charges d’intérêt au T4 2018 contre seulement 2,8 fois en 2014.

La situation reste néanmoins très fragile dans certains secteurs d’activité, notamment les télécommunications et l’énergie. Selon Crédit Suisse[1], 96% et 58% des entreprises respectivement du secteur des télécommunications et de l’énergie ont des charges d’intérêts supérieures à leurs profits nets avant impôts. Dans le secteur de la métallurgie qui concentrait encore fin septembre 2018 le taux de crédits risqués[2] le plus important (34,2% des crédits selon la banque centrale), les entreprises sont parvenues à consolider sensiblement leur situation financière grâce à la hausse de leur chiffre d’affaires mais surtout grâce à la baisse de leur endettement. Leurs profits nets avant impôts couvraient 11,7 fois le paiement des intérêts au T3 2018 contre 4,3 fois en 2014.

Les IDE insuffisants

Ralentissement de la croissance au T3 2018/19

En 2018, pour la première fois depuis 2013, la balance des paiements (hors variations des réserves de change) a affiché un déficit estimé à 0,2% du PIB. Il s’explique par une forte hausse du déficit courant associée à une baisse des entrées nettes de capitaux.

Le déficit courant a atteint 2,4% du PIB en 2018, en hausse de 0,9 point de pourcentage par rapport à 2017. Cette détérioration reflète la forte hausse du déficit commercial qui a augmenté de 1,1 point de pourcentage à 6,9% du PIB. Les exportations ont crû de seulement 5,9% sur l’ensemble de l’année alors que la hausse des importations a atteint 12,1%, conséquence de l’augmentation des investissements et de la facture pétrolière.

Dans le même temps, les entrées nettes de capitaux ont baissé pour atteindre seulement 2,2% du PIB en 2018 (contre 3% du PIB en 2017). Les investissements directs nets étrangers (1,2% du PIB en 2018), en recul par rapport au point haut de 2015-2016, ne suffisent plus à couvrir le déficit courant, rendant le pays dépendant des investissements de portefeuille et donc vulnérable à la volatilité sur les marchés financiers internationaux. Or, les sorties nettes d’investissement de portefeuille ont atteint l’équivalent de 0,4% du PIB. Les entrées nettes de capitaux financiers étant insuffisantes pour couvrir la hausse du déficit courant, les réserves de change ont baissé de USD 20 mds et la roupie s’est dépréciée face au dollar de 9% sur l’ensemble de l’année 2018. Les réserves de change restaient cependant suffisantes pour couvrir largement les besoins de financement à court terme du pays (1,3 fois). Par ailleurs, les entreprises indiennes sont légèrement moins exposées au risque de revalorisation de leur dette induit par la dépréciation de la roupie face au dollar qu’en 2013/2014. La part de la dette extérieure libellée en dollars s’élevait à seulement 45,9% de la dette totale fin 2018 alors qu’elle atteignait plus de 63% cinq ans plus tôt.

Au T1 2019, la balance des paiements semble s’être renforcée au vu de l’évolution positive de la roupie et des réserves de change. Sur les deux premiers mois de l’année, le déficit commercial a légèrement diminué grâce à la baisse des importations.

L’un des objectifs du futur gouvernement sera de parvenir à stimuler davantage les IDE afin de soutenir la croissance et réduire la dépendance aux capitaux volatils. En dépit d’une amélioration significative de l’environnement des affaires pendant le mandat du gouvernement Modi, les flux d’IDE sont restés modestes et le stock d’IDE s’élevait à seulement 14,3% du PIB en Inde fin 2018 (contre 22,5% du PIB en Indonésie et 21,7% du PIB en Chine).

Fin des tarifs préférentiels vers les Etats-Unis ?

Balance des paiements (somme sur 4 trim. % du PIB)

Depuis 1974, l’Inde bénéficie de tarifs préférentiels pour certains produits exportés à destination des Etats-Unis dans le cadre de la Generalised System of Preferences (GSP) visant à favoriser le développement des pays émergents. Or, le président Trump a annoncé qu’il pourrait supprimer cet avantage dans la mesure où des contraintes pèsent lourdement sur les ventes de produits américains en Inde, en particulier dans le domaine médical et les produits de première nécessité comme le lait.

L’impact sur l’économie indienne serait néanmoins modéré. Selon la US International Trade Commission, le montant des exportations indiennes vers les Etats-Unis au titre de la GSP s’élèverait à USD 6,2 mds, ce qui représente 11,5% des exportations à destination des Etats-Unis soit l’équivalent de 0,23% du PIB. Les produits sont des produits mécaniques, des véhicules, de l’acier et du fer, des produits chimiques mais aussi des produits de consommation.

D’importants défis pour le futur gouvernement ?

Entre le 11 avril et le 19 mai se tiendront les élections générales qui permettront de renouveler l’intégralité de la chambre basse du Parlement et de nommer un Premier ministre pour les cinq prochaines années.

Alors que le bilan du gouvernement de Narendra Modi est globalement positif grâce notamment à l’adoption de la taxe sur les biens et services (GST), la couverture biométrique de la population (projet Aadhaar) et la loi sur les faillites des entreprises, les défis qui attendent le futur gouvernement sont très importants. En effet, même si le revenu par tête en termes réels a fortement augmenté (+6,8% par an en moyenne au cours des cinq dernières années) et que le taux de pauvreté a baissé, les emplois productifs sont insuffisants et la part de l’emploi informel reste trop élevée (81% selon l’Organisation internationale du travail) pour augmenter significativement le niveau de développement du pays.

Le futur gouvernement devra parvenir à créer un environnement plus favorable aux investissements domestiques et étrangers. Ses efforts devront notamment porter sur l’éducation (pour tous) et le marché du travail (faciliter l’accès aux femmes, réduire les contraintes à l’embauche et les coûts supportés par les entreprises en cas de licenciement).

[1] India corporate health tracker, February 2019.

[2] Somme des crédits non performants et des crédits restructurés.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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