Une croissance au plus bas
Depuis le second semestre 2018, la croissance économique indienne a fortement décéléré. Au premier trimestre de l’exercice budgétaire 2019/2020 (entre avril et juin 2019) elle s’est élevée à seulement 5% en glissement annuel (g.a.) soit le rythme le plus faible enregistré depuis six ans. Le ralentissement de l’activité résulte essentiellement d’une forte décélération de la demande intérieure. En effet, même si la croissance des exportations indiennes a ralenti (alors qu’elles se sont contractées dans les autres pays d’Asie), la contribution des exportations nettes à la croissance est redevenue positive après huit trimestres de contribution négative.
La consommation privée, principal moteur de la croissance, n’a augmenté que de 3,1% en g.a. contre plus de 8% en moyenne l’année dernière. Ce ralentissement s’explique notamment par une baisse de confiance des ménages conjointement à la hausse du taux de chômage, lequel a atteint 8,2% fin août (contre 6,5% un an plus tôt).
Par ailleurs, l’offre de crédit non bancaire a ralenti en raison des difficultés de financement enregistrées par les sociétés financières non bancaires (depuis la faillite de IL&FS en septembre 2018). L’investissement total a fortement décéléré (+4% en g.a. contre 13,3% l’année dernière) dans un contexte de taux d’intérêt élevés (9,8% en juillet sur les nouveaux crédits en roupies) en dépit de la politique d’assouplissement monétaire menée par la banque centrale indienne (RBI) depuis février 2019. Les taux moyens d’intérêt sur les nouveaux crédits n’ont baissé que de 29 points de base (pb) entre février et août alors que la banque centrale a abaissé ses taux directeurs de 110 pb sur la même période.
Les indicateurs d’activité du deuxième trimestre de l’exercice budgétaire en cours ne laissent pas entrevoir de rebond à court terme. La production de biens en capital s’est contractée en août pour le septième mois consécutif, les ventes automobiles ont fortement baissé, les indices de confiance se sont encore dégradés et, d’après les dernières enquêtes PMI, l’activité dans l’industrie n’avait toujours pas enregistré de rebond au mois d’août. Enfin, le ralentissement du crédit bancaire enregistré depuis février s’est sensiblement accentué au mois d’août.
Pour soutenir l’activité économique, le gouvernement et la banque centrale ont adopté de nombreuses mesures, la plus importante étant la forte baisse du taux d’imposition sur les sociétés.
Baisse du taux d’imposition sur les sociétés : une mesure positive à moyen terme
Fin septembre, le gouvernement a annoncé une baisse du taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés de 30% à 22% (avec effet rétroactif au 1er avril 2019) et un taux préférentiel de seulement 15% pour les sociétés du secteur manufacturier créées après le 1er octobre 2019. En incluant l’ensemble des autres taxes qui pèsent sur les entreprises (notamment les taxes sur l’éducation), le taux d’imposition effectif serait de 25,17% (17% pour les nouvelles
sociétés dans le secteur manufacturier), un niveau proche des taux appliqués par les autres pays émergents d’Asie (25% en Indonésie, 24% en Malaisie).
A court terme, l’impact sur la croissance devrait néanmoins être limité. En effet, c’est essentiellement la consommation des ménages qui est à l’origine du ralentissement actuel. En outre, les entreprises indiennes pourraient choisir de profiter de la baisse des taxes pour se désendetter plutôt que d’investir dans un climat économique peu porteur.
A moyen terme, une telle mesure permettra d’accroître la compétitivité de l’Inde et favorisera ainsi les investissements directs étrangers. Néanmoins, le gouvernement Modi devra aller plus loin dans ses réformes. Les contraintes qui pèsent sur l’acquisition des terres et la rigidité du marché du travail restent des freins majeurs aux investissements domestiques et étrangers.
Finances publiques : risque de dérapage budgétaire sur l’exercice 2019/2020
Pour la deuxième année consécutive, le gouvernement fédéral pourrait ne pas atteindre son objectif de réduction du déficit budgétaire à 3,3% du PIB sur l’exercice 2019/2020 (contre 3,4% du PIB pour l’exercice 2018/2019). Sur les cinq premiers mois de l’année, son déficit budgétaire a déjà atteint 78,7% de sa cible annuelle.
Cette mauvaise performance reflète des recettes bien inférieures aux prévisions. En effet, sur les cinq premiers mois de l’exercice en cours, les dépenses ont atteint 42,2% de leur cible annuelle mais les recettes, bien qu’en hausse, n’ont atteint que 29,8% de leur objectif fixé à 9,9% du PIB (contre 8,8% du PIB sur l’exercice 2018/19). Ce sont essentiellement les recettes fiscales qui sont inférieures aux prévisions du gouvernement. Elles n’ont atteint que 24,5% de leur cible en raison du ralentissement de la demande intérieure et des échanges commerciaux.
Le gouvernement estime, par ailleurs, le manque à gagner induit par la baisse du taux d’imposition sur les sociétés à 0,7% du PIB (dont 0,46% du PIB serait à la charge du gouvernement central). Une partie de cette perte serait compensée par un transfert des surplus de la banque centrale plus important que prévu : la RBI a annoncé fin août que le transfert au gouvernement de ses surplus de réserves (par rapport à ses besoins) atteindrait cette année l’équivalent de 0,8% du PIB (contre 0,5% du PIB initialement prévu dans le budget du ministère des Finances).
Si le gouvernement ne réduit pas sensiblement ses dépenses pour le reste de l’année, le déficit du gouvernement et de l’ensemble des administrations rapporté au PIB pourrait augmenter (+0,4 pp) à 6,7%. Par conséquent, l’objectif du gouvernement d’abaisser le ratio de dette publique à 60% du PIB d’ici 2025 (contre 67,3% du PIB en 2018/2019) semble très éloigné.
La dette publique indienne reste élevée pour un pays émergent[1] mais sa structure est peu risquée. Le risque de change est faible car la dette libellée en devises ne s’élevait en juin 2019 qu’à 2,8% du PIB. Par ailleurs, le risque de refinancement reste contenu dans la mesure où la dette a une maturité moyenne de 10,4 ans. Seulement 4,3% des titres de dettes arriveront à échéance au cours des douze prochains mois. De plus, 93% de la dette étant détenue par les résidents, le gouvernement est peu dépendant des investisseurs étrangers pour financer sa dette.
Baisse des pressions sur les comptes extérieurs
En 2018, les comptes extérieurs de l’Inde avaient été fragilisés. La hausse du déficit courant, la baisse des investissements directs étrangers et des investissements de portefeuille avaient conduit à une baisse des réserves de change de USD 15 mds et une dépréciation de la roupie face au dollar de 9%.
Depuis, cette tendance s’est inversée. Sur les neuf premiers mois de l’année 2019, le taux de change est resté stable en moyenne et les réserves de change ont augmenté de USD 33,5 mds pour atteindre USD 401,6 mds fin septembre, soit un niveau jamais atteint. Elles couvrent 1,4 fois les besoins de financement à court terme du pays (USD 297 mds). Dans le même temps, les IDE et les investissements de portefeuille ont augmenté (à 1,9% du PIB et 1,4% du PIB au S1 2019). La forte hausse des IDE au lendemain de la victoire de Narendra Modi est particulièrement positive car elle couvre le déficit courant et permet de réduire la dépendance du pays aux capitaux volatiles. Par ailleurs, même si le déficit courant devrait se creuser sur la deuxième partie de l’année 2019 (il a atteint 1,3% du PIB au S1 2019 alors qu’il s’établissait à 2% à la même époque l’année dernière), il restera contenu autour de 2,5% du PIB.
Enfin, la dette extérieure, bien qu’en légère hausse (+8,7 au T2 2019 en g.a.) reste modérée. Elle s’élevait à seulement 19,8% du PIB fin juin 2019. Les emprunts commerciaux constituent le premier type de dette (38,4% de la dette totale), suivis par les dépôts des non-résidents (24%) et les crédits commerciaux à court terme (18,7%).