Podcast - En ECO dans le texte

Lutte contre l'inflation : les banques centrales sont-elles en passe de gagner leur pari ?

11/10/2023

Dans ce nouveau podcast consacré à la lutte des banques centrales contre l’inflation, Andrew Craig, co-responsable de l'Investments Insight Center de BNP Paribas Asset Management, échange avec William De Vijlder, chef économiste du groupe BNP Paribas. Les banques centrales ont pratiqué ces derniers trimestres une politique de resserrement monétaire pour lutter contre les poussées inflationnistes, alors qu’aujourd’hui on distingue une baisse de l’inflation, peut-on dire qu’elles ont achevé leur mission ?

Transcription

Andrew Craig

Bonjour et bienvenue, vous écoutez En Eco Dans Le Texte, le podcast des études économiques du groupe BNP Paribas. Je suis Andrew Craig, co-head du Investment Insights Center à BNP Paribas Asset Management et je suis aujourd'hui avec William De Vijlder, chef économiste du groupe BNP Paribas.

William de Vijlder

Bonjour Andrew.

Andrew Craig

Bonjour William.

Donc, notre sujet aujourd'hui, c'est la lutte des banques centrales contre l'inflation.

Est-ce que leur mission est accomplie ? Est-ce qu'elles ont gagné le pari ? Nous sommes à la fin du troisième trimestre 2023 et nous avons assisté à un resserrement rapide de la politique monétaire par les grandes banques centrales dans les pays développés.

Actuellement, il est clair que les pressions inflationnistes sont moins fortes qu'en 2022, que l'inflation baisse. Mais est-ce qu'on peut dire que la mission est accomplie des banques centrales ?

00:01:13 - William de Vijlder

En partie, je dirais oui, dans le sens où on se rapproche du point où les banques centrales peuvent dire qu'il n'y a plus besoin de monter le taux davantage. Mais bon, il reste à voir comment l'inflation finira par réagir. Ce que nous avons constaté depuis le pic de l'inflation, c'est surtout une baisse de l'inflation globale, « headline inflation » comme on dit, qui trouve son origine dans une forte baisse des prix de l'énergie.

Tandis que la baisse de l'inflation sous-jacente, lorsqu'on exclut l'impact des prix de l'énergie et des produits alimentaires, cette baisse de l'inflation sous-jacente a été beaucoup plus limitée. Maintenant, étant donné le resserrement cumulé qui a été à la fois très important et également très rapide, qu'il s'agisse de la zone euro, du Royaume-Uni ou encore des États-Unis, tout porte à croire qu'effectivement l'économie y réagira d'une telle façon que l'inflation baissera, continuera à baisser l'année prochaine et nous ramènerait à un chiffre qui se rapproche de l'objectif de Banque centrale, je dirais, début 2025.

00:02:21 - Andrew Craig

Donc, les banques centrales insistent beaucoup actuellement sur le fait que l'inflation est sur la bonne voie. Elles reconnaissent qu'elles n'ont pas beaucoup de visibilité sur l'évolution de l'inflation d'ici la fin de l'année et en 2024, mais elles considèrent que le "trend" et la tendance sont favorables.

Combien de temps est-ce que vous pensez qu'il va falloir attendre pour qu'on voit le vrai impact de ce resserrement monétaire depuis l'été et printemps 2022 ?

00:02:54 - William de Vijlder

Ce qui complique l'analyse et donc la réponse à cette question, c'est que nous avons vécu une multitude de chocs.

Dans ce cycle économique, normalement, on parle d'un choc de demande ou d'un choc d'offres, tandis qu'ici, nous avons vécu un choc d'offres COVID-19, mais qui, une fois le confinement terminé, a conduit à un choc de demande. Il y a eu le choc d'offres lié à la disruption des chaînes de valeur.

Il y a eu le choc lié à la guerre en Ukraine. Donc, des chocs multiples qui vraiment compliquent l'analyse parce que c'est comme si on est dans un environnement qui est beaucoup plus difficile à appréhender, beaucoup plus complexe. Et c'est pour cette raison, d'ailleurs, que les banques centrales ne vont pas s'exprimer d'une façon très claire sur quand est-ce que l'inflation va suffisamment baisser et jusqu'où on maintient les taux à leur niveau actuel, parce qu'en fait, elles ne savent pas non plus.

Un autre élément qui est très important, bien sûr, elles veulent éviter de donner un signal qui serait trop clair, redoutant que peut-être à un moment donné, elles doivent revenir sur ce qu'elles ont dit. Donc, il y a une grande humilité dans l'expression ou la publication des prévisions, qui est d'ailleurs un élément sur lequel a insisté beaucoup la présidente de la BCE, Christine Lagarde, récemment, où elle dit que la prévision aujourd'hui est devenue extrêmement compliquée.

Nous devons avoir beaucoup d'humilité. Et en étant humble, en fait, la probabilité qu'on sera plus crédible en bénéficie.

00:04:33 - Andrew Craig

Est-ce que vous pensez que l'inflation va baisser rapidement ou est-ce que vous pensez qu'on est aujourd'hui dans un monde foncièrement différent au monde économique qu'on a connu avant la pandémie ? Est-ce que l'espoir d'un retour des taux à des niveaux très bas qu'on a vu dans les années avant la pandémie,

est-ce que vous pensez que c'est réaliste ?

00:05:00 - William de Vijlder

Au niveau de la dynamique de l'inflation, il y a différents éléments qu'on doit passer en revue. Le premier, c'est lorsqu'on regarde la dynamique du côté offre de l'économie, le prix des intrants, les délais de livraison. Là, on peut dire qu'on a vraiment assisté à une normalisation.

Donc ça, ce n'est plus le sujet. Au niveau des prix à l'importation, lorsqu'on importe l'énergie, on a vu une baisse jusqu'il y a peu. Mais il faut aussi constater que depuis quelques semaines maintenant, le pétrole est à nouveau dans une tendance haussière.

C'est un facteur qui complique la donne au niveau de la désinflation. Donc c'est un point d'attention. Ce qui est important de souligner, c'est que la pénurie des mains d'œuvre, qui avait pris des proportions énormes aux États-Unis et en zone euro aussi, s'atténue un peu, mais quand même la croissance des salaires reste élevée en zone euro.

Aux États-Unis, elle ralentit, tout en restant également à un niveau élevé. Donc ça, c'est un processus qui devrait être assez lent. Et puis, il y a la grande question de ce qui se passe avec la capacité des entreprises à augmenter leur prix. Cette capacité, elle dépend bien évidemment de la vigueur de la demande.

Jusqu'il y a peu, la demande était assez vigoureuse, donc donnant la possibilité de refléter dans les prix de vente la hausse des coûts des entrants, encore la hausse des coûts salariaux. Ce qu'on constate dernièrement, c'est qu'il y a quand même certains secteurs où ça devient plus difficile, tandis que d'autres, je pense notamment au secteur du tourisme, où la capacité à augmenter les prix reste élevée.

Donc lorsqu'on prend tout ça dans leur ensemble, la conclusion à laquelle on arrive, oui, il y aura désinflation. Le processus devrait être assez lent. Il y a toujours un risque de surprise défavorable, en l'occurrence une désinflation qui serait plus lente que ce qu'on imaginait, ce à quoi on s'attendait.

Un élément qui joue à ce propos, ce sont des développements qui sont plutôt structurels et ça, c'est encore un changement par rapport au monde pré-COVID. Un élément qui joue, par exemple, c'est une partie de l'économie reste résiliente parce qu'il y a une nécessité d'investir dans le cadre de la transition énergétique.

C'est un facteur de soutien indéniable à la demande. C'est un facteur qui met de la pression dans le marché du travail, du moins pour certains secteurs. Donc c'est un élément qui contribue à une certaine inflation. Le veillissement démographique est un facteur qui, dans la durée, devrait quand même conduire à une croissance de salaire un peu plus dynamique que ce qu'on a pu voir dans le passé.

Et puis un autre élément qui joue et qui je pense est important, c'est ce qui se passe en termes de changement des chaînes de valeur. Donc la réorientation des flux commerciaux parce qu'on souhaite produire plus à proximité de l'endroit où on va vendre.

Comme ça, on a des chaînes de valeur qui sont plus robustes. Également la dimension géopolitique, bien évidemment, qui joue également. Donc ce sont des éléments qui, à nouveau, contribuent dans une certaine mesure un peu plus d'inflation. Tout ceci devrait donner lieu à un contexte où on sera déjà soulagé si on arrive à converger vers l'inflation, l'objectif d'inflation.

Mais la probabilité de passer durablement et significativement en dessous me paraît très faible.

00:08:48 - Andrew Craig

Oui, donc un retour à la situation qui existait pendant des années avant la pandémie est peu probable, étant donné que le monde a changé, que, comme vous dites, on a la transition énergétique, on a une situation géopolitique très différente et on a aussi le vieillissement des populations.

William de Vijlder

Oui, oui.

Andrew Craig

C'est un élément qui explique peut-être le fait que les taux de chômage, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, restent très bas.

Et il y a clairement, on peut parler d'une pénurie de main-d'œuvre.

William de Vijlder

Oui, tout à fait.

Andrew Craig

Et créant une pression inflationniste. Et c'est un des défis, peut-être, pour les banques centrales.

Est-ce que vous pensez que c'est possible pour la Banque centrale américaine d'arriver à faire en sorte qu'il y ait un atterrissage de l'économie américaine en douceur, sans que le taux de chômage monte de telle manière que ça débouche forcément sur une récession ?

William de Vijlder

C'est l'ambition de toute banque centrale qui remonte les taux d'arriver à ce fameux atterrissage en douceur, qui en fait, c'est quoi ? C'est un cycle de resserrement monétaire qui conduit à une convergence de l'inflation vers l'objectif, sans provoquer une récession, sans provoquer une nette hausse du chômage.

L'expérience historique aux États-Unis, parce que c'est quand même le pays où on dispose de plus de données qu'ailleurs, montre que c'est plutôt l'exception que la règle. Et le fameux atterrissage en douceur de 1995. Mais sinon, en général, un resserrement monétaire significatif tend à provoquer une récession.

Et c'est toujours ce qu'on redoute dans le contexte actuel. Maintenant, il y a des facteurs qui doivent nuancer ceux qui disent qu'un atterrissage plus brutal est inévitable. L'élément qui joue, c'est vraiment la résilience de l'économie. C'est le besoin d'investissement dans le cadre de la transition verte, le digital, le numérique.

Ce sont des facteurs qui soutiennent la demande, à la fois au niveau des ménages, des entreprises, du secteur public aussi. Et ça, aux États-Unis, aux Royaume-Uni, en zone euro, un peu partout dans le monde. Donc, c'est un élément de soutien très important, de résilience de l'économie.

Ce qui en découle toutefois, c'est que dans certains secteurs, le goulot d'étranglement ou la pénurie de mains d'œuvre risquent de perdurer à cause de ce besoin d'investissement. Et en conséquence, le processus de désinflation pourrait être plus lent, nécessitant que les banques centrales maintiennent leur taux au pic cyclique beaucoup plus longtemps qu'on ne l'imagine aujourd'hui.

Et donc, ça, c'est un élément qu'on doit suivre de très près parce que ça a une influence sur les décisions de financement des entreprises. Est-ce qu'on va pour des maturités courtes ou plutôt des taux variables ou des taux fixes ?

Même question pour les ménages ou encore le comportement des marchés financiers.

00:12:03 - Andrew Craig

Si on parle un petit peu de la Chine, nous avons parlé des États-Unis, de l'Europe, du fait que les banques centrales ont réussi à faire baisser l'inflation. Le niveau de l'inflation reste toujours trop élevé, mais la tendance est favorable. Alors qu'en Chine, qui est bien sûr un pays avec un point économique très important, on voit une situation de désinflation, même de déflation.

Est-ce que c'est quelque chose qui peut influer sur le cours de l'inflation et sur les pressions inflationnistes en Europe et aux États-Unis ? Est-ce que vous pensez que c'est un facteur à prendre en compte ?

00:12:46 - William de Vijlder

On doit effectivement en tenir compte.

Juste pour mentionner, comment se fait-il que la Chine est à ce point différent de ce qu'on voit par ailleurs ? Il y a un vrai sujet lié à la crise immobilière. Il y a quand même une attitude beaucoup plus prudente des entreprises dans leurs décisions d'investissement.

Au niveau des exportations, il y a plutôt une croissance très molle ailleurs dans le monde, donc ça influence les exportations. Il y a la problématique géopolitique également qui joue les tensions économiques entre les États-Unis et la Chine. Face à ça, les ménages chinois adoptent une attitude qui est devenue beaucoup plus circonspecte, ne fut-ce que parce que, par exemple, le chômage des jeunes atteint les 20 %.

Donc lorsqu'on prend tous ces éléments ensemble, inévitablement, on arrive à un contexte marqué par une très faible inflation. C'est quelque chose qui peut influencer la stratégie des entreprises chinoises dans la fixation de leur prix de vente aux exportations.

Ça peut donc être un facteur qui conduit à importer une déflation en Europe ou aux États-Unis lorsqu'on importe des produits qui sont faits en Chine. Un autre élément qui peut jouer, c'est que les autorités chinoises pourraient décider d'accepter une dépréciation encore plus importante que ce qu'on a déjà pu voir de la devise chinoise, qui serait encore un facteur qui conduirait à une certaine déflation au niveau des importations par les pays occidentaux.

Le point qui est très important, c'est que l'impact, somme toute, devrait être relativement limité, mais il y a surtout le point d'attention que ça impliquerait que la compétitivité des entreprises chinoises augmenterait. Et donc, ça, c'est un élément qui, pour moi, nécessite beaucoup plus un focus que simplement dire ah oui, c'est une sorte d'aubaine en terme de dynamique désinflationnistes.

00:14:42 - Andrew Craig

Oui, donc on voit qu'aujourd'hui, la situation est compliquée. La situation est incertaine, même si les banques centrales dans les pays développés ont resserré de manière très importante la politique monétaire pendant les derniers 18 mois. Quand on se pose la question combien de temps vous pensez que les taux vont rester à des niveaux actuels, est-ce que vous pensez qu'on est sur un plateau maintenant où les taux directeurs vont rester pendant une période importante ?

00:15:10 - William de Vijlder

Dans notre scénario, nous avons un début d'assouplissement monétaire qui intervient quelque part au second trimestre ou au deuxième trimestre de l'année prochaine, aussi bien aux États-Unis qu'en zone euro. Mais notre scénario, notre prévision est surtout marquée par un processus lent de baisse des taux d'intérêt.

Et pourquoi le processus devrait être lent ? Il y a tout le contraire de ce qu'on a pu voir dans le passé où typiquement les baisses des taux étaient agressives, rapides. Donc ici le processus devrait être lent. Pourquoi ? Parce que les banques centrales vont commencer à baisser les taux à un moment où l'inflation sera toujours largement supérieure à l'objectif.

Mais elles doivent commencer à baisser parce que ce n'est plus nécessaire de maintenir le même niveau de resserrement que celui auquel nous arrivons aujourd'hui. Mais elles doivent aussi faire attention à ne pas exagérer parce qu'autrement leur crédibilité en souffrirait, les anticipations inflationnistes augmenteraient, etc.

Donc pour cette raison, leur approche devrait être très progressive.

00:16:15 - Andrew Craig

Oui, on comprend que la situation est délicate et que la sortie va être compliquée pour les banques centrales.

C'est la fin de notre podcast. William, merci beaucoup pour cette analyse.

William de Vijlder

Avec plaisir. Merci beaucoup.

Andrew Craig

Vous avez écouté En Eco Dans Le Texte le podcast des études économiques du groupe BNP Paribas avec chef économiste du groupe BNP Paribas, William de Vijlder.

Merci William.

William de Vijlder

Merci beaucoup.

Andrew Craig

Merci à vous de nous avoir rejoints et à bientôt.

Enregistré le 19 septembre 2023

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE