Reprise cyclique de la croissance
En 2018, la croissance a accéléré (2,7% g.a.), après avoir ralenti de façon continue entre 2014 (4,7% g.a.), et 2017 (1,4% g.a.), son plus bas niveau depuis la crise financière. Dans le même temps, le relèvement du salaire minimum, les effets du phénomène climatique El Niño sur les prix ainsi que la dépréciation du change ne se sont pas traduits par des pressions inflationnistes accrues. Ceci a permis à la banque centrale de laisser son taux directeur inchangé à 4,25% (depuis avril 2018).
La croissance a été tirée par la consommation privée (+3,9% g.a.), elle-même favorisée par le ralentissement de l’inflation, la hausse des salaires réels, l’amélioration de la confiance des ménages (du moins au S1 2018) et la baisse des taux d’intérêt réels. Après s’être contracté en 2017, l’investissement brut a rebondi en 2018 (+3,5% en g.a.) sous l’effet d’une forte accumulation des stocks. Il s’est particulièrement accéléré après les élections (août) grâce à la hausse des prix des matières premières, à une plus grande disponibilité du crédit, et à un rebond de l’investissement immobilier et de la construction. Cependant, la reprise de la demande intérieure a entraîné une forte accélération des importations (+8% g.a.) tandis que les exportations ralentissaient (+1,2% contre +2,5% g.a. en 2017). Le commerce extérieur net a ainsi considérablement freiné la croissance annuelle.
À court terme, la croissance devrait gagner en rythme mais restera en deçà de son niveau historique (+4,3% sur la période 2000-2017). Les dépenses des ménages devraient bénéficier d’une hausse du crédit et d’une amélioration progressive du marché du travail. Le pouvoir d’achat des ménages devrait également bénéficier de la décision du Congrès de rejeter la proposition du gouvernement d’élargir l’assiette de la TVA. La baisse de l’impôt sur les sociétés, la remontée des prix du pétrole ainsi que la hausse des dépenses d’investissement prévues par Ecopetrol devraient, dans l’intervalle, favoriser une accélération des investissements. Les dépenses publiques devraient ralentir en raison des tensions qui pèsent sur le budget. Les données d’enquêtes révèlent toutefois un début d’année hésitant. En mars, l’indice PMI manufacturier est ressorti en deçà de 50 pour le 3e mois consécutif, tandis que l’indice de confiance des ménages demeure déprimé même s’il s’est amélioré depuis novembre.
À moyen terme, les perspectives de croissance de la Colombie restent étayées par un cadre institutionnel solide en matière de politique économique (ciblage de l’inflation, règles budgétaires, gestion active de la dette publique, flexibilité du taux de change). L’invitation faite au pays, en mai 2018, à rejoindre l’OCDE, témoigne aussi des efforts de la Colombie pour mettre en place des réformes structurelles (code du travail, gouvernance, commerce, industrie). Néanmoins, des faiblesses importantes subsistent : déficit d’infrastructures, forte dépendance vis-à-vis des matières premières, niveau élevé du travail informel, déclin de la compétitivité dans le secteur manufacturier, niveaux toujours élevés de violence associés au trafic de drogue et au crime organisé.
Des défis budgétaires persistants
Les comptes publics de la Colombie devraient faire face à des pressions croissantes malgré l'adoption récente d'une sixième réforme fiscale en 10 ans. Celle-ci a été principalement marquée par de nouvelles incitations fiscales pour les entreprises visant à promouvoir l’investissement privé. Parallèlement à une réduction de la TVA sur les biens d’équipement, l’impôt sur le revenu des sociétés sera réduit de 1 point de pourcentage par an, pour passer de 33% en 2019 à 30% en 2022.
La réforme n’aborde pas certains problèmes structurels comme la rigidité des dépenses publiques (constituées à environ 85% de dépenses obligatoires) et la forte dépendance à l’égard du pétrole. Surtout, elle ne vise pas à augmenter les recettes (les recettes fiscales stagnent à environ 14% du PIB depuis 2011). Au final, à l’issue des négociations au Congrès les recettes seront inférieures de moitié (0,7% du PIB) à celles envisagées dans le projet de loi initial. La baisse concomitante de l’impôt sur les sociétés devrait, entre-temps, entraîner une perte de recettes estimée à 1% du PIB par an. Or, les pressions sur les finances publiques augmentent en raison de l'impact budgétaire de la crise des migrants vénézuéliens (estimé à 0,5% du PIB par an). Cette situation a mené à une révision à la hausse les objectifs de déficit pour 2019 et 2020, à 2,7% et 2,3% du PIB. De ce fait, le besoin de financement public augmentera, mais il devrait être facilement couvert. En effet l’appétit pour les titres de dette publique reste vif, en témoignent les faibles primes de risque souverain (107 pb pour les CDS à cinq ans en avril).
Ralentissement des flux d’investissement
Le déficit courant du pays s’est réduit assez rapidement jusqu’en 2017 après s’être fortement dégradé en 2015 (-6,4% du PIB). En 2018, la croissance vigoureuse des importations a partiellement inversé cette tendance et le déficit courant s’est à nouveau creusé pour atteindre 3,8% du PIB. La poursuite du rebond de la demande intérieure, conjuguée au ralentissement de l’économie mondiale verra le déficit courant s’accentuer en 2019.
En 2018, les flux nets d’IDE n’ont pas permis de couvrir le déficit courant, les flux entrants d’IDE ayant nettement ralenti, atteignant même leur plus bas niveau depuis 2010 (environ USD 11 mds contre USD 14,5 mds en moyenne sur la période 2011-2017). La couverture du besoin de financement externe a été assurée par de nouveaux emprunts bancaires contractés principalement par le secteur privé.
L'augmentation de la dette extérieure (42% du PIB en 2018 contre 27% en 2014) souligne une vulnérabilité accrue au resserrement des conditions financières internationales. La Colombie reste aussi vulnérable à un retournement de confiance de la part des investisseurs étrangers. Les investissements de portefeuille (stocks) détenus par des non-résidents ont augmenté de 14% en moyenne depuis 2012 (environ 24% du PIB en 2018). La détention par les non-résidents de titres souverains en monnaie locale demeure par ailleurs significative (environ 25%). Les placements des non-résidents représentent également plus du tiers des volumes négociés sur le marché boursier. En 2018, les flux de portefeuille ont fortement ralenti (USD 349 millions contre USD 7,8 mds en 2017), les sorties nettes atteignant ainsi USD 1,2 md sur l’année. Par ailleurs, les investisseurs étrangers ont été vendeurs nets sur le marché actions pour la première fois en sept ans.
Les autorités ont pris des mesures pour atténuer les risques résultant d’un tarissement des financements extérieurs. En septembre 2018, la banque centrale a annoncé un programme visant à accroître les réserves de change par le biais du marché des dérivés. La Colombie dispose, en outre, d’une ligne de crédit modulable (LCM) accordée par le FMI, pour un montant de USD 11,4 mds (soit 3,3% du PIB) jusqu’en 2020. Enfin, la liquidité en devises reste à des niveaux convenables (représentant environ 9 mois d’imports et environ 2/3 des stocks d’investissement de portefeuille).
Vents contraires sur le front politique
Le président Duque a fait face à de multiples vents contraires depuis son entrée en fonction en août 2018. Les relations difficiles qu’entretient son gouvernement avec le Congrès ont contribué à diluer sa réforme fiscale. A ceci se sont ajoutés des mouvements de contestation populaire contre la baisse des subventions sur les carburants et l’énergie ainsi que contre la réduction des dépenses dans l’éducation. Les retombées du scandale de corruption impliquant l’entreprise de construction brésilienne Odebrecht ont également nui à la cote de popularité du président. L’aggravation de la crise politique au Venezuela et l’afflux massif de migrants pèsent également sur la société et les services publics. L’attentat perpétré en janvier contre une école de police à Bogotá par l’ELN (Ejército de Liberación Nacional), faisant 20 morts et des dizaines de blessés, a par ailleurs ravivé les craintes de voir le climat sécuritaire se dégrader, d’autant plus que le président Duque souhaite modifier l’accord de paix signé en 2016 avec les FARC[1]. Ainsi, l’objectif affiché du président de renforcer la croissance du PIB à plus de 4% en engageant d’importantes réformes structurelles dépendra d’abord de sa capacité à sauvegarder la paix.