La Banque centrale européenne (BCE) a fait preuve une nouvelle fois d’une grande proactivité. Au-delà des discussions autour d’une redéfinition de la politique monétaire et de ses objectifs, Mario Draghi agit en cohérence avec son mandat. L’efficacité des mesures annoncées lors de la réunion de politique monétaire du 12 septembre dernier, et certains des effets pervers qu’elles engendreraient sont désormais au centre des questionnements. M. Draghi a insisté une fois encore sur la nécessité d’un plus grand soutien budgétaire.
La BCE prépare le terrain à un soutien budgétaire accru
“In view of the weakening economic outlook and the continued prominence of downside risks, governments with fiscal space should act in an effective and timely manner”. L’appel à une politique budgétaire plus expansionniste dans les pays disposant de marges de manœuvre est désormais unanime du côté du Conseil des gouverneurs de la BCE. L’outil budgétaire serait aujourd’hui le principal instrument pouvant augmenter la demande et permettre un début de normalisation des taux d’intérêt.
A ce titre, la nouvelle phase d’assouplissement monétaire qui s’ouvre continue d’assurer à la politique budgétaire des conditions de financement particulièrement favorables. En effet, la BCE a fait des annonces fortes lors de la réunion du 12 septembre. Malgré les réticences affichées de certains membres du Conseil des gouverneurs, la BCE et son président Mario Draghi ont voulu agir vite. Afin de respecter son mandat et l’objectif d’inflation associé, un package de mesures a donc été annoncé :
- Un renforcement de la « forward guidance » qui exclut toute hausse de taux avant que l’inflation ne converge de manière robuste vers 2%. La communication fait par ailleurs explicitement référence à la composante sous-jacente de l’inflation ;
- Un assouplissement des conditions assorties aux prêts à long terme accordés aux banques de la zone euro (TLTRO), en termes de taux et de durée ;
- Une réduction du taux de dépôt, appliqué notamment aux réserves excédentaires des banques, à -0,5% (après -0,4%), qui s’accompagne de la mise en place d’un système de « tiering ». Ce système permet d’exempter de taux négatifs une partie des réserves des banques afin de limiter les effets négatifs sur les marges d’intérêt ;
- La réactivation des achats nets d’actifs dans le cadre de son programme de rachat d’actifs (quantitative easing, QE) à hauteur de EUR 20 mds par mois à partir de novembre 2019, pour une durée pour le moment indéterminée. Ces opérations permettraient d’augmenter de nouveau le bilan de la BCE, aujourd’hui à environ 40% du PIB de la zone, et ainsi de maintenir une pression baissière sur les taux longs en zone euro.
Les mesures non conventionnelles prises par la BCE depuis 2014 ont eu un effet macroéconomique positif. En l’absence de telles mesures, la croissance du PIB et l’inflation auraient été inférieures[1]. Les incertitudes actuelles qui pèsent sur la zone euro sont en grande partie d’origine externe (voir 2e partie). Dans ce contexte, l’efficacité des nouvelles mesures annoncées pourrait être plus limitée que lors des phases précédentes d’assouplissement monétaire.
La future présidente de l’institution monétaire, Christine Lagarde, s’inscrit globalement dans la lignée de M. Draghi. Lors d’un discours récent face au Parlement européen, l’ancienne dirigeante du FMI a souligné l’importance d’un soutien budgétaire en ces temps de ralentissement. Mme Lagarde a par ailleurs rappelé la nécessité d’approfondir la coopération institutionnelle de la zone euro, à travers notamment la création d’un outil budgétaire commun.
Découplage industrie-services : une situation inédite ?
Le ralentissement économique actuel de la zone euro s’inscrit dans un ralentissement plus global, à la fois dans les économies avancées et sur les marchés émergents. Depuis une année 2017 dynamique, la croissance du PIB en zone euro apparaît affaiblie, atteignant seulement +0,3% en moyenne au 1er semestre 2019 (+0,2% au T2 2019 après +0,4% au T1). Globalement, la consommation privée, principal soutien à la croissance début 2019, résiste dans le contexte actuel de baisse du taux de chômage et de dynamisme des salaires. L’investissement de son côté ralentit, compte tenu en partie du niveau élevé des incertitudes. Malgré l’environnement international peu porteur et après avoir été un frein important à l’activité en zone euro en 2018, le commerce extérieur a soutenu la croissance au 1er semestre 2019.
Depuis plusieurs mois, la situation économique en zone euro est marquée par une forte dichotomie entre la dynamique du secteur industriel manufacturier et celle des services. Depuis début 2018, le secteur industriel a négativement contribué à la croissance globale en zone euro (cf. graphique 3). A l’inverse, le secteur des services résiste encore, face à une demande interne soutenue par l’amélioration de la situation sur le marché du travail. Les publications économiques les plus récentes pour la zone euro confirment ce découplage. Très suivi par les observateurs, l’indice des directeurs d’achats (PMI), qui reflète par secteur l’état de santé de l’économie, affiche une baisse marquée depuis la fin de l’année 2017 dans le secteur manufacturier (cf. graphique 4), tandis qu’il résiste dans les services.
Structurellement, l’activité dans le secteur manufacturier est plus sensible aux chocs, notamment externes. Toutefois, la situation actuelle apparaît relativement inédite au regard de la courte histoire de la zone euro. Le PMI manufacturier est particulièrement faible compte tenu du niveau encore élevé de celui des services. Hormis en 2008-2009, un tel écart n’avait jamais eu lieu depuis la création de la monnaie unique (cf. graphique 4). Ce constat est d’autant plus vrai pour l’économie allemande dont le secteur manufacturier et le taux d’ouverture sont plus importants que dans les pays voisins. L’absence de rebond sur le front du commerce mondial, la confirmation du ralentissement économique chinois, les incertitudes générées par les tensions commerciales et les négociations autour du Brexit, pèsent sur la demande externe et donc sur le secteur manufacturier en priorité. Bien qu’ils occupent une part croissante, les services ne représentent aujourd’hui qu’environ 20% des exportations mondiales[2].
Combien de temps cette situation peut-elle durer ? Jusqu’à quand les activités de services résisteront-elles aux difficultés du secteur manufacturier ? La dynamique de la demande interne, en particulier la consommation privée, est déterminante. Ainsi, à court terme, la situation sur le marché du travail est à observer de près.