Editorial
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Brexit
Trois mois après, on pourrait être tenté de qualifier le référendum britannique de non-évènement économique. Il est en fait beaucoup
trop tôt pour juger de ses effets au-delà des pressions à la baisse sur la livre. L’enjeu pour le Royaume-Uni est de continuer à attirer
les investisseurs internationaux alors que le pays risque de perdre l’accès au marché européen. La situation est d’autant plus
compliquée que la politique monétaire pèse de tout son poids sur les taux d’intérêt, et que les finances publiques ne manqueront pas
de se détériorer. Tout plaide pour une longue dépréciation de la livre, qui ne soutiendrait que marginalement l’activité, tout en pesant
sur l’attractivité du pays…
Notre monde fait la part belle à l’instant. Tout peut être su, analysé
et compris en temps réel grâce aux moyens de communication
modernes. Ne pas reconnaître leur efficacité serait nier la modernité.
Mais cette immédiateté a son revers, étant souvent synonyme de
fugacité : si on apprend dans l’instant, on oublie aussi rapidement.
Le fait que l’actuelle faiblesse de l’inflation reste un mystère pour
certains ne s’explique pas différemment. Sauf à se souvenir qu’il y a
moins de dix ans l’économie mondiale traversait la plus aiguë des
crises depuis les années 1930, on ne saurait expliquer que des
économies affichant des taux de croissance proches du potentiel ne
génèrent pas d’inflation. Notre passé est crucial. Notre avenir l’est
tout autant. Il faut alors ne pas confondre « impacts » et
Une chose est certaine : la livre souffre des anticipations d’un
Royaume-Uni sortant avec pertes et fracas de l’Union. Depuis le 23
juin, la devise britannique a perdu plus de 15% en termes effectifs.
Les effets négatifs se diffuseront rapidement : perte de pouvoir
d’achat pour les ménages, augmentation des coûts de production
pour les entreprises. Le soutien qui pourrait être attendu de la
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baisse de la livre est aussi à nuancer : si les exportateurs
répercutent sur leurs prix de vente tout ou partie de l’augmentation
du coût des intrants, les gains de compétitivité externe seront limités
d’autant. Le précédent épisode de dépréciation de la livre – de plus
de 25% en termes effectifs en 2007-2008 – n’avait ainsi pas
bénéficié à la balance commerciale britannique.
«
conséquences ». Aujourd’hui, l’erreur serait de conclure que le
Les effets les plus dévastateurs restent à venir. Dans la presse,
sans être précises, les annonces se multiplient. Des banques
américaines s’inquiètent de la pérennité du « passeport
européen » ; les autorités japonaises accusent le Royaume-Uni de
faillir à sa promesse de ne jamais quitter l’Europe ; des groupes
industriels menacent de geler leurs investissements tant que ne
seront pas précisés les nouveaux tarifs douaniers, ou comment
ceux-ci seraient compensés par des subventions. Le monde des
« affaires » rappelle que l’installation dans les îles britanniques était
davantage liée aux 500 millions de consommateurs européens
qu’aux 64 millions de Britanniques...
référendum britannique n’aura pas de conséquences parce qu’il n’a
pas eu d’impact sur des enquêtes qui n’auront flanché que
temporairement. Après avoir envoyé des signaux alarmants, les
indices retrouvaient des couleurs dès le mois suivant, pour
s’installer au plus haut sur plusieurs mois. L’incertitude avait dicté
l’attentisme. Sa levée guidait le retour à la normale.
Sauf que le Brexit … n’a pas eu lieu ! Il aura lieu. Pendant quelques
semaines, on a pu jouer avec l’idée que la créative Albion trouverait
une solution pour échapper à sa propre décision : un référendum
qui n’engage pas, contrairement à un vote de la Chambre des
communes ; le besoin de rappeler la population aux urnes après
que les mensonges du camp du Brexit ont été dénoncés ; la
nécessité de valider non pas seulement la sortie, mais aussi ses
modalités, quitte à se résigner à rester européen si aucun plan
n’apparaissait convaincant… Début octobre, Theresa May a
tranché : les négociations entre Britanniques et Européens
débuteront au cours du premier trimestre 2017, pour une séparation
effective qui pourrait intervenir au printemps 2019.
Ce que craignent les économistes, c’est bien le tarissement des flux
entrants d’IDE. Ces investissements directs étrangers ont plusieurs
atouts : ils sont souvent associés à des gains de productivité liés à
l’importation de technologies et permettent une couverture stable
des besoins de financement extérieurs. Pour rappel, le Royaume-
Uni affiche l’un des plus importants déficits courants du monde, à
environ 6% du PIB. Le pays doit donc attirer les capitaux étrangers,
ce que la politique de la Banque d’Angleterre, justifiée au vue des
perspectives détériorées de croissance, complique en maintenant
des taux d’intérêt faibles. Dans le même temps, les finances
publiques ne manqueront pas d’être affectées – il faudra soutenir le
pouvoir d’achat des ménages, attirer les IDE en soutenant la
compétitivité des entreprises, compenser les subventions
européennes d’hier… – et les pressions sur la livre ne pourront que
s’accentuer. Le référendum britannique n’a pas eu d’impact. Le
Brexit aura des effets. Ils joueront dans la durée, et apparaîtront au
travers d’une croissance ralentie. Plus qu’un cataclysme, il s’agira
d’une érosion, difficile à élaborer en 140 caractères.
Les priorités britanniques ne sont pourtant pas si claires. Theresa
May, tout en soulignant l’importance de conserver à son pays un
accès privilégié au marché européen, place la maîtrise des flux
migratoires au centre des objectifs, bien que cela ne soit possible
qu’au prix d’une moindre liberté de circulation des biens, des
services, et des capitaux. Il y a le texte et le contexte : c’est devant
le parti Conservateur que Theresa May a fait ces déclarations, et on
en comprend ainsi mieux la dureté. Se pose alors la question de
l’engagement ou de la posture... De ce discours, on peut se
demander s’il ne visait pas à rallier les Brexiters à un plan de sortie
dont ils pourraient ne pas aimer les contours. On peut aussi y voir la
volonté d’afficher une fermeté à quelques mois des négociations
avec les Européens…
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Le contenu en importations des exportations britanniques est de 23,1%, contre 24%
pour les pays de l’OCDE, 15% aux Etats-Unis et 14,7% au Japon (14,7%).
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Editorial
4éme trimestre 2016
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