Eco Emerging

Le temps presse

19/01/2022
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Au-delà du fort rebond de la croissance en 2021, l’économie argentine reste fragile. La production dans les secteurs primaire et secondaire a retrouvé son niveau d’avant la pandémie. Toutefois, l’économie reste contrainte par une inflation élevée, pourtant largement réprimée, qui pèse sur la consommation des ménages et les services. Depuis décembre dernier, la nouvelle vague de contaminations introduit une incertitude supplémentaire. Les élections de mi-mandat ont affaibli la coalition gouvernementale toujours en négociation avec le FMI. La politique monétaire va se durcir et la normalisation du financement du déficit budgétaire implique un tour de vis, même si la consolidation à marche forcée est peu probable. Mais le temps presse. Malgré l’envolée des prix des matières premières agricoles, la dérive du taux de change de marché par rapport au taux officiel s’est accentuée. De plus, les réserves de la banque centrale sont tout juste stabilisées en raison des sorties de capitaux, notamment des résidents. Surtout, une échéance de remboursement très importante est prévue en mars.

Une coalition affaiblie pour les négociations avec le FMI

La coalition de centre-gauche du président Alberto Fernandez, Frente de Todos (FdT), est sortie perdante des élections législatives partielles de mi-mandat qui se sont tenues en novembre dernier. Sa position s’est affaiblie à la Chambre des députés, de 120 sièges avant les élections à 118 (sur un total de 257). Surtout, FdT a perdu la majorité au Sénat, ne conservant que 34 des 40 sièges précédemment remportés (sur un total de 72). Le gouvernement de A. Fernandez a été sanctionné pour les dissentions au sein même du camp péroniste. On lui reproche sa gestion trop radicale de la pandémie, par ailleurs émaillée de scandales, avec un confinement long dans la capitale et sa région, et son incapacité à juguler l’inflation.

Prévisions

Les négociations avec le FMI traînent en longueur. Elles doivent permettre au pays d’obtenir un rééchelonnement de sa dette vis-à-vis de l’institution multilatérale dans le cadre d’un accord de facilité de financement étendue (EEF). Le revers électoral ne peut que conforter la position du gouvernement de limiter les conditionnalités du FMI. À l’issue des réunions techniques de début décembre 2021, la mission du FMI a indiqué que l’assainissement budgétaire devrait être graduel, durable et permettre des investissements en infrastructure et technologie, et des dépenses sociales ciblées. Il n’y aurait donc pas d’assainissement budgétaire à marche forcée. La déclaration insiste aussi sur le choix d’une stratégie multiple de lutte contre l’inflation. Celle-ci devra combiner réduction du financement monétaire du déficit budgétaire, politique monétaire appropriée avec des taux d’intérêt réels positifs et, dans des termes beaucoup plus vagues, une coordination salaire-prix. C’est en effet l’inflation qui nourrit l’instabilité financière, bride structurellement la croissance et aggrave la pauvreté qui touche plus de 40% de la population.

Reprise fragile et inflation réprimée

La reprise économique s’est consolidée au S2 2021 mais reste fragile. Le PIB réel a rebondi de 4,1% t/t au T3 après -0,9% au T2 mais il s’est de nouveau contracté en octobre (il reste supérieur de 2% à son niveau pré-pandémique). D’un côté, la reprise de l’activité dans la construction est soutenue et explique le fort rattrapage de l’investissement, composante de la demande la plus dynamique (+13% par rapport au niveau de 2019). D’un autre côté, la production industrielle faiblit depuis juillet 2021 même si elle dépasse de 8% son niveau pré pandémique (cf graphique). Mais la plupart des secteurs dans les services, à l’exception de la santé et de l’éducation, n’ont pas retrouvé leur niveau de la fin 2019, a fortiori ni ceux de la fin 2017, qui marque le début de la récession dans ce pays. Au T3, la consommation des ménages était encore 5% inférieure à son niveau du T4 2019 avec des salaires réels en recul, sur la même période, de 6% dans le secteur privé et 9,5% dans le secteur public. La consommation publique a pour partie compensé la faiblesse de la consommation privée, surtout depuis la mi-2021.

La nouvelle vague de Covid-19 introduit une incertitude supplémentaire sur la reprise. Depuis la mi-décembre, le nombre de nouveaux cas a très fortement augmenté avec la circulation du variant Omicron. L’Argentine est de loin la plus touchée en Amérique latine avec un peu plus de 110 milliers de cas par jour à la mi-janvier, soit un taux de 2500 par million d’habitant (contre 680 en moyenne pour les principaux pays latino-américains). Cette reprise épidémique coïncide avec la levée mi-octobre des restrictions aux touristes étrangers pour la période estivale. Pour l’instant, la mortalité reste très faible et le nombre d’hospitalisations en soins intensifs est moindre que lors des vagues précédentes.

Même si l’activité recule de nouveau au T4 2021, le PIB enregistrera un très fort rebond sur l’ensemble de l’année compte tenu des effets d’acquis. Mais, en 2022, la croissance devrait fortement ralentir en raison 1/ de l’accélération attendue de l’inflation et du durcissement de la politique monétaire (la BCRA a déjà relevé son taux directeur de 38% à 40%) ; 2/ du choc transitoire de la dévaluation anticipée du taux de change officiel, condition nécessaire pour l’alignement des différents taux de change dont l’écart a continué de s’élargir[1], et la levée progressive du contrôle des changes ; 3/ d’une normalisation du financement du déficit budgétaire qui devrait impliquer un ralentissement des dépenses courantes.

Le taux d’inflation mensuel s’est réduit d’environ 4% en moyenne d’octobre 2020 à avril 2021, à 3.2% de mai à décembre 2021. Mais ce ralentissement est provisoire. La dépréciation du taux de change officiel a certes été ramenée à 1% par mois depuis juillet contre 3% au S1 2021. Mais l’écart entre le taux de marché et le taux officiel dépasse largement le seuil de 40% au-delà duquel l’effet de diffusion du change sur les prix est amplifié. Par ailleurs, le ralentissement a été obtenu au prix d’un contrôle des prix (et même d’un gel temporaire entre octobre 2021 et début janvier 2022) dont la couverture, déjà large, devrait être étendue[2]. L’inflation ainsi réprimée est estimée à environ 10 points de pourcentage pour un taux d’inflation sur un an de 51% en Décembre.

Le rattrapage des augmentations gelées et la revalorisation des tarifs règlementés font craindre une réaccélération au S2 2022 qui pourrait amener le taux d’inflation jusqu’à 60% mi-2022. À cela peut s’ajouter un impact défavorable de la politique monétaire et de change à venir si les effets négatifs (dévaluation du taux de change officiel, augmentation de son taux de dépréciation cible pour permettre à la banque centrale de reconstituer ses réserves de change) l’emportent sur les effets positifs (durcissement monétaire, réduction de l’écart entre le taux de change de marché et le taux officiel).

Indicateurs d'activité
Taux et réserves de change

Des comptes extérieurs et publics en demi-teinte

Le déficit budgétaire s’est nettement réduit en 2021. Il a atteint à seulement -3,1% du PIB (-2,2% hors intérêts) en novembre et en cumul sur 12 mois, après respectivement -8,5% et -6,5% en 2020. Toutefois, la performance est bien moindre si l’on tient compte du transfert de l’allocation de DTS (1% du PIB) et des revenus exceptionnels tirés de la taxe extraordinaire sur les gains boursiers (0,6% du PIB). De plus, les intérêts payés par la banque centrale sur sa dette (Leliq et swaps), qui représentait fin décembre environ 100% de la base monétaire (contre 80% en 2020), ne sont pas inclus dans le budget du gouvernement central. Pourtant, ils constituent le coût de stérilisation du financement monétaire du déficit budgétaire. Ces intérêts se sont élevés à 2,6% du PIB, comme en 2020, malgré la baisse des avances directes de la BCRA au Trésor (de 7% du PIB en 2020 à 2,7% points de PIB en 2021). Au total, le déficit budgétaire corrigé des transferts de la banque centrale, mais incluant le coût de stérilisation, s’est élevé à 6,4% du PIB, ce qui donne une image plus juste du déséquilibre des finances publiques. Fin décembre, le budget pour 2022 n’avait toujours pas été adopté après un rejet par le Sénat. Le gouvernement devra le réviser et le faire voter rapidement, son adoption étant un préalable pour le FMI.

La liquidité extérieure reste faible. L’excédent commercial s’est pourtant élargi et va probablement dépasser USD 15 mds en 2021 grâce au rebond très fort des cours des principales matières premières agricoles exportées (+47% pour le soja, 38% pour le mais et 16% pour le blé). La balance de base (balance courante + balance des investissements directs) devrait être excédentaire d’au moins USD 10 mds. Or, les réserves de change, qui s’étaient consolidées à USD 46 mds après l’acquisition des DTS, sont retombées à USD 39 mds, sous leur niveau de la fin 2020. Les sorties nettes d’investissements de portefeuille se sont élevées à 5 mds sur les neuf premiers mois de 2021 et les achats nets de devises du secteur privé non financier ont repris au deuxième semestre.

D’après les estimations de Global Source partners, le service de la dette extérieure (intérêts et principal) s’élèvera à environ USD 25 mds en 2022 (USD 22 mds pour le FMI), et USD 29 mds en 2023 (USD 23 mds au FMI). Un accord de rééchelonnement doit absolument être conclu avant la prochaine échéance importante de mars (plus de USD 5 mds aux seuls créanciers officiels, principalement le FMI et le Club de Paris).

Achevé de rédiger le 12 janvier 2022

[1]Le taux de marché du dollar contre ARS (le blue Chip Swap rate) est actuellement le double du taux officiel. Depuis avril, il s’est apprécié beaucoup plus fortement (4,5% par mois en moyenne contre 1,3% pour le taux officiel). Il évolue en effet de pair avec le ratio base monétaire/réserves de change qui est un bon proxy du taux de change dans les économies à régime d’inflation très élevée.

[2]Le 15 octobre 2021, le gouvernement avait obtenu un accord de principe des acteurs de la grande distribution et des industriels et/ou leurs représentants concernés pour un gel des prix d’environ 1200 produits jusqu’au 7 janvier. Un contrôle des prix existe déjà dans le cadre du programme Precios Cuidados sur plus de 700 produits. À l’issue de la période de gel temporaire, le gouvernement espère obtenir une extension de la couverture de Precios Cuidados à environ 1300 produits. Il s’agirait d’un accord sur la base du volontariat limitant les hausses à 2% en cas de révision mensuelle et 6% en cas de révision trimestrielle.

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