En 2016, l’Egypte était dans une impasse économique dramatique. En plus d’une détérioration significative des finances publiques, le creusement du déficit courant et l’absence d’entrées de capitaux ont conduit l’économie au bord de l’asphyxie en raison du manque de devises disponibles. Le développement accéléré de la production gazière et le retour de la confiance des investisseurs dans le cadre d’un programme de réformes, soutenu par le FMI, ont permis une amélioration spectaculaire des comptes extérieurs. Le déficit courant s’est fortement réduit et la liquidité en devises est de nouveau à un niveau acceptable.
Cependant, les performances du commerce extérieur ont été décevantes en 2017/18 et 2018/19. Malgré la dépréciation de moitié de la livre suite à la libéralisation du marché des changes en novembre 2016, le solde commercial reste lourdement déficitaire (respectivement USD 37,3 mds et USD 38 mds en 2017/18 et 2018/19).
Amélioration en demi-teinte
L’amélioration des comptes extérieurs du secteur des hydrocarbures est significative depuis deux ans. Tandis que son déficit s’élevait à USD 5,4 mds en 2016/17, les données provisoires pour 2018/19 affichent un excédent symbolique de USD 8 millions. Depuis octobre 2018, le solde gazier est redevenu positif. Les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) ont repris grâce à la mise en production du champ gazier Zohr et ont atteint, selon JODI[1], 500 mm3 en moyenne mensuelle au S1 2019 après un arrêt total en 2014 et 2015. Par ailleurs, les importations de GNL ont cessé depuis novembre 2018 après avoir atteint 740 mm3 en moyenne mensuelle en 2017. Si le pays reste largement importateur net de produits pétroliers, le déséquilibre s’est réduit depuis deux ans. En moyenne, les exportations ont triplé depuis 2016 pour atteindre 0,127 million de barils par jour (mb/j) au premier semestre 2019, tandis que les importations se sont réduites de 9% en moyenne durant la même période (0,293 mb/j en S1 2019). Il semble que la hausse du prix du pétrole au cours de l’année fiscale 2018/19 (+8% pour le Brent) ait eu des conséquences plutôt positives étant donné la hausse du volume des exportations de pétrole.
Le bilan est pour le moment beaucoup moins flatteur concernant le solde commercial de l’économie hors hydrocarbures. Son déficit a atteint le niveau record de USD 38 mds en 2018/19, équivalant à 12,7% du PIB.
Les exportations ont été pratiquement stables en valeur en 2017/18 et 2018/19 après avoir progressé de plus de 10% les deux années précédentes. Si on considère la forte hausse des exportations d’hydrocarbures en volume (+10% pour le pétrole et dérivés, +240% pour le GNL) et la progression de 11% des exportations totales de biens en volume, calculée par le FMI[2], on peut estimer que le volume des exportations non pétrolières se soit contracté en 2018/19. De leur côté, les importations ont continué de progresser régulièrement depuis 2016/17. Elles sont pour une large part incompressibles, tant du côté des biens d’équipement que des biens de consommation. Elles ont augmenté de 9% en valeur en 2017/18 et 2018/19.
Des contraintes multifactorielles
La raison la plus évidente des performances décevantes des exportations hors pétrole est la hausse des coûts de production qui a suivi le flottement de la livre égyptienne. La forte hausse du coût des importations et les augmentations salariales généralisées, dans un contexte d’inflation galopante, n’ont pas permis aux exportateurs de profiter du gain de compétitivité prix.
Plus généralement, même si l’on sait que les effets positifs d’une forte dépréciation du change sur les exportations sont limités dans le temps, une comparaison internationale effectuée par la Banque mondiale[3] a souligné la faible élasticité des exportations égyptiennes à une forte dépréciation du taux de change. Selon cette étude, le positionnement des biens exportés en termes de caractéristiques et de destination géographique ne favorise pas leur intégration dans le commerce mondial. Environ 25% des exportations de biens sont à destination des pays arabes dont le commerce international est parmi les moins dynamiques. En moyenne, la croissance en volume des importations des pays arabes étaient de 1,6% entre 2014 et 2018 (+3,3% au niveau mondial). Les difficultés politiques en Afrique du Nord, notamment en Libye, et le faible dynamisme économique des pays du Golfe ont affecté les exportateurs égyptiens. A contrario, l’Asie, qui est la zone économique la plus dynamique (+4,2%), ne reçoit que 10% des exportations égyptiennes.
De plus, le contenu technologique des principales exportations est limité. Il s’agit principalement de produits extractifs bruts (hydrocarbures, minéraux, produits agricoles) ou de produits manufacturiers à faible contenu technologique (textile, biens alimentaires). Par ailleurs, les avantages comparatifs égyptiens[4] sont concentrés sur des marchés faiblement porteurs (coton, engrais, tabac et oléagineux). Seules les exportations d’équipements électriques, d’huiles essentielles et de fruits et légumes se situent sur des marchés en croissance au niveau mondial. Or, elles ne représentent qu’un peu plus de 15% des exportations égyptiennes.
Selon la Banque mondiale, les barrières non tarifaires, telles que les contraintes administratives, les obligations techniques et sanitaires ou encore le manque d’infrastructures, affectent l’ensemble du commerce extérieur égyptien et constituent une contrainte au dynamisme des exportations.
Le gouvernement a récemment relancé sa politique de soutien aux exportations par un certain nombre de mesures mises en place par le fonds de développement pour les exportations : soutien financier direct, avantages fiscaux et fourniture de services (formation, communication). Au total, ce soutien pourrait représenter environ 10% du montant des exportations et sera lié à certains critères afin de favoriser les PME ou encore les exportations vers le reste du continent africain.
Perspectives mitigées
La balance commerciale des hydrocarbures devrait continuer à s’améliorer à court terme avec la poursuite des exportations de GNL. Cependant, étant donné la hausse continue des besoins énergétiques intérieurs, seule la mise en production d’un nouveau champ gazier important pourrait empêcher le solde énergétique de redevenir négatif d’ici 2 à 3 ans.
Concernant le solde commercial du secteur des biens hors hydrocarbures, les perspectives restent mitigées et nous ne prévoyons pas d’amélioration significative. A court terme, l’appréciation de la livre couplée à la baisse tendancielle de l’inflation devrait réduire la compétitivité des exportations égyptiennes. Le taux de change réel de la livre s’est apprécié de 47% depuis fin 2016 tandis qu’il s’est déprécié de 12% en Turquie et est resté pratiquement stable au Maroc. Etant donné la dynamique légèrement moins favorable des comptes externes à horizon d’une année et malgré la volonté de la banque centrale de contenir l’inflation, la livre devrait se déprécier modérément à court terme. Par ailleurs, les perspectives du commerce mondial sont négativement orientées à court terme.
Les investissements directs étrangers (IDE) pourraient être un moyen de faire face aux contraintes structurelles pesant sur les exportations égyptiennes, en permettant notamment de monter dans les chaînes de valeur internationales. Quelques multinationales se sont d’ailleurs récemment installées en Egypte. Cependant, les entrées d’IDE hors hydrocarbure sont pour le moment bien en deçà des espérances.