Trou d’air conjoncturel
Le ralentissement de l’économie brésilienne observé fin 2018 s’est accentué avec une chute de l’activité au T1 2019 pour la première fois depuis le T4 2016. Le PIB réel s’est contracté de 0,2% sur un trimestre en données cvs, de sorte que le rythme de la croissance en glissement annuel a été divisé de moitié environ (0,4% au T1 contre 1,1% au T4 2018).
Du côté de la demande, cette contraction s’explique par le recul des dépenses d’investissement (-1,7% t/t) et une contribution négative du commerce extérieur net (-0,4 pp). Le solde extérieur a souffert d’une baisse des exportations (notamment minières) et du ralentissement argentin (son 3e partenaire commercial). L’investissement reste contraint par un faible taux d’utilisation des capacités de production et pâti des incertitudes associées au programme de réformes du gouvernement. Le manque de dynamisme de l’investissement privé est d’autant plus problématique que l’investissement public connait un déclin structurel (moins de 2% du PIB actuellement contre 4% en 2013). Les dépenses de consommation des ménages demeurent pour l’instant le principal soutien à la croissance même si elles ralentissent depuis deux trimestres.
Du côté de l’offre, les mauvaises performances de l’économie s’expliquent principalement par un recul de la production agricole et de la production industrielle. La baisse de l’activité industrielle reflète notamment les difficultés rencontrées par les secteurs (i) minier (interruption de l’activité suite à la rupture du barrage Brumadinho, difficultés du géant minier Vale), (ii) manufacturier (faiblesse de la demande interne conjuguée à la décélération du commerce mondial) et de la (iii) construction (lente baisse des stocks de biens immobiliers résidentiels et commerciaux, réduction des dépenses publiques d’infrastructure.) Les indicateurs économiques disponibles au deuxième trimestre ne montrent pour l’instant aucun signe tangible d’amélioration de sorte que l’éventualité d’une récession au premier semestre ne peut être écartée.
Du côté des indicateurs avancés d’activité, l’indice IBC-Br de la Banque centrale brésilienne (BCB) s’est contracté de 0,5% en avril tandis que l’indice TCB/FGV Brazil LEI du Conference Board et de la FGV reculait de 0,9% en mai. Si le secteur automobile et le volume des services se reprennent depuis avril, les carnets de commande dans le secteur manufacturier continuent de se replier. Le ralentissement du commerce mondial va continuer de peser sur l’activité industrielle, d’autant plus que les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine ont repris. Entamés par la lenteur des réformes et l’image ternie du gouvernement, les indices de confiance des ménages et des entreprises se sont globalement dégradés depuis le début de l’année même s’ils ont enregistré une légère reprise courant juin. Dans ces conditions, la BCB a revu ses perspectives de croissance de 2% à 0,8% pour 2019.
Assouplissement monétaire en perspective ?
La BCB a maintenu en juin son taux directeur inchangé à 6,5 % pour le 16e mois consécutif. L’inflation a certes accéléré au cours du
premier semestre 2019 pour atteindre 4,7 % en g.a. en mai contre
3,8% en décembre. Cette hausse revêt toutefois un caractère conjoncturel. Elle s’explique principalement par des facteurs ayant pesé sur le prix des matières premières. Les effets de ces chocs se sont toutefois en grande partie dissipés et les risques inflationnistes corrélés à l’activité demeurent contenus. D’après la courbe des taux, les marchés semblent néanmoins anticiper un assouplissement monétaire de l’ordre de 75 à 100 points de base (pb) d’ici la fin de l’année. La décision de la BCB de réduire ses taux pourrait toutefois être contingente au passage de la réforme des retraites.
Des investisseurs étrangers étonnamment sereins
Malgré le retournement conjoncturel, le marché boursier – qui avait été volatil au cours des cinq premiers mois de l’année – a progressé de 14% depuis la mi-mai (graphique 2). Par ailleurs, le real, après s’être graduellement déprécié contre le dollar depuis le début de l’année – franchissant même la barre des 4 BRL par USD pour la première fois depuis la veille des élections – se renforce aussi depuis fin mai. Les marchés des actions et de change continuent de bénéficier des flux d’investissements étrangers. Les flux d’investissement directs étrangers (IDE) – dont les prêts intragroupes représentent une part de plus en plus importante – sont en nette hausse sur les cinq premiers mois de l’année, passant d’environ USD 27 mds en 2018 à 35 mds en 2019. Ils couvrent largement le déficit du compte courant par ailleurs très limité (-0,7% du PIB). En outre, les flux nets d’investissement de portefeuille des non-résidents résistent bien (environ USD 4 mds sur la période janvier-mai). Pour rappel, en 2018, les non-résidents affichaient une position nette vendeuse à hauteur de USD 8,4 mds.
Marché du crédit : des dynamiques différenciées
Malgré des conditions monétaires favorables, la croissance du crédit reste contrainte. Depuis septembre 2016, le taux de référence SELIC a été réduit de 775 pb (de 14,25% à 6,5%). En termes réels, celui-ci a également fortement baissé (de 7,7% en juin 2017 à 1.8% en mai 2019). Par ailleurs, en 2018, la BCB a aussi baissé le taux de réserve obligatoire des banques sur les dépôts à vue, de 40% à 25%. Pourtant, les spreads bancaires ne connaissent qu’une lente décrue et demeurent élevés (19,2 pp en mai contre 13,4 en décembre 2013) et le taux d’intérêt moyen a même de nouveau augmenté depuis décembre (25,2% en mai contre 23,2 en décembre). Actuellement, le crédit progresse à un rythme moyen de 5,5% depuis le début de l’année mais reste presque exclusivement tiré par les ménages (+9,9% en g.a. en mai), le crédit aux entreprises progressant à un rythme très faible (environ 1%).
La part croissante des ménages dans les portefeuilles de prêts bancaires[1] s’explique en partie par la contraction du crédit bonifié [2] (45% du crédit total) en repli continu depuis le T4 2016 (graphique 3) et qui touche particulièrement les entreprises (-9,6% en g.a. en mai). Cette tendance s’explique aussi par un recours croissant des entreprises au marché obligataire. Dans un contexte marqué par des taux historiquement faibles et une liquidité abondante, les entreprises profitent notamment de la quête de rendements de la part des fonds d’investissement et autres compagnies d’assurances pour émettre davantage sur le marché des capitaux local.
Un climat politique mouvementé
La popularité du chef de l’Etat et le soutien au gouvernement ont continué de se dégrader en juin (enquête Ibope). L’image du gouvernement a été notamment ternie par les accusations de collusion formulée à l’encontre de Sergio Moro, l’actuel ministre de la Justice et principal fer de lance de l’opération anti-corruption Lava Jato. Des révélations mettent notamment en cause l’impartialité de la condamnation de l’ex-président Lula lorsque Sergio Moro était juge fédéral. Par ailleurs, le pays a connu ses premiers mouvements de contestation sociale de masse en raison notamment des coupures budgétaires dans l’éducation. A noter aussi que les départs se multiplient au sein du gouvernement depuis quelques mois. Trois ministres ne sont déjà plus en poste et Joaquim Levy, ancien ministre des Finances sous Dilma Rousseff, a déjà quitté ses fonctions au sein de la banque de développement, BNDES.
Outre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, l’actualité politique des dernières semaines a surtout été marquée par des avancées notables concernant le projet de réforme des retraites. Les amendements proposés en juin par le rapporteur parlementaire au texte initial ont été approuvés lors d’un premier vote à la Chambre des députés le 10 juillet (379 pour et 131 contre). Suite à ces amendements, les économies s’élèveraient à BRL 910 mds sur 10 ans et non à BRL 1 200 mds comme prévu dans le projet de loi proposé en février. Le texte devra être soumis à un 2e vote dans les prochaines semaines (où les 2/3 au moins des votes sont requis, soit 308). Le texte ira ensuite au Sénat où les mêmes règles s’appliqueront (2 tours et appui des 2/3 des sénateurs, soit 49 sur 81). De jours meilleurs – espérons-le – attendent le Brésil.