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Editorial

Économie mondiale | Perspectives cycliques : les inconnues connues

03/19/2024
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Aux États-Unis, la dernière Enquête des prévisionnistes professionnels (SPF) de la Banque de Réserve Fédérale de Philadelphie dresse un tableau plutôt optimiste des perspectives économiques. Une enquête similaire de la BCE table sur une reprise graduelle de la croissance cette année. Dans l'un et l'autre cas, le niveau de désaccord est faible. Il est donc permis d'être confiant sur les perspectives économiques. Toutefois, les scénarios alternatifs sont majoritairement négatifs pour la croissance et conduiraient à une baisse plus nette de l’inflation, tandis que certains d'entre eux ont des implications radicalement différentes du point de vue de l’évolution des rendements obligataires. Cela signifie qu'à mesure que la probabilité de réalisation de ces différents scénarios alternatifs évolue, les rendements obligataires pourraient connaître une volatilité élevée.

États-Unis : dispersion transversale
des prévisions trimestrielles du PIB réel

Aux États-Unis, la dernière Enquête des prévisionnistes professionnels (SPF) de la Banque de Réserve Fédérale de Philadelphie dresse un tableau plutôt optimiste des perspectives économiques. Un ralentissement de la croissance serait attendu au deuxième trimestre de cette année, mais l'activité devrait maintenir une dynamique honorable au cours des trimestres suivants.[1] En zone euro, l'Enquête des prévisionnistes professionnels de la BCE table sur une reprise graduelle de la croissance trimestrielle cette année.[2] Les économistes semblent globalement s'accorder sur ces prévisions. Le graphique 1 présente, pour les États-Unis, la dispersion des prévisions de croissance trimestrielle du PIB réel des participants à l'enquête. Logiquement, à mesure que l'horizon des prévisions s'allonge, la dispersion tend à diminuer. Les opinions des prévisionnistes peuvent diverger fortement sur les évolutions à court terme (ce qui transparaît dans le degré élevé de désaccord entre les prévisionnistes) tandis que ces divergences sont moins probables à moyen terme. Il est intéressant de noter que pour la dernière SPF, la dispersion entre les différents horizons de prévisions est plus faible que celle qui avait été observée au début de 2022 et de 2023. Pour 2023, le degré élevé de dispersion était peut-être dû aux divergences de points de vue sur les conséquences des hausses des taux de la Réserve Fédérale. Dans la situation actuelle, les perspectives de baisse des taux expliquent peut-être le degré limité de dispersion entre les prévisions de croissance. Il est utile de souligner que cette dispersion est également très inférieure à la moyenne calculée sur la base de l'ensemble des enquêtes réalisées depuis le début de l’année 2022. S'agissant de la zone euro, le tableau 1 présente l’écart-type entre les prévisions de PIB réel des participants à l'enquête. Depuis les enquêtes du premier trimestre 2023, cet indicateur des divergences de prévisions pour les deux trimestres à venir a fortement diminué. Dans l'enquête du premier trimestre 2024, il est tombé à 0,4, un niveau qu'on n'avait pas observé depuis le troisième trimestre 2023. Depuis le second semestre 2023, l’écart-type des prévisions pour les six trimestres à venir a également diminué jusqu'au niveau très faible de 0,2.

Zone euro : écart type des prévisions du PIB réel

Un faible niveau de désaccord n'implique pas que les prévisionnistes ne laissent aucune place au doute. Cela signifie simplement qu'ils ont une évaluation similaire de la situation. Pour l’utilisateur des prévisions économiques, ce faible degré de désaccord est le bienvenu dans la mesure où les prévisions envoient alors un signal plus fort.[3] Sur les marchés financiers, toutefois, une telle convergence augmente la sensibilité des cours des actifs aux évolutions inattendues et à un changement du scénario le plus probable. Il importe, donc, de s'intéresser également aux sources de risque et d'incertitude. Le tableau 2 donne un aperçu non exhaustif des principales « inconnues connues » et de leurs conséquences économiques. Tout d'abord se pose le problème des effets retardés du resserrement monétaire passé, ce qui signifie que ces effets n'auraient pas fini de se manifester, et que nous risquons actuellement de les sous-estimer. À mesure qu'ils deviendraient plus visibles, l’impact sur la croissance aux États-Unis et en zone euro devrait être négatif, amplifiant le processus désinflationniste, avec pour conséquence une baisse des rendements obligataires. Vient ensuite la possibilité que les banques centrales n'adoptent une politique plus prudente au moment de baisser les taux directeurs. Les récentes déclarations de Jerome Powell et de Christine Lagarde semblent avoir déjà jeté un froid sur les prévisions excessivement optimistes du marché en termes de timing et de rythme d'assouplissement monétaire.

Impact sur les perspectives

Si toutefois l'inflation s'avérait plus persistante que prévu, les taux directeurs pourraient être maintenus plus longtemps à un niveau élevé, ce qui pèserait sur la croissance. La baisse de l'inflation finirait ensuite par s'accélérer, mais le processus de désinflation aurait pris plus longtemps que prévu. Les marchés obligataires connaîtraient alors une forte volatilité : les rendements commenceraient par monter à mesure que les investisseurs prendraient conscience de leur excès d'optimisme sur leurs prévisions de baisses des taux, mais ce rebond céderait ensuite la place à un recul plus marqué encore en réaction au ralentissement de la croissance et à la baisse de l'inflation. En troisième lieu, l’économie américaine pourrait connaître un scénario « d'absence d'atterrissage ». En 2023, l'opinion du consensus est passée d’une « récession probable » à un « atterrissage en douceur devenant le scénario de base ». D'après ce scénario d’« absence d'atterrissage », la croissance reste soutenue, faisant obstacle à une baisse suffisante de l'inflation. En zone euro, une croissance plus vigoureuse que prévu de l'économie américaine aurait un effet légèrement positif sur l'activité – via la hausse des exportations vers les États-Unis – et sur l'inflation, dans la mesure où la croissance de l'économie américaine soutiendrait les cours des matières premières et/ou entraînerait une appréciation du dollar par rapport à l’euro. Un tel scénario pousserait les rendements obligataires à la hausse. Enfin, le risque existe également que la zone euro ne connaisse pas de reprise. Il se pourrait par exemple que les entreprises, désespérant de voir repartir la demande à la hausse, aient de plus en plus recours aux réductions d'effectifs, ce qui pèserait sur la consommation des ménages et déclencherait une spirale négative auto-entretenue. Pour les États-Unis, l’impact d'un tel scénario devrait rester relativement limité compte tenu du degré limité d'ouverture de cette économie. En zone euro, en revanche, ce scénario aurait un impact très négatif par rapport au scénario de base, tant en termes de croissance que d'inflation, laquelle baisserait plus nettement. Les conséquences pour l'inflation aux États-Unis ne seraient pas significatives. En zone euro, les rendements obligataires s'orienteraient à la baisse.

En plus des inconnues connues économiques, il convient également de prendre en compte les incertitudes et les risques politiques et géopolitiques. Les élections européennes en juin favoriseront-elles un meilleur alignement entre les États membres de l'UE ? Aux États-Unis, quelle influence aura l'issue des élections présidentielles du 5 novembre sur la position américaine sur les grands enjeux géopolitiques ? Ces incertitudes ont peu de chances d'avoir un impact économique à court terme, mais les investisseurs les plus prudents pourraient décider d'accroître leur exposition aux valeurs refuges, et notamment aux emprunts d'État. Du point de vue économique, un point saillant à l'approche des élections américaines sera la position des candidats sur les échanges commerciaux internationaux et le risque induit par une rhétorique de plus en plus protectionniste. Toutefois les décisions qui seront prises au lendemain de l’élection revêtent une importance autrement plus grande. La mise en place de mesures protectionnistes aurait un impact très négatif sur la croissance, et entraînerait une accélération de l'inflation ainsi qu'une hausse des rendements obligataires.

Pour conclure, l'opinion du consensus sur la croissance aux États-Unis et en zone euro et le faible niveau de désaccord entre les prévisionnistes justifient une certaine confiance dans les perspectives économiques. Toutefois, il convient d'examiner de près les risques et les incertitudes, dont les effets sont principalement négatifs pour la croissance et conduiraient à une désinflation plus importante. Il importe de souligner que certains des scénarios alternatifs ont des implications radicalement différentes du point de vue de l’évolution des rendements obligataires. Cela signifie qu'à mesure que la probabilité de réalisation de ces différents scénarios alternatifs évolue, les rendements obligataires pourraient connaître une volatilité élevée.


[1] La croissance trimestrielle en rythme annuel est attendue à 2,1 % au premier trimestre et à 1,5 %, 1,5 % et 1,7 % sur les trimestres suivants. Source : Enquête des prévisionnistes professionnels, Banque de Réserve fédérale de Philadelphie, 9 février 2024.

[2] La croissance trimestrielle en rythme non annualisé est attendue à 0,12 % au premier trimestre et 0,26 % et 0,27 % sur les deux trimestres suivants. Source : Enquête des prévisionnistes professionnels, BCE, janvier 2024.

[3] La vigueur de ce signal peut être évaluée en comparant les prévisions avec la dispersion des prévisions.

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