Eco Emerging

Meilleure stabilité macroéconomique

17/04/2019

Reprise de la croissance, inflation faible et stabilité du taux de change

Avec le retour au calme après la longue période électorale de 2017, la croissance économique s’est accélérée au Kenya. Le nouveau gouvernement Kenyatta a défini quatre axes de développement sur les cinq années à venir[1] pour accroître le potentiel de croissance du pays et créer une économie à revenu intermédiaire. D’après les estimations du Bureau national des statistiques, la croissance du PIB réel s’est inscrite à 6,0% au troisième trimestre 2018, contre 4,7%, un point bas, au T3 2017. La reprise de 2018 a été portée par les bons résultats du secteur agricole (+6% en g.a. sur les neuf premiers mois, grâce à de meilleures conditions météorologiques), par une croissance résiliente du secteur des services (+7% en g.a.) et par le rebond du secteur manufacturier (+2% en g.a.) grâce à un meilleur approvisionnement en électricité et en eau.

Prévisions

L’atténuation de l’incertitude politique a restauré la confiance, comme en témoigne la stabilisation du shilling (KES). La bonne tenue de la monnaie kényane s’explique en premier lieu par la réduction du déficit de la balance courante, due à l’amélioration des recettes des services, à la hausse des exportations de thé et de produits horticoles. Elle s’explique également par les envois de fonds de la diaspora qui compensent la forte demande de dollars pour les importations manufacturières et énergétiques. Elle reflète aussi d’importants flux d’investissements directs, qui ont atteint USD 925 millions en 2018 (1,3% du PIB, +38% en g.a.).

La hausse des tarifs de l’énergie mi-2018 et les augmentations d’impôts en septembre dernier ont exercé des pressions sur les coûts de l’énergie à fin 2018, malgré le répit qu’a apporté la baisse des prix du pétrole. Le taux d’inflation a progressé à 4,3% en mars 2019 (contre un point bas de 4,0% en août 2018), mais des pluies abondantes et des prix alimentaires stables ont permis de maintenir l’inflation à l’intérieur de la cible de 2,5 %–7,5 % fixée par la banque centrale.

La modération de l’inflation et la stabilité du shilling ont permis à la banque centrale d’assouplir sa politique monétaire en 2018, avec un léger recul des taux d’intérêt par rapport à 2017[2].

Faible crédibilité fiscale et besoins de financement élevés

Les comptes publics du Kenya ont pâti d’une faible crédibilité fiscale jusqu’en 2017 et de l’accroissement de la dette publique. Les déficits budgétaires se sont élevés en moyenne à 8% du PIB sur les cinq dernières années en raison d’une politique budgétaire expansionniste motivée par divers facteurs (nouvelle constitution en 2010, élections, aide aux victimes de la sécheresse, important programme social prévu dans le cadre du plan «?Big Four?» sur la durée du mandat du président Kenyatta).

Rebond de l’industrie et résilience des services

En 2018, suite à un important ajustement budgétaire, le déficit a reculé à 6,8% du PIB contre 8,5% en 2017. Pour parvenir à ce résultat, les autorités ont réduit les dépenses de développement (de 2,7 points de pourcentage du PIB) sur fond de baisse significative des recettes (15,5% du PIB contre 16,3% l’année précédente). En septembre 2018 plusieurs mesures ont été adoptées pour compenser la chute des recettes[3]. En janvier 2019, le Trésor a néanmoins publié un projet de budget révisant à la hausse les objectifs de déficit (6,3% du PIB en 2019 et 5% en 2020 contre 5,8% et 4,7%, respectivement, dans les projections précédentes).

Compte tenu de ces nouveaux objectifs de déficit, la dette publique est appelée à augmenter (elle est attendue à 59% du PIB en 2019). Les paiements d’intérêts, qui représentaient 21% des recettes budgétaires en 2018 contre 13% deux ans plus tôt, ont diminué la marge de manœuvre budgétaire. La situation reste gérable mais elle implique une hausse des emprunts internes et externes. Au plan interne, le gouvernement a annoncé l’émission, en avril, de bons du Trésor à 10-20 ans pour un montant de KES 50 mds (environs 1% du PIB) afin de financer le budget 2018/2019.

Le gouvernement prépare également le lancement d’une troisième émission souveraine d’environ USD 2 mds en 2019 soit 2,3% du PIB (la première émission obligataire, pour un montant de USD 2,75 mds, a eu lieu en 2014 ; sa tranche à cinq ans, de USD 750 millions, sera remboursée en juin prochain?; la deuxième obligation, pour un montant de USD 2 mds, avait été émise en février 2018). Cependant, le choix de la date dépendra des conditions du marché car l’appétit pour le risque souverain kényan s’est détérioré, le spread des obligations d’État en dollars s’établissant à 490 pb contre 280 au début de 2018. Le Trésor envisage en outre l’émission d’un prêt syndiqué d’USD 1 md. Le recours grandissant à ces emprunts privés accroît les risques de change et de refinancement. Pour limiter les coûts des emprunts extérieurs, le gouvernement a repris les négociations avec le FMI en vue d’un nouvel accord de prêt en 2019 après l’expiration, en septembre 2018[4], du précédent accord de confirmation.

Vers un déplafonnement des taux d’intérêt prêteurs

Détente monétaire, inflation modérée et stabilité du KES

L’un des changements demandés par le FMI est l’abrogation de la loi relative au plafonnement des taux d’intérêt sur les prêts bancaires[5]. Ce plafonnement a pénalisé les prêts aux petites et moyennes entreprises, même si la croissance du crédit au secteur privé se détériorait déjà auparavant en raison de contraintes structurelles (niveaux de provisionnement des prêts et de reporting insuffisants, défaillances en termes de gouvernance) et des difficultés économiques. La limitation des taux d’intérêt prêteurs a eu pour effet de réduire l’accès au crédit des petites entreprises, les banques préférant prêter aux administrations publiques et aux grandes entreprises, ce qui a entraîné une distorsion de l’allocation du crédit.

La limite sur le taux d’intérêt des dépôts a été supprimée l’année dernière. En revanche, en mars 2019, la Cour suprême de Nairobi a déclaré inconstitutionnelle l’application du plafonnement des taux d’intérêt sur les crédits. La loi a été suspendue pour une période de douze mois mais les taux d’intérêt des prêts n’en restent pas moins plafonnés au niveau actuel pour laisser le temps au Parlement de réexaminer les passages jugés anticonstitutionnels.

De janvier 2018 à janvier 2019, l’encours total des prêts a augmenté de 5,4% (+16% pour les prêts au gouvernement). Le taux d’intérêt moyen se situant actuellement à 12,5% contre presque 10% pour le rendement des obligations d’Etat, la croissance du crédit au secteur privé est restée morose (+3%). Le taux des créances douteuses est toujours élevé (12,5% en janvier 2019). Par ailleurs, la liquidité globale du système s’est améliorée grâce à une hausse des dépôts bruts (+12,6% en g.a. en janvier 2019).

La suppression du plafonnement des taux d’intérêt va certainement entraîner une hausse de ces derniers à moyen terme. Selon la Banque mondiale, cette mesure pourrait encourager l’offre de crédit de la part des banques notamment les prêts aux ménages (prêts à la consommation et prêts hypothécaires) et aurait un effet positif sur la consommation privée. Par ailleurs, une telle mesure pourrait accélérer la signature d’un accord de crédit avec le FMI.

[1] Dit le «Big 4», le plan se décline en quatre axes : la sécurité alimentaire, l’accessibilité au logement, le développement de l’industrie manufacturière et la couverture maladie universelle.

[2] En janvier 2019, le taux d’intérêt pondéré des prêts bancaires commerciaux se situait en moyenne à 12,5 % contre 13,7 % sur la même période en 2018.

[3] Les amendements de la loi de finances 2018 prévoient l’augmentation de plusieurs prélèvements à la source (virements bancaires et transferts de par téléphone, eau en bouteille, véhicules essence ou diesel de grande capacité) et en créent de nouveaux (confiserie et services de données Internet), ainsi qu’une contribution au Fonds national pour le développement du logement déduite du salaire brut mensuel des employés.

[4] En 2016, un accord d’un montant de USD 1,6 md avait été signé avec le FMI, qui avait été prolongé en mars 2018 pour six mois, en échange de: i) poursuivre la consolidation fiscale, ii) améliorer les canaux de transmission de la politique monétaire et à iii) abroger la loi sur les taux d’intérêt. En septembre 2018, le gouvernement n’a pu obtenir une nouvelle prolongation en raison de certains points de désaccord (comme la loi sur le plafonnement des taux d’intérêt).

[5] La modification de la loi sur les services bancaires (Banking Amendment Act) a été introduite en septembre 2016 pour remédier aux taux d’intérêt élevés pratiqués par les banques. Cette loi fixe le taux d’intérêt sur les crédits à un maximum de 4% au-dessus du taux directeur et le taux d’intérêt plancher sur les dépôts à 70% au moins du taux directeur.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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