Edito

Le signal et le bruit

29/08/2019

Les prix des actifs peuvent jouer un rôle important dans l’évaluation des perspectives économiques. La forte baisse des rendements des bons du Trésor américain au mois d’août a soulevé des inquiétudes, mais une estimation en temps réel indique une croissance pour le troisième trimestre satisfaisante aux Etats-Unis. Cela signifierait que l’incertitude accrue liée au différend commercial avec la Chine aurait entraîné une fuite vers des actifs sûrs et une baisse des taux d’intérêt à long terme. Les fluctuations dans la communication sur le différend commercial influent sur l’incertitude des investisseurs, et donc sur les primes de risque. Cela réduit la qualité du signal des prix des actifs, qui peut finir par peser sur l’économie réelle.

En théorie, les prix des actifs constituent un élément important de l’analyse des perspectives économiques : 1) ils peuvent influencer les dépenses (ex. lorsque les rendements des obligations diminuent), 2) ils reflètent les attentes des investisseurs, et 3) ils sont disponibles en temps réel. Il est encore plus tentant de leur donner davantage d’importance lorsque la visibilité sur l’état réel de l’économie est limitée (les données traditionnelles envoient alors des messages contradictoires) ou lorsque les choses bougent rapidement. Dans ce contexte, la forte baisse des rendements obligataires en août dernier est préoccupante.

Tout d’abord, elle a provoqué une inversion de la courbe des rendements des bons du Trésor américain qui, par le passé, a été suivie, avec des retards variables, par une récession. Deuxièmement, elle pourrait également être interprétée comme le reflet d’un important ajustement à la baisse des anticipations de croissance des investisseurs obligataires. Les données publiées en août ne confirment toutefois pas cette interprétation. Comme le montre le graphique, l’estimation en temps réel[i] de la croissance du PIB réel des États-Unis, pour le troisième trimestre, a fluctué dans une fourchette étroite et, plus récemment, elle a progressé, atteignant un niveau respectable de 2,3 %.

ESTIMATION EN TEMPS RÉEL DE LA CROISSANCE DU PIB RÉEL ET RENDEMENT À 10 ANS DES BONS DU TRÉSOR AMÉRICAIN

Comment expliquer l’importante baisse des rendements des bons du Trésor ? L’une des raisons possibles est que, indépendamment des données déjà publiées ce trimestre, les investisseurs sont plus pessimistes concernant les trimestres à venir. Un tel ajustement des attentes peut découler d’une mauvaise nouvelle, comme une hausse de l’incertitude ou un commentaire « hawkish » d’un fonctionnaire de la banque centrale. Or ce n’est pas le cas, bien au contraire : la Réserve fédérale a assoupli sa politique et laissé entendre que d’autres réductions de taux pourraient suivre ; ce qui nous laisse l’incertitude comme possible explication. Compte tenu des annonces faites par le président Trump au sujet de nouvelles augmentations tarifaires visant la Chine, et plus récemment des représailles de cette dernière, l’évaluation des perspectives économiques est, à juste titre, plus difficile.

Cela a alimenté la demande d’actifs sûrs, a provoqué une baisse des rendements obligataires, et a rendu la prime de terme[ii] de plus en plus négative. Le phénomène était mondial et les rendements du Bund à 10 ans ont atteint -70 points de base. Cette dynamique a probablement été renforcée par le déclin et la volatilité accrue des marchés boursiers. Elle a poussé les investisseurs à acheter des obligations d’État ou à en augmenter la durée, dans l’espoir que la baisse des rendements obligataires et, partant, l’appréciation du prix des obligations compenseraient la baisse des marchés boursiers. Un autre facteur en jeu est que les investisseurs qui s’engagent sur le long terme, comme les compagnies d’assurance ou les fonds de pension, sont forcés d’accroître leur exposition aux obligations lorsque les rendements diminuent, considérant que cette baisse augmente la valeur actualisée nette de leurs passifs[iii].

Les augmentations tarifaires passées et l’incertitude quant à l’issue du différend commercial entre les États-Unis et la Chine rendent l’interprétation des données économiques plus complexe. Dans quelle mesure expliquent-elles le ralentissement des exportations ou celui des investissements des entreprises ? En outre, l’interprétation de l’évolution des prix des actifs devient plus difficile car les variations de prix sont dominées par d’importantes fluctuations des primes de risque dues à l’incertitude, au gré des déclarations. Lorsque le signal est moins clair et que le bruit statistique augmente, une plus grande prudence peut très bien prévaloir et donc peser sur l’économie.


[i] L’estimation en temps réel nowcast est « la prédiction du présent, du très proche avenir et du passé très récent. Le terme « nowcast » est une contraction de « now » et de « cast » (prévision). Il est utilisé depuis longtemps en météorologie et, plus récemment, en économie. » (Now-casting and the real-time data flow, Marta Banbura, Domenico Giannone, Michele Modugno et Lucrezia Reichlin, document de travail de la BCE 1564, juillet 2013). Le nowcast de la Réserve fédérale d’Atlanta est basé sur un modèle d’estimation de la croissance du PIB réel du trimestre en cours en fonction des données publiées pour ce trimestre, sans aucun ajustement.

[ii] La prime de terme est la prime de risque que l’investisseur reçoit pour le risque pris en investissant dans des échéances plus longues. Quand elle est négative, l’investisseur paie pour prendre ce risque.

[iii] Selon la société de conseil Aon Hewitt, la baisse des rendements obligataires au cours de l’été a entraîné une augmentation des engagements des fonds de pension néerlandais de 4 % (IPE, Dutch schemes headed for right cuts after dramatic funding drop, 12 August 2019).

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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