Ralentissement contrôlé
Nous avons révisé à la hausse notre prévision de croissance pour 2019, de 4% à 4,3%, et à la baisse celle pour 2020, de 3,5% à 3,3%. En dépit des tensions commerciales internationales, de l’essoufflement de la croissance en zone euro et de la contraction du PIB en Allemagne au T2 2019, l’activité économique polonaise a encore surpris positivement sur la première partie de l’année. Au S1 2019, le PIB affichait une croissance encore vigoureuse de 4,4% en glissement annuel (g.a.), certes en ralentissement par rapport aux 5% observés en 2017-2018, mais toujours supérieur à la moyenne sur cinq ans (4%). En variation trimestrielle, le ralentissement est plus sensible (de 1,4% t/t cvs-cjo au T1 à 0,8% au T2) et il va se poursuivre. Le contexte international plaide pour un tassement des exportations, de la production et de l’investissement privé au cours des prochains trimestres, affectant in fine la consommation, principal moteur de la croissance.
Décevante au T1, la consommation des ménages (61% du PIB), a rebondi au T2 (+1,2% t/t cvs-cjo et +4% g.a.). Les tensions sur le marché du travail, symbolisées par un taux de chômage historiquement bas (3,3% en août selon les statistiques harmonisées Eurostat) ont maintenu une forte pression à la hausse sur les salaires nominaux (+7% g.a. au S1). Les ventes au détail sont restées bien orientées en août, tout comme la confiance des ménages en septembre. La demande domestique a aussi bénéficié d’un policy mix expansionniste, favorisé par certaines marges de manœuvre budgétaires. Vainqueur des élections législatives, le parti conservateur (PiS), au pouvoir depuis 2015, a promis une revalorisation du salaire minimum de 78% d’ici 2023.
L’investissement a bondi de 10,6% g.a. au S1, toujours soutenue par l’investissement des entreprises et l’investissement public en infrastructure. Le taux d’utilisation des capacités de production s’est maintenu à un niveau historiquement élevé de plus de 80% depuis un an. Les exportations de biens et services sont demeurées dynamiques en glissement annuel (+4,9% en volume au S1 et +8,5% en valeur sur les sept premiers mois de l’année), participant à la bonne tenue des comptes extérieurs, malgré la forte croissance des importations.
Toutefois, les exportations ont ralenti en rythme trimestriel au S1
(-0,4% t/t cvs-cjo au T1 et +1% au T2) et la production industrielle, notamment manufacturière, a marqué le pas en août (-1,3% g.a. et +0,6% g.a. en moyenne mobile sur trois mois). Ce ralentissement est perceptible au travers des dernières enquêtes de confiance auprès des entreprises du secteur manufacturier (septembre), plus pessimistes quant à la situation économique générale, au carnet de commandes domestiques et à l’exportation ainsi que la production et l’emploi. L’indice PMI manufacturier corrobore ce sentiment de dégradation des perspectives à court terme.
Le risque de ralentissement économique au second semestre a conduit la banque centrale (NBP) à maintenir le statu quo sur les taux d’intérêt début octobre (1,5% depuis 2015). La NBP a réitéré le caractère transitoire d’une inflation supérieure à la cible de 2,5%, imputable largement à la hausse des prix alimentaires. L’inflation sous-jacente atteignait 2,4% en septembre, et l’inflation générale (IPC) a ralenti de 2,9% g.a. en août à 2,6% en septembre.
Retour sur une transition économique réussie
Depuis le début des années 1990, la Pologne a mené une politique de libéralisation économique qui, combinée aux réformes institutionnelles et à la stabilité politique, a permis une croissance économique ininterrompue depuis 1992 (4,2% par an en moyenne). Selon la classification de la Banque mondiale, la Pologne est un exemple de transition réussie d’une économie planifiée à niveau de « revenu moyen-faible » (USD 6 600 par habitant en parité de pouvoir d’achat en 1992) à une économie de marché fortement intégrée au sein de l’Union européenne (UE) et dans les chaînes de valeurs mondiales, classée à « haut revenu » depuis 2009 (USD 32 000 par habitant en 2018).
Selon l’approche classique de décomposition de la croissance en fonction des facteurs de production (capital et travail) et de l’évolution de la productivité globale des facteurs (TFP), nos estimations indiquent que l’accumulation de capital a contribué à hauteur de 61% à la croissance du PIB sur la période 1996-2018. Les gains d’efficience mesurés par la contribution à la croissance de la TFP ont été à l’origine de 34% de la croissance, le reliquat provenant de l’accumulation du facteur travail. Pour reprendre la terminologie de Paul Krugman, la « transpiration » pour la croissance, c’est-à-dire la contribution des facteurs de production, s’est opérée quasi-exclusivement par l’accumulation du capital physique. Dans le même temps, l’« inspiration » a trouvé sa source à la fois dans le progrès technique, l’amélioration du cadre institutionnel, de l’environnement des affaires et du capital humain.
Selon Marc Schiffbauer et Gonzalo Varela[1], « l'intégration progressive dans l'UE a stimulé la croissance et la productivité grâce à trois facteurs clés: (i) une ouverture accrue au commerce, aux investissements et aux talents, (ii) une concurrence domestique accrue et une harmonisation réglementaire avec l'UE, (iii) un ancrage des réformes par un engagement envers les institutions de l'UE ». A côté de l’investissement privé domestique et étranger, l’investissement public a bénéficié des co-financements européens, notamment dans le cadre de projets d’infrastructures, la Pologne étant le premier récipiendaire de fonds structurels européens.
Parallèlement, le déclin démographique a limité l’accroissement de la population active et de l’emploi : baisse du taux de fertilité (1,4 enfant par femme en 2018 contre 2 en 1990), solde migratoire structurellement négatif et solde naturel (naissances moins décès) négatif depuis 2013, vieillissement de la population (17% de plus de 65 ans en 2018 contre 9% en 1990) et taux d’activité inférieur à la moyenne européenne (70% contre 74% pour l’UE en 2018 selon Eurostat), notamment chez les femmes.
Toutefois, à défaut d’une augmentation de la quantité de travail, la qualité de l’emploi a progressé à travers l’amélioration du niveau d’éducation et la montée en compétences de la force de travail, en lien avec la sophistication de la production et des exportations. La part de la population active (15-64 ans) diplômée de l’enseignement supérieur est ainsi passée de 10% en 1997 à 27% en 2018 (données Eurostat), se rapprochant de la moyenne de l’UE (29%).
Freins à la croissance potentielle
Certains facteurs structurels pèsent sur le potentiel de croissance économique à moyen et long terme[2]. Autour d’un scénario central (M) établissant la croissance potentielle à 2,9% à l’horizon 2025, nous estimons une hypothèse basse de 2,4% (scénario B) et une hypothèse haute de 3,4% (scénario H).
Le principal facteur différenciant ces trois scénarios est la contrainte démographique. Les projections démographiques établies par l’Office statistique polonais, Eurostat, les Nations unies, et l’US Census Bureau s’accordent sur une accélération de la baisse de la population polonaise, initiée en 2014, au cours des prochaines décennies (-0,3% par an d’ici 2030). Malgré les mesures de politique familiale (allocations familiales, crèches, etc.) et une marge de progression du taux d’activité (notamment féminin), seul un recours massif à l’immigration pourrait contrebalancer le déclin démographique et éviter une contribution négative du facteur travail à la croissance économique à l’horizon 2025.
Par ailleurs, des facteurs conjoncturels et structurels plaident pour un ralentissement de la croissance de l’investissement, et donc l’accumulation du facteur capital, à court et moyen terme. Les taux de croissance de l’investissement observés depuis deux ans ne pourront pas se maintenir au même niveau avec le retournement attendu du cycle de l’investissement privé en machines-équipements et dans la construction, et la réduction attendue des dotations européennes au titre des fonds structurels pour 2021-2027 (investissement public).
Enfin, la qualité de l’environnement des affaires, l’amélioration du capital humain et la recherche de gains de productivité à travers l’innovation et la montée en gamme des produits polonais seront primordiales pour soutenir la croissance économique à moyen et long terme.