Eco Flash

A propos des difficultés de l’économie italienne

15/07/2019
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L’économie italienne connaît un décrochage marqué depuis le milieu des années 1990, qui s’est aggravé après la crise de 2008.

En cause : une productivité parmi les plus faibles des économies avancées, une démographie déclinante et un marché du travail peu efficient, excluant encore de trop nombreux jeunes.

Des réformes structurelles ont toutefois été introduites à partir de 2011, sous le gouvernement de Mario Monti, entraînant un redressement des comptes budgétaires et extérieurs. Reste à savoir ce que le gouvernement actuel en fera.

Comment assumer une dette de 130% du PIB sans croissance ? Au moment où l’Italie connaît un nouvel épisode de nervosité sur son spread[1], la langueur persistante de son économie interroge plus que jamais. Depuis 2012, la croissance de l’Italie s’est établie à 1% par an en moyenne, contre près de 2% pour la zone euro. Fin 2018, l’économie du pays s’est trouvée en récession, pour la 3e fois en dix ans. Ce manque de dynamisme n’est pas nouveau et ses causes sont à chercher au-delà de la crise globale de 2008. La section qui suit s’intéresse aux faiblesses structurelles de l’économie ainsi qu’au ralentissement de son potentiel.

En mal d’investissements…

L’estimation comme la décomposition de la croissance potentielle[2] en Italie, sur la période 1995-2018, montrent une perte de dynamisme sans véritable équivalent dans l’Union européenne (UE), et qui est, par ailleurs, relativement ancienne. Avant 2008, la croissance potentielle du pays était déjà de moitié inférieure à celle de la zone euro (1% par an en moyenne entre 1996 et 2007). Les deux crises (financière et des dettes souveraines) l’ont ensuite emmenée en territoire négatif[3], son rebond d’après 2016 restant timide (graphique 1).

Effritement structurel

A l’origine de ces deux « décennies perdues », une productivité globale des facteurs (PGF)[4] stagnante, aujourd’hui au même niveau qu’en 1995 (graphique 2). Dans le même temps, les PGF allemande et française progressaient de près de 13%. Si celle de l’Espagne a stagné jusqu’en 2013, le rebond est marqué depuis.

Outre un effet de structure (développement des activités tertiaires, poids relativement élevé des services publics non marchands), la faiblesse des gains de productivité en Italie renvoie d’abord à un déficit chronique d’investissement, tel que le stock de capital a cessé de croître depuis 2012 (graphique 3).

Un long déclin de la productivité
Panne moteur

En 2018, la formation brute de capital fixe des entreprises (évaluée à prix constants) est toujours à son niveau de 1999. Les dépenses de R&D n’ont représenté que 1,2% du PIB au cours des vingt dernières années selon l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), contre, par exemple, 2,1% en France. Parmi les causes identifiées, un tissu industriel atomisé (constitué à 95% de microentreprises), trop peu concurrentiel, tourné vers des secteurs faiblement technologiques[5]. Alors que la plupart des études montrent que les dépenses de R&D augmentent avec la taille des sociétés, celle des entreprises italiennes est souvent en deçà du seuil requis pour bénéficier des transferts technologiques et accéder aux marchés extérieurs[6]. De fait, l’indice de performance digitale de l’économie (DESI), développé par la Commission européenne, classe l’Italie au 25e rang des pays de l’UE, soit parmi les derniers[7].

... et de financements

Autre frein à l’investissement, le crédit aux entreprises qui, contrairement à la tendance observée dans d’autres pays, ne s’est pas redressé en Italie (graphique 4). Suite à la crise des dettes souveraines en zone euro et du fait de leur exposition aux titres du Trésor italien, les banques nationales ont vu leurs coûts de financement augmenter et leurs ratings abaissés, un phénomène aggravé par le retour en récession de 2012-2013 et la dégradation de la qualité des bilans. Si la situation s’est améliorée depuis (prêts à long terme et achats d’actifs de la BCE, recul de la part des prêts non performants, amélioration des ratios de solvabilité…) les banques transalpines pâtissent toujours d’une rentabilité faible au regard des standards européens, leur capacité à financer l’économie demeurant contrainte (FMI, 2019)[8].

Panne de financements

Outre le fait qu’elles aient pu manquer, les ressources bancaires n’ont pas été allouées efficacement. Une étude de la Banque d’Italie (Schivardi et al., 2017)[9] indique que, en réaction au durcissement des normes prudentielles qui s’est opéré après 2008, les établissements insuffisamment capitalisés (pour l’essentiel, les banques régionales) ont prolongé leurs prêts aux entreprises dites « zombies »[10], ceci de manière à éviter la matérialisation des défauts. Cette mauvaise allocation des ressources s’est faite au détriment des sociétés plus rentables, ce qui a pu constituer un facteur de fragilité.

Le travail, richesse rare, mal valorisée

L’évolution du facteur travail en Italie est elle aussi en cause dans la dégradation de la croissance potentielle, et ce malgré les réformes des années 1990 et 2010 (dont le Jobs Act)[11].
La croissance annuelle moyenne du nombre d’heures travaillées, encore positive dans les années 2000 (+0,3%), est tombée à zéro, sa contribution à la croissance potentielle devenant même négative à partir de 2014 (graphique 3). Les réformes ont permis un enrichissement de la croissance en emplois, mais ont cependant laissé de côté les politiques de formation. A 22%, la part des 25-34 ans ayant un diplôme universitaire est inférieure de 7 points à la moyenne de l’UE. Par ailleurs, l’Italie se classe mal en termes de formation professionnelle ou d’évaluation des compétences des adultes (OCDE, 2019[12]).

La proportion de chômeurs de longue durée reste élevée et stable, à 60% du total en 2018, tout comme le chômage structurel. A 10,2% de la population active en 2019 (chiffre de la Commission européenne), celui-ci est l’un des plus élevés de l’OCDE. Surtout, il ne baisse pas alors que quelques progrès ont pu être récemment obtenus sur ce terrain en Espagne, au Portugal ou en France.

Enfin, la population vieillit (près d’un Italien sur quatre atteint ou dépasse 65 ans, ce qui fait de l’Italie le 2e pays le plus vieux au monde après le Japon) et celle en âge de travailler décroît. Par ailleurs, et bien qu’en hausse, le taux d’activité des Italiens reste, à 67%, l’un des plus faibles de la zone euro (il atteint par exemple 81% en Allemagne)[13]. Record dans l’UE, 29% des jeunes Italiens (20-34 ans) ne sont ni employés, ni en formation ou en études (NEET, Eurostat) contre 17% en moyenne dans l’UE[14]. De plus, ils sont 50 000 a quitter le pays chaque année.

L’output gap déjà refermé ?

L’affaiblissement du potentiel pourrait aboutir au fait que, bien qu’inscrite dans une reprise tardive et modeste, l’économie italienne bute d’ores et déjà sur des contraintes de capacités. C’est, semble-t-il, l’analyse faite par la Commission européenne, qui indique que l’output gap (l’écart du PIB à son potentiel) s’est refermé en 2018 (graphique 5).

Si l’approche directe (cf. encadré 1) vient plutôt confirmer ce diagnostic, celui-ci est loin de faire l’unanimité. L’OCDE, tout comme le Fonds monétaire international (FMI), se démarquent de la Commission en indiquant que l’output gap de l’Italie est encore largement négatif.

Au potentiel ?
Estimation du potentiel

Le débat n’est pas que théorique : la position de l’économie dans le cycle détermine la part conjoncturelle du déficit (celle qui peut se réduire spontanément en cas de rebond de l’activité) ainsi que l’efficacité des politiques de soutien à la demande. Dans sa dernière étude sur l’Italie, l’OCDE accueille plutôt favorablement l’objectif budgétaire visant à améliorer la situation des plus pauvres. Mais l’Organisation doute qu’un revenu minimum garanti y parvienne sans mesures structurelles d’accompagnement visant à améliorer l’inclusion dans l’emploi des allocataires[15]. Quelle que soit finalement leur appréciation du cycle conjoncturel, toutes les grandes institutions - Commission, FMI ou OCDE - font le même diagnostic : pour se redresser, l’Italie devra d’abord se réformer.


[1] Soit l’écart de rendement des obligations du Trésor italien par rapport aux Bunds allemands, remonté au-delà des 300 points de base (pour les emprunts à dix ans) fin 2018, et revenu à 200 points de base le 11 juillet 2019.

[2] La croissance potentielle est le taux de croissance du PIB qui peut durablement être atteint sans générer de tensions inflationnistes.

[3] Selon les estimations de la Commission européenne, assez proches de celles de l’OCDE.

[4] L’estimation de la PGF se fait en identifiant le supplément de croissance qui n’est pas expliqué par les variations des deux facteurs de production, le travail et le capital.

[5] Trésor français, Comment expliquer la faiblesse de la productivité en Italie, Trésor-Eco n°170, mai 2016

[6] OFCE, Italie: sortir du double piège de l’endettement élevé et de la faible croissance, Policy Brief, mai 2019.

[7] The Digital Economy and Society Index (DESI), classement de 2019.

[8] FMI, 2018 Article IV Consultation on Italy, février 2019

[9] Schivardi F., Sette E. et Tabellini G., Credit misallocation during the European financial crisis, Banca de Italia, Working paper n°1139, septembre 2017

[10] Définies par les auteurs comme celles dont la rentabilité des fonds propres est inférieure au coût du capital. Ibid, p.13.

[11] Adoptée en 2015 sous le gouvernement de Matteo Renzi, la réforme du marché du travail dite “Job Act” a essentiellement consisté à assouplir les règles encadrant les CDI (introduction d’un barème fixe d’indemnisation des licenciements, et de la rupture amiable des contrats, suppression de la règle de réintégration automatique, etc.) Cf. Trésor français, Les réformes du marché du travail italien, Trésor-Eco, octobre 2018.

[12] Le programme de l’OCDE pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC) classe l’Italie dernière parmi les pays répondant à l’enquête (en 2015). Par ailleurs, seules 60% des entreprises italiennes forment leurs salariés, contre 76% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Cf. OCDE, Adult learning in Italy, what role for training funds? mars 2019.

[13] La mesure des indicateurs du travail et de sa productivité est rendue complexe par l’importance de l’économie souterraine, qui représenterait près de 18% du PIB selon l’ISTAT.

[14] Développé par Eurostat, le taux de NEETS (neither in employment nor in education or training), est une mesure de l’efficacité de la transition vers l’emploi et de la capacité d’intégration des individus de 20 à 34 ans dans l’économie.

[15] OCDE, Italy Economic Survey, avril 2019

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE