Edito

Désynchronisation monétaire : un casse-tête en perspective ?

26/09/2021
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Sur le front monétaire, les vents sont en train de tourner. Si l’on ne peut pas encore parler de vents contraires, ils finiront tout de même par être moins favorables dans certains pays. La Banque centrale norvégienne a ainsi relevé son taux directeur à 0,25 %, la semaine dernière, précisant que, devant la reprise vigoureuse de l’économie du pays, il est de plus en plus probable que, fin 2022, le taux d’intérêt officiel atteigne 1,25 %[1]. Selon le Comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, les évolutions récentes plaident en faveur d’un léger durcissement de la politique monétaire sur la durée de son horizon de prévision, c’est-à-dire jusqu’au troisième trimestre 2024[2].

Aux États-Unis, Jerome Powell a laissé entendre, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du FOMC, que le tapering (réduction progressive des achats d’actifs) commencerait très probablement en novembre. Ce changement a été si bien préparé qu’il s’agira probablement d’un non-événement. Les rendements obligataires sont néanmoins remontés, les investisseurs se focalisant à présent sur les projections de taux d’intérêt – les fameux dots – des membres du FOMC, désormais plus nombreux à s’attendre à un relèvement du taux cible des Fed funds l’année prochaine et a fortiori en 2023 (graphique 1).

À côté de ces (subtiles) rodomontades, les autorités monétaires de la zone euro semblent bien silencieuses, en dehors de leur insistance à rappeler que l’arrêt du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (pandemic emergency purchase programme, PEPP) ne constitue pas un tapering. Les indications prospectives de la BCE sur les taux d’intérêt sont parfaitement claires et il semble très probable que les conditions permettant d’envisager une hausse des taux ne soient pas réunies avant plusieurs années[3].

La désynchronisation monétaire entre les États-Unis et la zone euro semble donc inévitable. Elle résulte d’évolutions très différentes en termes d’inflation (graphique 2). Selon une analyse du dernier Bulletin économique[4] de la BCE, le degré de sous-utilisation des capacités reste plus élevé dans la zone euro qu’aux États-Unis. Dans ce pays, des facteurs spécifiques, comme le bond des prix des voitures d’occasion, ont également joué un plus grand rôle. Enfin, aux États-Unis, les hausses de prix sont plus largement réparties.

ÉVALUATIONS DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE APPROPRIÉE PAR LES MEMBRES DU FOMC : POINT MÉDIAN DE LA FOURCHETTE CIBLE OU DU TAUX CIBLE DES FONDS FÉDÉRAUX. NOMBRE DE MEMBRES DU FOMC ET PROJECTION MÉDIANE DE LA FOURCHETTE CIBLE OU DU TAUX CIBLE

INFLATION SOUS-JACENTE AUX ETATS-UNIS ET DANS LA ZONE EURO (G.A. EN %)

La désynchronisation monétaire facilite-t-elle ou complique-t-elle la tâche de la Banque centrale européenne pour atteindre son objectif d’inflation ? L’influence du resserrement de la politique monétaire américaine sur les conditions financières dans la zone euro constitue un facteur clé à court terme. La perspective d’une augmentation du taux des fonds fédéraux devrait conduire à une remontée des rendements des Treasuries, ce qui pourrait exercer des pressions à la hausse sur ceux du Bund. Au cours du cycle de resserrement précédant aux États-Unis, les rendements des Treasuries ont augmenté d’environ 150 points de base. Ceux du Bund se sont également tendus, quoique à un degré moindre du fait de conditions économiques différentes, mais aussi de la poursuite des achats d’actifs par la BCE.

POLITIQUE MONÉTAIRE AMÉRICAINE ET MARCHÉS FINANCIERS

Lorsque la Fed commencera à relever ses taux, le programme d’achats d’actifs (asset purchase programme, APP) pourrait, en cas de besoin, offrir la souplesse nécessaire pour protéger les marchés obligataires de la zone euro face aux conséquences de la politique monétaire américaine. Autre canal de transmission : le taux de change. La divergence monétaire et l’augmentation consécutive des différentiels de rendements obligataires pourraient affaiblir l’euro face au dollar et soutenir les exportations[5]. Cela renchérirait néanmoins aussi les importations, une part importante étant facturée en dollars[6].

Dans l’ensemble, l’effet net devrait être limité. Même si nous tablons sur un raffermissement du dollar, il convient de rappeler qu’au cours du cycle de durcissement précédent, le billet vert avait, en réalité, cédé du terrain face à l’euro. Les exportations devraient jouer un plus grand rôle à moyen terme, une fois que le cycle de resserrement monétaire aux États-Unis sera bien engagé. La croissance de la demande intérieure américaine va alors ralentir, ce qui pèsera sur les importations et, par conséquent, sur les exportations de la zone euro vers les États-Unis.

Une telle évolution compliquerait la tâche de la BCE si, à ce moment-là, l’inflation n’avait pas encore atteint son objectif. C’est ici que réside le principal risque de la désynchronisation monétaire : alors que l’objectif semble à portée de main, la zone euro pourrait pâtir d’un choc négatif de demande extérieure, qui éloignerait encore davantage la réalisation de son objectif d’inflation. Espérons que le cycle de relèvement des taux aux États-Unis sera lent et très progressif pour laisser le temps à la zone euro de construire une dynamique de croissance suffisante permettant de générer plus d’inflation. En attendant, la BCE n’a d’autre choix que de garder le pied sur l’accélérateur monétaire.

[1] Norway raises interest rates, says another hike likely in December, Reuters, 23 septembre 2021.

[2] Source : Banque d’Angleterre, résumé de politique monétaire et minutes de la réunion du Comité de politique monétaire, qui s’est terminée le 22 septembre 2021.

[3] Voir « BCE : une orientation accommodante dont on ne voit pas la fin », Ecoweek, BNP Paribas, 13 septembre 2021.

[4] Comparaison des évolutions récentes de l’inflation aux États-Unis et dans la zone euro, Bulletin économique de la BCE n° 6 / 2021, BCE.

[5] C’est là le principal facteur sur lequel reposent nos prévisions de raffermissement du dollar face à l’euro, à 1,12 au T4 2022 et à 1,10 au T4 2023.

[6] Pour la plupart des pays de la zone euro, le dollar joue un rôle nettement plus important comme monnaie de facturation pour les importations que pour les exportations. Voir : Euro fort : plus significatif pour l’inflation que pour la croissance, Ecoweek, BNP Paribas, 2 mars 2018.

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