Eco Emerging

Une croissance sous contraintes

17/04/2019

Une accélération en trompe-l’œil de la croissance en 2018

La croissance économique a accéléré à 2,3% sur l’ensemble de l’année 2018 après avoir atteint 1,6% en 2017. Néanmoins, ce bon résultat est à nuancer. En effet, l’accélération de la croissance s’explique principalement par la décélération des importations, reflet du ralentissement des investissements et, dans une moindre mesure, de la consommation des ménages. Ainsi, la contribution des exportations nettes à la croissance a été fortement positive en 2018 (0,8 point de pourcentage) alors qu’elle était négative en 2017. Les autres composantes de la croissance ont toutes enregistré un ralentissement. Celui des investissements (+0,2% en g.a. au T4 2018 contre +4,5% sur les trois premiers trimestres) s’explique partiellement par des conditions monétaires moins favorables. Les taux d’intérêt sur les crédits aux entreprises ont légèrement augmenté (+60 points de base) dans un contexte de durcissement de la politique monétaire.

Prévisions

En effet, confrontée, d’une part, aux pressions baissières sur le rouble en raison du risque de durcissement des sanctions américaines et, d’autre part, à la hausse des anticipations inflationnistes avec la hausse du taux de TVA au 1er janvier 2019, la Banque centrale russe a procédé au relèvement de ses taux d’intérêt directeurs à deux reprises, en septembre et décembre 2018 (+25 pb chacune), les élevant à 7,75%.

Hausse des prix (g.a., %)

La croissance économique devrait ralentir en 2019. Sur les deux premiers mois de l’année, les indicateurs d’activité montrent que l’activité économique a décéléré. La croissance de la production industrielle s’est tassée (+2,3% sur les deux premiers mois de l’année selon les estimations de la banque centrale contre 2,7% au T4 2018). Elle résiste grâce à l’augmentation de la production de gaz et de métaux. En revanche, la production de pétrole a continué de ralentir conformément aux accords passés avec l’OPEP.

La production de biens d’investissements et de biens de consommation (hors produits alimentaires) a décéléré conjointement au net ralentissement des ventes au détail et à la chute des ventes automobiles. Le ralentissement de la consommation des ménages s’explique principalement par le relèvement de deux points du taux de TVA qui a pesé sur l’évolution des salaires réels (+0,7% en g.a. en février 2019 contre +7% en moyenne en 2018).

Les indicateurs de confiance restent néanmoins bien orientés dans l’industrie. Les résultats d’enquête suggèrent que les commandes domestiques ont accéléré en mars alors qu’elles restent mal orientées à l’exportation.

La croissance économique serait proche de son potentiel (1,5%) selon la Banque centrale russe.

Hausse des tensions inflationnistes

Les prix à la consommation ont commencé à accélérer dès le mois de juillet, conjointement à la dépréciation du rouble, à la hausse des prix de certaines matières premières (agricoles et pétrole) et en raison d’effets de base défavorables (notamment sur les prix des produits alimentaires). Ainsi, en décembre 2018 l’augmentation des prix a atteint 4,3% en g.a. alors qu’elle s’établissait à seulement 2,5% un an plus tôt. Cette accélération a concerné tous les produits (alimentaires et non-alimentaires). Depuis la fin de l’année, la hausse des prix s’est accentuée (+1,2 point de pourcentage à 5,2% en g.a en février) en raison du relèvement du taux de TVA, responsable, selon la banque centrale, de près de la moitié de cette récente accélération.

Retour des investisseurs étrangers en début d’année

En 2018, le surplus du compte courant a atteint 6,9% du PIB contre 2,1% du PIB en 2017. En effet, dans un contexte de forte hausse des prix internationaux du pétrole et du gaz, le surplus commercial a augmenté de 4,5 points de pourcentage à 11,8% du PIB. Dans le même temps, les importations ont légèrement diminué (-0,1% du PIB). L’excédent courant a permis de couvrir le déficit du compte financier qui a atteint environ 5% du PIB.

Balance des paiements (somme sur 4 trim. % PIB)

Ainsi, sur l’ensemble de l’année 2018, la position extérieure nette de la Russie a augmenté de près de USD 100 mds pour atteindre l’équivalent de 22,4% du PIB (contre 17,3% du PIB un an plus tôt). Ce mouvement reflète les importantes sorties de capitaux qui ont suivi le durcissement des sanctions américaines en avril 2018 : baisse du stock d’investissements directs étrangers et d’investissements de portefeuille (de respectivement -6,2% et -9,5%). L’amélioration de la position extérieure reflète également la contraction des prêts (-13%). La dette extérieure russe a continué de baisser en 2018 (-64mds) et s’élevait fin 2018 à seulement 27,4% du PIB (100% des exportations) alors qu’elle s’établissait à plus de 41% du PIB (157% des exportations) au T2 2016.

Sur les deux premiers mois de l’année 2019, le surplus courant aurait légèrement augmenté, reflet de la baisse des importations, selon les premières estimations de la banque centrale. Les entrées de capitaux ont accéléré, en dépit du risque de durcissement des sanctions américaines. Le stock d’obligations d’Etat détenues par les investisseurs étrangers a augmenté pendant deux mois consécutifs, même s’il reste inférieur à ce qu’il était il y a un an. Début mars, les investisseurs étrangers détenaient près de 26% des obligations du gouvernement émises en roubles. Les rendements élevés sur les obligations russes dans un contexte de taux d’intérêt extrêmement bas en Europe et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis ont attiré les investisseurs étrangers.

Conjointement à la hausse du prix du pétrole depuis le début de l’année et à la baisse des tensions sur les marchés financiers, les autorités monétaires ont repris leurs achats de devises, ce qui n’a pas empêché le rouble de s’apprécier face au dollar de 5% au T1 2019. Les réserves de change ont augmenté de USD 9 mds pour atteindre fin février plus de USD 390 mds, soit cinq fois les remboursements de dette à horizon un an.

Risque de durcissement des sanctions américaines

En août 2018, Chris Van Hollen, sénateur démocrate et Marco Rubio, sénateur républicain, avaient présenté un projet de loi au Congrès, le Defending Elections from Threats by Establishing Redlines Act ou Deter Act, visant à sanctionner les autorités russes suspectées d’ingérence dans les élections américaines de 2016. Mais ce projet avait été rejeté. Les deux sénateurs ont soumis le 3 avril 2019 une nouvelle version de leur projet au Congrès (extrêmement proche de la précédente). Ce projet de loi vise à sanctionner tout pays qui aurait influencé d’une quelconque manière les résultats des élections américaines (après résultats d’enquête réalisée par la direction du renseignement national Director of National Intelligence). Si cette loi était adoptée et que la Russie était reconnue coupable d’une telle ingérence, alors il serait totalement interdit pour les entités américaines (US persons) d’acheter des titres de dette du gouvernement russe et d’entreprises détenues ou contrôlées par le gouvernement russe. Par ailleurs, des sanctions seraient adoptées à l’encontre des entreprises du secteur de la finance, de l’énergie et de la défense. Sberbank, VTB bank, Gazprombank, Vnesheconombank et Rosselkhozbank auraient l’interdiction de réaliser des transactions avec les Etats-Unis. Dans le secteur de l’énergie, tout nouvel investissement serait interdit pour les entités américaines. Finalement, les hommes politiques et les oligarques impliqués dans une quelconque interférence dans les élections américaines seraient interdits d’entrée sur le sol américain et auraient l’interdiction de réaliser des transactions avec les US persons.

A ce jour, les dissensions au sein du Congrès sur les mesures à prendre à l’encontre de la Russie restent fortes et le Président Trump y reste opposé.

Même si le projet devait être adopté, à horizon d’un an, il ne mettrait pas en danger les besoins de financement extérieurs du gouvernement russe estimés à un peu moins de USD 80 mds.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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