Edito

Lorsque les politiques environnementales, commerciales et sociales se rejoignent

24/01/2019

Dans une déclaration récente relative à des dividendes de la taxe carbone, plusieurs économistes émettent, à l’attention des autorités américaines, d’importantes recommandations pour lutter contre le réchauffement climatique. Les auteurs font explicitement référence à la nécessité de créer un dispositif d’ajustement carbone à la frontière pour préserver la compétitivité américaine par rapport aux pays qui ne seraient pas dotés d’une taxe carbone. Ils recommandent que les recettes liées à la taxe carbone soient redistribuées de façon égale aux citoyens américains. En outre, ces rentrées fiscales pourraient permettre d’intégrer les aspects redistributifs des taxes environnementales tout en encourageant les investissements dans l’efficacité énergétique

Le 17 janvier dernier, le Wall Street Journal publiait la « déclaration de plusieurs économistes relative aux dividendes de la taxe carbone »[1]. Cette déclaration n’est pas passée inaperçue, ne serait-ce qu’en raison de la liste impressionnante de cosignataires[2]. Ses auteurs considèrent la taxe carbone comme l’instrument le plus efficace pour réduire les émissions de CO2 à un degré et un rythme suffisants. Selon eux, elle devrait remplacer des réglementations bien moins efficaces et être augmentée chaque année jusqu’à ce que les objectifs de réduction des émissions soient atteints.

CLIMAT : LES EMISSIONS DE CO2 CONTINUENT DE CROITRE

Cette approche graduelle devrait laisser le temps aux ménages et aux entreprises d’adapter leur comportement et de financer les investissements nécessaires (chauffage, moyens de transport, processus de fabrication). Elle implique que la hausse cumulée de la taxe carbone dépende de la sensibilité-prix de la demande en biens et services à haute intensité de carbone. Plus cette sensibilité serait élevée, moins il serait nécessaire d’augmenter la taxe carbone.

Dans l’idéal, une telle approche devrait être adoptée au plan mondial, mais l’expérience montre combien il est difficile de parvenir à un accord large et de s’y tenir[3].

Cela signifie que des mesures individuelles, appliquées par un seul pays, nuiraient à la compétitivité de ses entreprises et auraient pour effet d’inciter d’autres pays à ne rien faire. Pour remédier à ce problème de coordination, les signataires préconisent la mise en place d’un dispositif d’ajustement carbone à la frontière, aux termes duquel les exportations vers des pays qui n’appliquent pas de taxes carbone bénéficieraient d’un rabais, tandis que les importations en provenance de ces pays seraient taxées à l’entrée du territoire[4][5]. Il est à craindre, cependant, que les autres pays, considérant la taxe carbone sur les importations comme une mesure protectionniste n’ayant que peu de rapport avec le changement climatique, ne ripostent par des mesures de représailles.

Les signataires insistent, par ailleurs, sur la nécessité d’une neutralité fiscale en vue d’éviter le débat sur la taille de l’État ; ainsi « toutes les rentrées générées par la taxe devraient être directement reversées aux citoyens américains sous forme de rabais forfaitaires égaux ». Comme l’empreinte carbone des ménages les plus aisés est probablement plus forte que celle des ménages se situant dans le bas de l’échelle de distribution des revenus, un rabais forfaitaire impliquerait pour ces derniers une augmentation du revenu disponible étant donné qu’un tel rabais serait d’un montant supérieur aux taxes carbone. Cela pourrait créer, chez ces ménages, une incitation à investir dans l’efficacité énergétique ou, tout au moins, faciliter ce type de démarche.

On peut soutenir, néanmoins, que la neutralité fiscale est affaire de jugement. Le gouvernement pourrait estimer qu’il a un rôle important à jouer dans la promotion de l’efficacité énergétique et affecter une part des recettes liées à la taxe carbone au financement de ses propres investissements verts (par exemple en augmentant l’efficacité énergétique des bâtiments publics et des écoles). Ces rentrées fiscales pourraient aussi être utilisées pour traiter les aspects redistributifs liés à la taxation verte, par exemple en allouant des aides à l’investissement dans l’efficacité énergétique aux ménages financièrement contraints.

À l’évidence, ces autres approches sont moins faciles à expliquer qu’un rabais forfaitaire pour chaque ménage. Quelle que soit la complexité de leur mise en œuvre, les recommandations contenues dans la déclaration des économistes ont au moins le mérite d’indiquer une direction qui permettrait d’accomplir des progrès considérables
en termes de réduction des émissions de carbone, à l’initiative d’un seul pays, sans perdre un temps considérable à régler le problème de la coordination au niveau international, et avec l’avantage supplémentaire de prendre également en compte les aspects redistributifs.


[1] https://www.clcouncil.org/economists-statement/

[2] Quatre anciens présidents de la Réserve fédérale, vingt-sept économistes lauréats du prix Nobel, quinze présidents du « Council of Economic Advisers » et deux anciens secrétaires au Trésor américain figurent parmi les signataires.

[3] En juin 2016, la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’Accord sur le climat (COP 21), conclu à Paris, n’est qu’un exemple parmi d’autres de la difficulté à parvenir à une approche globale coordonnée.

[4] Climate Leadership Council, The conservative case for carbon dividends, février 2017. Cette formulation n’est pas sans rappeler la « taxe appliquée aux flux de trésorerie, ajustée à la frontière en fonction de la destination » proposée par des membres républicains de la Chambre des représentants en 2017, qui aurait fonctionné comme une subvention à l’exportation couplée à un droit de douane à l’importation.

[5] Cette proposition est également analysée dans la note de Conjoncture « Vers une économie sobre en carbone » de Raymond Van der Putten (BNP Paribas) qui sera publiée fin janvier 2019.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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