Un gouvernement dans la ligne de mire
Au cours des derniers mois, le président Jair Bolsonaro a attiré l’attention en raison de sa gestion des feux en Amazonie, son absence remarquée au Sommet pour le climat à l’ONU et ses vifs échanges avec le président français Emmanuel Macron. Par ailleurs, les dons allemands et norvégiens (de EUR 30 millions chacun) au Fonds pour l’Amazonie ont été suspendus, les deux bailleurs invoquant le manque de réelle volonté du gouvernement brésilien à combattre la déforestation.
Ces joutes diplomatiques et ces sanctions financières laissent pour l’instant planer le doute quant à l’entérinement d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, déjà contesté. Celui-ci imposerait en effet le respect de normes et de traités internationaux en matière de protection de l’environnement (notamment le respect de l’accord de Paris). Les manquements du Brésil ont également suscité la réaction de grandes entreprises, sociétés de gestion d’actifs, fonds de pension et autres compagnies d’assurance. Un collectif de 230 investisseurs institutionnels totalisant USD 1 620 mds d’actifs sous gestion a notamment publié une déclaration exhortant les entreprises à s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement excluent toute activité contribuant à la déforestation en Amazonie. En réponse à ces pressions, le pays a lancé une campagne de communication pour améliorer l’image du Brésil à l’étranger. D’abord sur les réseaux sociaux, puis par l’entremise de plusieurs ministres mobilisés notamment aux Etats-Unis et en Europe. Leur mission a été de convaincre les entreprises et les investisseurs étrangers que la protection de la forêt tropicale, la lutte contre les activités illégales qui la menacent (agriculture, pâturage sauvages, abattage, départs de feu) ainsi que la réduction de la pauvreté dans la région passent par l’exploitation de ses richesses et son développement économique.
Une reprise toujours fragile
L’économie peine toujours à trouver des relais de croissance. Alors que l’on craignait une récession au 1er semestre, le PIB au T2 a finalement surpris à la hausse progressant de 0,4% t/t. Sur un an, la progression est plus nette (+0,9%) en raison d’un effet de base important lié aux conséquences sur l’activité de la grève des chauffeurs routiers au T2 2018. En termes d’offre, la croissance a profité d’un rebond dans l’industrie (notamment dans le secteur manufacturier et la construction) avec une contribution de 0,14 point de pourcentage (pp) après deux trimestres de contribution négative.
Les indicateurs disponibles au T3 laissent augurer une croissance relativement faible. L’indicateur avancé d’activité (IBC-BR) produit par la banque centrale s’est replié en juillet (-0,2%) malgré une meilleure tenue de l’activité dans les services (+0,8% m/m, cvs) et des ventes de détail en hausse (+1% m/m et 4,3% en g.a.). En cause, l’érosion de la production industrielle qui se poursuit. En glissement annuel, le repli est de -3.3% pour juillet-août avec un recul prononcé de la production de biens intermédiaires. Les perspectives de croissance dans le secteur industriel restent fragiles en raison du ralentissement mondial et de la récession en Argentine, Ainsi, les indicateurs de confiance dans l’industrie (indices FGV et CNI) ne marquent aucune amélioration en septembre. Par ailleurs, Petrobras a annoncé en septembre une augmentation du prix de l’essence de 3,5% et du gasoil de 4,2% qui pourrait peser sur la consommation des ménages voire attiser le mécontentement social (même si pour l’instant les chauffeurs routiers n’ont pas réagi).
A court terme, les dépenses publiques ne devraient toujours pas constituer un relais de croissance. Le budget prévisionnel pour 2020 prévoit en effet une contraction de l’investissement public d’environ BRL 7 mds par rapport à 2019. Le total des dépenses d’investissement prévues (BRL 19,4 mds, soit 0,3% du PIB) seraient les plus faibles depuis 10 ans. En revanche, la consommation privée et l’investissement résidentiel devraient bénéficier d’une mesure provisoire permettant le déblocage de fonds des comptes FGTS[1] (BRL 42 mds) au cours des deux prochaines années. Ces fonds pourront être utilisés comme collatéral pour l’octroi de crédits hypothécaires, ce qui devrait aussi soutenir le crédit immobilier qui stagne depuis la fin de la récession.
Comptes externes : ballotés mais sans risque majeur
Le déficit du compte courant se creuse mais reste modéré, à 1,8% du PIB sur 12 mois glissants en août contre -0,8% fin 2018. La faiblesse persistante des cours du sucre et du café (dont le Brésil est respectivement 1er et 2e exportateur mondial) pèsent sur les exportations en valeur. De plus, les exportations à destination de l’Argentine continuent de se tasser. Heureusement, dans le même temps, les exportations vers la Chine sont soutenues par les exportations de viande bovine (en hausse de 15% en g.a. sur la période janvier-août en raison notamment de l’épidémie de peste porcine qui affecte l’empire du milieu). Jusqu’à présent, le déficit courant reste largement couvert par les investissements directs nets (2,8% du PIB sur 12 mois glissants) et, d’une manière générale, les flux de capitaux couvrent les besoins de financement externe. Les réserves de change ont continué d’augmenter sur les 8 premiers mois de l’année (USD 386 mds fin août contre 374 mds fin 2018) mais ont chuté en septembre à USD 376 mds suite aux interventions de la banque centrale sur le marché au comptant.
Cependant, la devise, qui s’était redressée contre le dollar entre mai et juillet, a fortement chuté en août (-9%) et reste, depuis, cantonnée au-delà du seuil de 4 BRLUSD. Malgré une balance de base largement excédentaire, cet accès de faiblesse du real rappelle sa sensibilité aux sorties nettes d’investissements de portefeuille (USD 5,1 mds en août sur 12 mois glissants), même si le Brésil n’est pas, de ce point de vue, le plus vulnérable au sein des pays émergents. Cette sensibilité se trouve actuellement accentuée par l’assouplissement de la politique monétaire.
Taux bas : la nouvelle donne
La banque centrale (BCB) a abaissé son taux directeur SELIC de 50 points de base à deux reprises depuis le mois d’août pour le porter à 5,5 % contre 6,5% depuis mars 2018. L’inflation reste contenue en deçà de la cible de la BCB pour 2019 (2,9% en septembre vs 4,25%). D’après l’enquête mensuelle publiée par la banque centrale, le consensus de marché anticipe un taux SELIC à 4,75% d’ici fin 2019 et une légère remontée à 5% fin 2020.
Cet environnement de taux bas crée des dynamiques nouvelles sur les marchés. Les investisseurs au niveau local, accoutumés à des rendements obligataires élevés, procèdent à des réallocations d’actifs qui profitent surtout au marché boursier. Ainsi, la baisse des taux au cours des dernières années, conjuguée à la décote du souverain dans la classe speculative en 2015, a provoqué une chute des détentions de titres de dette souverains sur le marché local de la part des non-résidents (de 21% 2015 à 12% en 2019). Plus généralement, pour une partie des investisseurs internationaux, la réduction des taux brésiliens a également diminué l’attrait les opérations de portage (carry trade). Inversement, cette baisse a encouragé les entreprises brésiliennes à échanger leurs dettes libellées en devise en monnaie locale.
Des avancées dans les réformes
La proposition de réforme des retraites a été approuvée par le Sénat lors d’un vote au premier tour (un deuxième vote devrait avoir lieu d’ici la fin du mois). Les économies réalisées grâce à la réforme devraient in fine s’élever à environ BRL 800 mds sur 10 ans contre BRL 910 mds initialement prévu à la suite du vote à la Chambre des députés en août dernier. Cet automne, le gouvernement présentera son projet de réforme fiscale et déploiera son programme de privatisations et concessions. Il pourrait concerner un tiers des 130 entreprises publiques. A noter que d’après une décision de la Cour suprême rendue en juin, les filiales (la moitié des entreprises) n’auront pas besoin de l’approbation du Congrès pour être vendues. De nouvelles mesures ont été également adoptées pour libéraliser l’économie et soutenir l’entreprenariat : i/ amélioration de l’accès au crédit pour les petites et micro entreprises[2], ii/ nouveau cadre réglementaire dans le secteur des télécommunications, iii/ réduction de barrières tarifaires sur 2 300 produits. Les autorités espèrent atteindre un niveau d’ouverture commerciale de 30% du PIB dans 4 ans contre 22% actuellement.