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Pouvoir d’achat, le grand gain

12/05/2019

En 2019, les gains de pouvoir d’achat des ménages français sont attendus en forte hausse. D’après nos prévisions, ils seraient proches de 2,5 %, soit la progression la plus importante depuis 2007.

Ce gain important a plusieurs origines. Les baisses d’impôts sont la partie la plus visible mais le soutien aux revenus d’activité et les revalorisations de prestations sociales sont également déterminants.

Le reflux de l’inflation y participe aussi mais il constitue un facteur réversible, notamment si la remontée actuelle des prix du pétrole se poursuivait.

Le pouvoir d’achat des ménages est, de manière récurrente, au cœur des débats en France. L’attention particulière dont il fait l’objet aujourd’hui est à mettre en regard de la décennie écoulée au cours de laquelle il a très peu progressé. Cette faiblesse constitue l’un des facteurs explicatifs du malaise social actuel, exprimé par le mouvement des « gilets jaunes ». Une partie de la réponse se trouve donc dans un redressement du pouvoir d’achat, notamment au travers de baisses d’impôts.

Trois salves de mesures ont été prises en ce sens : celles inscrites aux budgets 2018 et 2019, les mesures d’urgence économiques et sociales (MUES) votées fin décembre 2018, et les mesures postérieures au grand débat national annoncées le 25 avril 2019 lors de la conférence de presse d’Emmanuel Macron. Les deux premières salves soutiennent des gains de pouvoir d’achat proches de 2,5% en 2019 d’après nos prévisions (après 1% en 2018). En 2020, le pouvoir d’achat sera encore soutenu par une partie de ces premières mesures auxquelles viennent s’ajouter les dernières en date. Selon un tout premier chiffrage, notre prévision de hausse du pouvoir d’achat gagne ainsi 0,5 point, passant de 1% à 1,5%.

Avant d’aller plus loin, le terme « pouvoir d’achat » nécessite d’être défini. Largement employé, il n’a pas le même sens pour tous. Il recouvre des situations individuelles très différentes et éloignées de l’indicateur macroéconomique de référence défini par la comptabilité nationale, ce qui contribue au décalage, parfois important, entre le vécu et le ressenti de chacun et les chiffres agrégés.

Au sens de la comptabilité nationale, il s’agit d’une mesure du revenu disponible brut (RDB) réel. Le revenu est dit « disponible » car c’est la part qui reste à la disposition des ménages après le paiement de leurs impôts et cotisations (dont le poids dans le revenu avant impôts est légèrement supérieur à 20%). Le revenu avant impôts (RAI) est constitué pour l’essentiel des revenus d’activité, qui en représentent près de 60%. S’y ajoutent les prestations sociales (environ 30%) et les revenus du capital (15%). Ensuite, le revenu est « brut » car non corrigé de la consommation de capital fixe liée aux activités des entrepreneurs individuels et à la détention d’un logement. Enfin, il est dit « réel » une fois corrigé des prix. Les gains de pouvoir d’achat se mesurent ainsi par la différence entre le taux de croissance du RDB nominal et l’inflation[1].

2008-2018 : la décennie perdue du pouvoir d’achat

D’après cette mesure, les baisses de pouvoir d’achat au niveau macroéconomique sont rarissimes et de faible ampleur (cf. graphique 1). La dernière en date est récente et a porté sur deux années, 2012 et 2013 (-0,4% et -1,2%, respectivement). Depuis 2014, le pouvoir d’achat progresse à un rythme annuel moyen légèrement supérieur à 1%, à comparer avec une tendance de 2% depuis le milieu des années 1980 et de 3% si l’on remonte aux années 1960.

Evolution sur longue période du pouvoir d’achat (1)

La faiblesse de sa progression passée est l’une des raisons pour lesquelles le pouvoir d’achat est, de manière récurrente, au cœur des débats.

Et l’on comprend qu’il fasse l’objet d’une attention plus grande encore aujourd’hui lorsque l’on raisonne en unité de consommation (UC), c’est-à-dire si l’on tient compte des évolutions démographiques (nombre et composition des ménages) pour mieux rendre compte de la perception individuelle de chacun de l’évolution de son pouvoir d’achat[2]. Ainsi mesurées par UC, les baisses de pouvoir d’achat sont plus fréquentes. Sur la période récente, sa hausse est réduite à 0,6% par an en moyenne. Plus frappant encore, le pouvoir d’achat par UC se situe en 2018 à peine au-dessus de son niveau de 2008 (cf. graphique 2). On peut donc parler de décennie perdue.

Evolution sur longue période du pouvoir d’achat (2)

Parmi les raisons de cette longue stagnation, on trouve l’augmentation forte de la pression fiscale sur la décennie écoulée combinée à la situation dégradée du marché du travail, l’une et l’autre n’ayant pas touché les mêmes personnes. D’après les travaux de l’OFCE[3], pour la moitié basse de la distribution des revenus, la hausse des prélèvements entre 2008 et 2016 a, en effet, été plus que compensée par les revalorisations des prestations sociales, le résultat étant inverse pour la moitié haute, et assez nettement pour les 35% de ménages les plus aisés. S’ils ont bénéficié des réformes socio-fiscales, les ménages modestes ont, en revanche, pâti des évolutions du marché du travail (hausse du chômage, de la précarité et du temps partiel subi), ce qui n’est pas le cas des ménages les plus aisés.

S’agissant de 2017, les effets sur le niveau de vie (revenu disponible par UC) des nouvelles mesures sociales et fiscales introduites cette année-là sont également différenciés selon la position des ménages sur l’échelle des revenus, pour un effet nul au niveau de l’ensemble de la population[4]. Pour les 20% de personnes les plus modestes, l’effet net est positif grâce aux mesures de revalorisation des prestations. Pour les personnes se situant entre le 5e et le 7e décile (soit les 30% de ménages de niveau de vie intermédiaire), l’effet net est également positif grâce à la baisse de l’impôt sur le revenu. Pour les 20% de ménages les plus aisés (deux derniers déciles), l’effet net est, en revanche, négatif et il tient principalement à la hausse des taux de cotisation vieillesse.

En 2018, enfin, plus exactement de janvier à octobre, le gain de pouvoir d’achat issu des mesures socio-fiscales a été plus qu’effacé par la hausse des prix des produits pétroliers (imputable à hauteur d’un tiers à la hausse de la fiscalité énergétique et à hauteur des deux tiers restants à celle des cours du pétrole)[5]. Ce résultat global recouvre une diminution significative du niveau de vie des retraités mais une très légère amélioration de celui des ménages dont la personne de référence occupe un emploi. Au sein de cette catégorie, les effets conjugués sont différenciés selon la position sur l’échelle des revenus. Ils sont négatifs pour les ménages du 1er décile du fait de l’importance de leurs dépenses en carburants. Ils sont nuls pour le 2e décile puis positifs du 3e au 9e grâce à l’effet favorable de la bascule cotisations/CSG. Enfin, ils sont nuls pour le dernier décile, l’effet de la bascule étant moins favorable (la hausse de la CSG sur les revenus du patrimoine compense la baisse des cotisations sur les salaires).

2019 : net rebond attendu

Ces différentes évolutions, combinées au poids relativement élevé des dépenses pré-engagées (30% du budget des ménages en moyenne[6], cf. graphique 3), expliquent le ressenti négatif concernant les conditions de vie en France. Une partie de la réponse se trouve donc dans un relèvement du pouvoir d’achat, notamment via des baisses d’impôts qui ressortent des revendications comme le premier levier devant l’emploi et les salaires. Ce soutien au pouvoir d’achat est aussi, plus globalement, un moyen de soutenir la croissance, complétant la relance de l’offre, dont les effets sont diffus dans le temps, par une relance de la demande aux effets plus immédiats.

Poids des dépenses pré-engagées

En termes de montants, les baisses d’impôts inscrites dans les budgets 2018 et 2019 (y compris MUES[7]) sont importantes : elles atteignent, en net (i.e. corrigées des hausses), EUR 15 mds sur 2018-2020, qui se décomposent en un peu plus de EUR 1 md pour 2018, presque EUR 11 mds pour 2019 et EUR 3 mds pour 2020 (cf. tableau).

Sur 2019, les baisses d’impôts constituent la partie la plus visible du soutien au pouvoir d’achat. Mais les autres composantes du RDB bénéficient également de mesures de soutien : les revenus d’activité avec la prime dite Macron[8], la défiscalisation des heures supplémentaires et la suppression du forfait social sur l’intéressement et la participation dans les PME[9] ; et les prestations sociales avec la revalorisation de la prime d’activité et d’un certain nombre de minima sociaux[10]. Après avoir progressé de 2,7% en 2018 comme en 2017 d’ailleurs, le RDB nominal verrait ainsi sa progression sensiblement dopée en 2019, à 3,3% d’après nos prévisions.

Du côté de l’inflation, nous anticipons un net reflux (1% après 1,7% en 2018), à la faveur surtout d’un effet pétrole (hausse attendue nettement moindre). L’annulation de la hausse de la fiscalité énergétique contribue aussi à réduire l’inflation à hauteur de 0,2 point d’après nos estimations. Mais c’est sans compter la forte remontée des prix du pétrole depuis le début de l’année qui vient jouer les trouble-fête. L’inflation pourrait ainsi être plus élevée que prévu et les gains de pouvoir d’achat attendus en 2019 s’en trouveraient réduits d’autant.

Selon nos prévisions actuelles, ils s’élèvent à 2,3% (1,7% par UC), soit la plus forte progression depuis 2007. Ces gains ont aussi pour caractéristique de concerner une large partie de la population. Plus exactement, les MUES ont nettement amélioré leur répartition, au bénéfice en particulier des ménages du milieu de la distribution[11].

En 2020, les gains attendus de pouvoir d’achat seraient moindres mais encore relativement soutenus grâce aux baisses d’impôts déjà actées auxquelles viennent s’ajouter les nouvelles mesures issues du grand débat national, notamment la baisse d’impôt sur le revenu de EUR 5 mds, la ré-indexation sur l’inflation des retraites moyennes (qui réinjecte EUR 1,4 md) et le renouvellement de la prime Macron. La hausse annoncée du minimum contributif, le versement garanti des pensions alimentaires et la mise en place du revenu universel d’activité sont également de nature à soutenir le pouvoir d’achat. Selon un tout premier chiffrage, ces nouvelles mesures ajoutent 0,5 point à notre prévision de hausse du pouvoir d’achat en 2020, qui passe de 1% à 1,5% (2,8% d’augmentation du RDB nominal moins 1,3% d’inflation).

Les gains de pouvoir d’achat attendus en 2019 et, dans une moindre mesure, en 2020, sont significatifs. Mais pour avoir des gains de pouvoir d’achat durablement plus élevés, c’est la dynamique de l’emploi et des salaires qui compte.

Principales mesures socio-fiscales portant sur les ménages en 2018-2020


[1] Mesurée par la variation du déflateur de la consommation, proche de celle de l’indice des prix à la consommation.

[2] Les besoins d’un ménage ne s’accroissent pas en stricte proportion de sa taille. La taille de chaque ménage en nombre d’UC est calculée comme suit : le premier adulte compte pour 1 UC, chaque personne supplémentaire de 14 ans ou plus pour 0,5 UC et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3 UC. En moyenne depuis 1960, le nombre d’UC progresse de 0,9% par an.

[3] P. Madec, P. Malliet. M. Plane, R. Sampognaro, X. Timbeau, « Entre 2008 et 2016, les réformes sociales et fiscales ont pesé sur le revenu des ménages mais ont renforcé le rôle d’amortisseur social du système redistributif », INSEE France, Portrait social 2018.

[4] A-L. Biotteau, S. Fredon, F. Paquier, K. Schmitt, « Les réformes des prestations et prélèvements mises en œuvre en 2017 ont un impact quasi nul sur les inégalités de niveau de vie », INSEE France, Portrait social 2018.

[5] A-L. Biotteau, L. Rioux, « En octobre 2018, les gains des réformes des prélèvements sociaux contrebalancés par le renchérissement des produits pétroliers », INSEE Focus n°149, 12 mars 2019.

[6] Cette part s’élève à 60% pour les ménages pauvres, 40% pour les ménages modestes, 30% pour les classes moyennes et 20% pour les ménages aisés. Source : DREES, mars 2018.

[7] Ces mesures représentent EUR 10,8 mds : annulation de la hausse prévue dans le PLF de la fiscalité énergétique (EUR 3,9 mds) ; exonération d’impôt sur le revenu et avancement au 1er janvier (au lieu du 1er septembre) de l’exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires (EUR 2,4 mds) ; annulation de la hausse de la CSG pour une partie des retraités (EUR 1,3 md) ; revalorisation de la prime d’activité (EUR 2,8 mds) ; élargissement du périmètre du chèque énergie et de la prime à la conversion (EUR 0,4 md). Source : Cour des comptes.

[8] Prime exceptionnelle défiscalisée dans la limite de EUR 1 000, versée par les entreprises sur la base du volontariat aux salariés dont la rémunération en 2018 n’excède pas trois Smic annuels.

[9] Jouent aussi les effets positifs attendus sur l’emploi des mesures d’offre : transformation du CICE en baisse de charges et allègement supplémentaire au niveau du SMIC ; réformes du marché du travail (triptyque Code du travail, formation professionnelle, assurance-chômage).

[10] Ces revalorisations sont toutefois contrebalancées par la désindexation partielle des retraites, des allocations familiales et logement et par la réforme des APL.

[11] P. Madec, M. Plane, R. Sampognaro, Budget 2019 : du pouvoir d’achat mais du déficit, OFCE policy brief n°46, 29 janvier 2019 ; M. Ben Jelloul, A. Bozio, T. Douenne, B. Fabre, C. Leroy, Budget 2019 : quels effets pour les ménages ?, Les notes de l’IPP n°37, janvier 2019.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE