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"Taxes are coming" : le point sur la conjoncture britannique à l’automne 2021

21/09/2021
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Après avoir payé un très lourd tribut à l’épidémie de Covid-19, le Royaume-Uni se remet sur pied. Forte d’une population adulte vaccinée à plus de 80%, son économie a pu rouvrir, jusqu’à fonctionner quasi normalement durant l’été, malgré la propagation d’un variant « Delta » très contagieux du coronavirus. Alors qu’elle bute sur des contraintes d’offre, la reprise se voit, par ailleurs, retirer ses béquilles budgétaires, le gouvernement de Boris Johnson ayant décrété la fin du « quoi qu’il en coûte ». Euphorique, la conjoncture devrait s’assagir quelque peu d’ici à la fin de l’année.

Le Royaume-Uni revient de loin. Accueillie avec désinvolture par son premier ministre Boris Johnson, puis forçant ce dernier à des restrictions de plus en plus dures, l’épidémie de Covid-19 aura causé la pire récession de son histoire (une chute de 9,8% du PIB en 2020) et le décès de 135 000 personnes, l’un des plus lourds bilans parmi les pays avancés. Désormais forte d’une population adulte vaccinée à plus de 80%, l’Ile est toutefois en passe d’en sortir. Bien qu’aux prises avec un variant « Delta » 40% à 60% plus contagieux que son prédécesseur « anglais » (rebaptisé « Alpha »), le système hospitalier n’a enregistré qu’une remontée limitée des cas graves (800 admissions quotidiennes au maximum, contre près de 4 000 lors du pic de la précédente vague). Rouverte par étapes depuis février, l’économie s’est spectaculairement redressée, jusqu’à rapidement buter sur des contraintes d’offre.

TENSIONS SUR L’OFFRE ET LES PRIX

Parce qu’il marque la fin d’un confinement sévère - plus sévère encore que celui imposé lors de la première vague épidémique du printemps 2020 -, le deuxième trimestre de 2021 est aussi celui d’une catharsis, qui a vu la consommation des Britanniques bondir de plus de 30% en rythme annualisé, et l’activité faire mieux qu’effacer ses pertes du début d’année.

Comme partout où les ménages ont bénéficié de transferts importants mais ont été freinés dans leurs dépenses, un excédent d’épargne s’est formé, qui se déverse aujourd’hui dans l’économie. La pression de la demande est telle que l’offre peine à y répondre : dans les transports, sur les chantiers ou le long des chaînes d’assemblage, les délais s’allongent, des goulots d’étranglement se forment. Les entreprises expriment des difficultés à recruter, y compris dans les secteurs convalescents du tourisme et des loisirs, où les vacances de postes n’ont jamais été aussi nombreuses.

Certes, le phénomène n’est pas propre au Royaume-Uni : la pénurie mondiale de composants, dont le premier fournisseur, l’Asie, bataille encore contre le virus, l’engorgement du trafic maritime, la pression exercée par la Chine et les États-Unis sur le marché des matières premières, font qu’il se manifeste un peu partout. Mais outre-Manche, la contrainte d’offre est accentuée par le Brexit, dont les effets indésirables deviennent palpables. Avec le retour des barrières à l’immigration en provenance de l’Union européenne (visas, autorisations de travail, etc.) les entraves aux embauches, donc à la reprise, ne sont pas seulement conjoncturelles. Selon la Confederation of British Industry, elles pourraient durer deux ans.

Ces tensions transparaissent désormais dans les prix. Mesurée à 3,2% en août, l’inflation a déjoué les pronostics et retrouvé son plus haut niveau depuis 2012. Si des effets de base sont en cause[1], le rebond s’explique aussi par le fait que les cafés, hôtels et restaurants, en capacité réduite, n’ont eu d’autre choix que de relever leurs tarifs pour répondre à l’afflux de clients. La reprise des déplacements s’est également illustrée par de fortes tensions sur le prix des véhicules, notamment d’occasion, à l’image de ce qui s’est passé aux États-Unis, il y a quelques mois.

Des hausses de TVA arrivant (cf. Infra), la Banque d’Angleterre (BoE) s’attend à ce que l’inflation atteigne 4% en fin d’année et dépasse ainsi largement son objectif de 2%. Elle juge cependant cette dérive transitoire, et conditionne la remontée de son taux directeur, actuellement fixé à 0,10%, au plein rétablissement de l’économie. Le compte n’y est pas. Si, à mi-parcours de 2021, l’activité se rapproche de son niveau pré-pandémique, un peu plus de quatre points de PIB l’en séparent encore. Les derniers mètres risquent, en outre, d’être les plus difficiles à parcourir, le gouvernement de Boris Johnson ayant entrepris de débrancher les perfusions budgétaires dès cet automne, puis d’augmenter les prélèvements sociaux à partir d’avril 2022.

FIN DU « QUOI QU’IL EN COÛTE »

Au Royaume-Uni, comme dans la plupart des pays avancés dits « libéraux?» (États-Unis, Canada, Australie…), l’effort public déployé durant la crise sanitaire est venu compenser la relative faiblesse des amortisseurs sociaux et s’est révélé particulièrement important (graphique?1). D’après les estimations du Fonds monétaire international (FMI) ce ne sont pas moins de 340 milliards de livres ou 16 points de PIB qui ont été injectés dans l’économie en 2020-21, un record en Europe. Si le « quoi qu’il en coûte » est désormais moins justifié, son arrêt aura tout de même valeur de test.

Le retrait des perfusions a déjà commencé. Fin septembre, le gouvernement a mis fin aux principaux dispositifs de maintien dans l’emploi qu’ont représenté le Coronavirus Job Retention Scheme (CJRS) et le Self-employed Income Support Scheme (SEISS). Depuis leur mise en place, en mars et avril 2020, les deux programmes auront bénéficié à quelque 14,5 millions d’actifs (salariés et indépendants) et largement contribué à limiter la hausse du chômage, dont le taux a à peine dépassé 5% au plus fort de la crise. Rendue possible par l’amélioration de la conjoncture, leur expiration ne signifie pas moins, pour 1,6 million de personnes encore en « congés » dans les entreprises, un délicat retour à la réalité, dont on peut espérer qu’il sera facilité par l’actuelle pénurie de main d’œuvre.

Cela ne s’arrête pas là. Avec les aides à l’emploi, disparaissent aussi, pour quelque 6 millions de citoyens britanniques, la bonification de 20 livres par semaine du crédit universel (universal credit) ainsi que, pour l’ensemble des ménages, la TVA réduite sur l’hôtellerie-restauration (remontée de 5% à 12,5% en octobre 2021, puis à 20% en avril 2022) ou encore l’abattement spécial appliqué aux droits de mutation (déjà passé de 500 000 à 250 000 livres en juillet, et qui reviendra à 125 000 livres en octobre).

PAS DE « SINGAPOUR SUR LA TAMISE »

LES GRANDS MOYENS

En même temps qu’il freine la dépense, le gouvernement envisage d’accroître ses recettes. En annonçant, en mars dernier, son intention de relever le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 19% à 25% à compter du 1er avril 2023, le chancelier de l’Échiquier, Rishi Sunak, a dû faire soupirer bon nombre de ceux qui, parmi les partisans du Brexit, s’étaient pris à rêver d’un « Singapour sur la Tamise ». La mesure, dont le gouvernement escompte quelque 12 milliards de livres de recettes supplémentaires annuelles, n’aurait, de fait, rien d’anecdotique. Certes, elle ne concerne qu’une minorité d’entreprises (les 30% d’entre elles qui réalisent plus de 50?000 livres de bénéfices annuels) et se voit compensée pendant les deux années fiscales qui la précèdent (2021-22 et 2022-23) d’une « super déduction » d’impôts, équivalente à 130% des montants investis en capital fixe. Elle n’en constitue pas moins une première depuis 1974 (le gouvernement travailliste de Harold Wilson avait alors fait remonter le taux de l’IS de 40% à 52%) et un séisme au sein du parti conservateur, qui a toujours fait de l’allègement de la fiscalité des entreprises, un marqueur de sa politique.

VERS UN ASSAGISSEMENT DE LA CONJONCTURE

Afin de soutenir le National Health System (NHS), dont les dépenses ont été alourdies d’une centaine de milliards de livres (2,5 points de PIB) par la pandémie, le premier ministre Boris Johnson entend enfin relever de 1,25 point le taux de contribution sociale des employeurs (de 13,8% à 15,05%), des salariés (de 12% à 13,25%), ainsi que celui appliqué aux dividendes (de 7,5% à 8,75%). La mesure, effective dès avril 2022, aurait un caractère pérenne et génèrerait un surcroît de recettes estimé à 12 milliards de livres par an. Elle mettrait aussi fin à une longue érosion des revenus du NHS qui, depuis 2010 et proportionnellement au PIB, n’ont cessé de baisser.

Déjà perceptible à travers la retombée des transactions immobilières ou des indices d’enquêtes auprès des directeurs d’achats (graphique 2), l’assagissement de la conjoncture épouse logiquement le tournant de la politique gouvernementale. Traduit en chiffres de croissance, le ralentissement économique devrait surtout être perceptible en fin d’année, lorsque la remontée de l’inflation aura notamment pour conséquence de faire baisser le pouvoir d’achat des ménages.

[1] L’accélération de l’’inflation en août 2021 s’explique en partie (à hauteur de 0,3 point) par le fait que les prix se comparent à leurs niveaux très bas d’août 2020, qui avait notamment vu s’appliquer le dispositif gouvernemental « Eat out to Help Out » permettant au bars et restaurants de proposer, sous certaines conditions, des repas à moitié prix.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE