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Menaces sur la reprise

15/04/2021
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La forte reprise économique attendue en 2021 pourrait être fragilisée par la deuxième vague de Covid-19 et une nouvelle poussée d’inflation. Par ailleurs, le gouvernement cherche à accélérer le rythme des réformes pour soutenir la croissance à moyen terme et améliorer l’environnement des affaires. Mais la population multiplie les manifestations pour s’y opposer, notamment à l’encontre des privatisations sur lesquelles compte le gouvernement pour réduire son déficit budgétaire. Le secteur bancaire reste pour l’instant suffisamment solide pour faire face à la hausse des risques de crédit. Néanmoins, pour soutenir la reprise du crédit, une nouvelle injection de capital dans les banques publiques a déjà été prévue ainsi que la création d’un organisme de défaisance.

La reprise fragilisée par la hausse de l’inflation et la deuxième vague de Covid-19

PRÉVISIONS

D’après les estimations du gouvernement, le PIB réel pour l’année budgétaire 2020/2021, achevée au 31/03/2021, se serait contracté de 7,7% (contre +4,2% en 2019/2020). Pour l’année 2021/2022, la banque centrale prévoit un rebond de 10,5%. Néanmoins la reprise pourrait être fragilisée à la fois par la deuxième vague de Covid-19 et les fortes pressions inflationnistes.

Depuis le mois de mars, le nombre de cas positifs au Covid-19 a très fortement augmenté, en particulier dans l’État du Maharashtra, lequel génère une partie importante de l’activité économique (14,5% du PIB).

LES PRIX REPARTENT À LA HAUSSE EN FÉVRIER

Le 4 avril, le gouvernement a donc pris la décision d’imposer dans cet État un couvre-feu, de fermer les commerces considérés comme non essentiels et d’imposer un confinement le week-end. Depuis, de nouvelles mesures sanitaires ont été imposées dans d’autres États alors même qu’une très faible partie de la population a été vaccinée (2,9% avait reçu une première dose de vaccin fin mars).

Par ailleurs, la ré-accélération récente de l’inflation (+5% en février en glissement annuel contre 4,1% en janvier), induite notamment par l’augmentation des prix alimentaires et ceux des transports dans un contexte de forte hausse des prix du pétrole, pourrait fragiliser la reprise sachant que ces produits constituent respectivement 39% et 8,6% du panier de consommation des ménages indiens. Dans un contexte de hausse des taux longs américains, la Banque centrale indienne pourrait ainsi décider de durcir sa politique monétaire pour contrer la hausse des prix et soutenir sa monnaie, même si, fin février, l’inflation était encore inférieure à sa cible de 4% +/- 2 points de pourcentage.

Un budget dépendant des recettes de privatisation

Les finances publiques sont structurellement fragiles en raison d’une faible base fiscale et d’une proportion toujours élevée de dépenses incompressibles, bien que les subventions du gouvernement aient diminué depuis 2014.

La crise économique induite par l’épidémie de Covid-19 les a fragilisées encore davantage. Selon les prévisions du ministère des Finances, le déficit du gouvernement pourrait avoir atteint 9,5% du PIB sur l’année budgétaire 2020/2021 et celui de l’ensemble des administrations pourrait être proche de 15% du PIB. Sur les dix premiers mois de l’exercice budgétaire 2020/2021, la hausse du déficit a principalement résulté d’une augmentation des dépenses, et notamment des subventions aux ménages les plus pauvres dont la part dans les dépenses totales a doublé pour atteindre près de 19%1.

Pour l’année budgétaire 2021/2022 (du 1er avril 2021 au 31 mars 2022), le ministère des Finances prévoit une réduction du déficit du gouvernement à 6,8% du PIB et celui de l’ensemble des administrations devrait être ramené à 11,0% du PIB.

Le gouvernement prévoit de réduire son déficit de 18,5%, grâce à une hausse des recettes fiscales, induite par une reprise de l’activité économique, et une forte augmentation des revenus générée par la privatisation d’entreprises publiques (dont deux banques, une compagnie d’assurance, des entreprises de distribution d’électricité, les chemins de fer et la compagnie aérienne Air India). Mais l’objectif des recettes des privatisations (0,8% du PIB contre une moyenne de 0,4% du PIB au cours des trois dernières années) semble particulièrement ambitieux, alors que la volatilité sur les marchés boursiers reste forte et les vagues de protestations contre les privatisations sont importantes.

Le montant total des dépenses publiques devrait rester stable (ce qui se traduira par une baisse des deux points de pourcentage des dépenses rapportées au PIB). Il pourrait même augmenter car le gouvernement prévoit d’accroître ses dépenses de santé et ses investissements en infrastructures.

Le soutien à la reprise économique semble ainsi être la priorité du gouvernement plutôt que la consolidation de ses finances publiques qui reste hypothétique. Selon l’agence de notation Fitch, la dette du gouvernement pourrait ainsi excéder 90% du PIB dès l’exercice 2020/2021 et se maintenir à ce niveau au cours des cinq prochaines années. À ce jour, le risque de refinancement de la dette reste contenu. Néanmoins, la forte hausse des dépenses d’intérêts (+32% sur l’année budgétaire 2020/2021) est une source d’inquiétude alors même que les recettes du gouvernement restent extrêmement faibles. La charge d’intérêts devrait représenter plus de 42,5% des revenus du gouvernement sur l’exercice 2021/2022, soit sept points de plus qu’au cours de l’exercice 2019/2020. En outre, les pressions inflationnistes pourraient générer une hausse des rendements sur les obligations d’État à long terme qui restaient début avril encore contenus à 6,2% (pour les titres à dix ans), c’est-à-dire à un niveau encore inférieur à celui d’avant la crise de la Covid-19.

Secteur bancaire : le gouvernement annonce la création d’un organisme de défaisance

Dans son dernier rapport sur la stabilité financière paru en janvier 2021, la banque centrale faisait état d’une situation dans le secteur bancaire plus solide au T3 2020 qu’au cours des cinq dernières années ; bien qu’elle reste fragile. La part des créances douteuses était moins importante (7,5%), les provisions plus élevées (elles couvraient 72,4% des créances douteuses) et les ratios de solvabilité plus confortables (15,8%). Par ailleurs, jusqu’en décembre 2020, les banques ont augmenté leurs provisions en prévision d’une hausse des créances douteuses sans pour autant les enregistrer comme telles. À partir du T2 2021, la dégradation de la qualité de leurs actifs sera enregistrée car la Cour suprême a confirmé (en mars 2021) que le moratoire sur les remboursements en application entre mars et août 2020 ne pouvait s’étendre au-delà du mois d’août 2020, et que la régularisation devait intervenir en mars. Néanmoins, selon les agences de notation et la banque centrale, les banques devraient être en mesure de faire face à une hausse des risques de crédit même si la banque centrale estime que la part des créances douteuses devrait atteindre 13,5% au T3 2021. La principale source d’inquiétude porte davantage sur leurs besoins de recapitalisation pour respecter leurs ratios de solvabilité et pouvoir accroître leur offre de crédit, alors même qu’elles vont devoir augmenter leurs provisions. Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé dans son budget pour l’année en cours qu’il injectera INR 200 mds de capitaux supplémentaires (0,2% du PIB) dans les banques publiques après une recapitalisation d’un même montant au cours de l’exercice budgétaire précédent. Néanmoins ces montants restent très en-deçà des besoins estimés par l’agence de notation Moody’s (entre INR 1,9 trn et INR 2,2 trn).

LE CRÉDIT BANCAIRE AUX ENTREPRISES EN BERNE

Pour aider à l’assainissement des bilans bancaires et soutenir la reprise du crédit bancaire, le gouvernement a annoncé la création d’un organisme de défaisance. Aucun détail n’a pour l’instant été donné. Mais le transfert des créances douteuses libèrerait des capitaux pour les crédits (actuellement utilisés pour renforcer les provisions).

Par ailleurs, depuis le mois de mai 2020, le gouvernement et la Banque centrale indienne ont mené des politiques de soutien aux ménages et aux entreprises, en particulier aux petites et moyennes entreprises. Néanmoins, en dépit de la politique d’assouplissement monétaire de la banque centrale, laquelle s’est pourtant traduite par une baisse des taux moyens du crédit de 130 points de base (les taux directeurs ayant été abaissés de 115 pb entre janvier 2020 et mars 2021), le rythme de croissance reste modeste.

En dehors des crédits octroyés pour l’achat de produits alimentaires, les crédits aux ménages ont décéléré et ceux aux grosses entreprises se sont contractés en raison de la baisse de leurs investissements. En outre, ces dernières n’ont pas eu besoin d’un soutien financier pour faire face à la crise car, même si les chiffres d’affaires ont enregistré de très fortes baisses, les profits ont augmenté grâce à la forte diminution du coût du travail et des prix des matières premières sur la majeure partie de l’année 2020.

Seuls les prêts octroyés aux entreprises de taille moyenne (18% des crédits) ont enregistré une croissance extrêmement forte depuis le mois de septembre (+19,1% en g.a. en janvier 2021), avec le programme de prêts garantis par l’Etat (Emergency Credit Line Guarantee Scheme), mis en place depuis le 23 mai 2020 et ayant pris fin le 31 mars 2021. Il visait à répondre aux besoins de financement des petites et moyennes entreprises. Selon le gouvernement, à fin janvier 2021, INR 1,9 trn de prêts bancaires (hors sociétés financières non bancaires) avaient été accordés au titre de ce programme (36,6% des crédits accordés durant l’année).

1 Une partie des dépenses de subventions alimentaires au cours de l’année 2020/2021 reflète le paiement des retards de paiement par le gouvernement à la Food Corporation of India.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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