Eco Perspectives

2019 : nouvelle année test

24/01/2019
PDF

Un regard dans le rétroviseur sur ce qui s’est passé en 2018 permet de situer dans quel contexte particulier s’ouvre 2019. Bien des choses ont changé en un an. L’optimisme qui régnait début 2018 a fait long feu. La croissance vigoureuse alors attendue, dans le sillage de celle de 2017, n’a pas été au rendez-vous. Et, un temps exceptionnellement dégagées, les perspectives n’ont cessé de s’assombrir au fil des trimestres.

Carton jaune

Croissance et inflation

Les raisons sont multiples. Des freins extérieurs (hausse de l’euro et du pétrole, tensions commerciales et ralentissement de la croissance mondiale) comme intérieurs (contraintes d’offre et difficultés de recrutement) ont pesé sur la dynamique de fond de manière plus prononcée qu’anticipé. La croissance a aussi essuyé une série de chocs, cinq précisément. Deux étaient prévisibles mais ont été très perturbateurs (les hausses d’impôts au T1, l’introduction de la nouvelle norme anti-pollution WLTP – Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures – au T3) ; les trois autres étaient imprévisibles (douceur hivernale et grèves dans les transports au T2, mouvement des « gilets jaunes » au T4).

Enquêtes de confiance

Il s’ensuit que, malgré la dissipation des facteurs ayant pesé sur la croissance au T2, la croissance au T3 a à peine rebondi (à 0,3% t/t d’après la troisième estimation[1] après 0,2%) et qu’elle devrait subir un nouveau coup de frein au T4, le mouvement des « gilets jaunes » contrecarrant le rebond attendu avant son émergence.

S’agissant du rebond limité au T3, il est dû à celui, lui-même limité, de la consommation des ménages (0,4% t/t après -0,1% t/t au T2) et des exportations (en hausse de seulement 0,3% après avoir stagné au T2 et reculé de 0,4% t/t au T1). S’ajoutent à ce manque de dynamisme celui de l’investissement public (stable après un rebond de 0,6% t/t) et une baisse de l’investissement des ménages (de seulement 0,1% mais la première depuis le T2 2015). De plus, la contribution du commerce extérieur n’est positive (0,3 point de pourcentage) que par son signe vu qu’elle résulte du recul des importations (-0,6% t/t) et s’accompagne d’une contribution très négative des variations de stocks (-0,4 point). Seul l’investissement des entreprises a fait preuve d’un dynamisme remarquable, progressant plus vigoureusement encore au T3 qu’au T2 (1,5% t/t après 1,3% t/t).

S’agissant du coup de frein à la croissance attendu au T4 (nous tablons désormais sur tout juste 0,2% t/t contre 0,6% début octobre), il est pour l’essentiel la conséquence du mouvement des « gilets jaunes » [2], principalement de par son impact négatif sur la consommation des ménages (dont on s’attend à ce qu’elle progresse à peine, malgré les baisses d’impôts, et non plus rebondisse grâce à elles) mais pas seulement. L’investissement des entreprises devrait aussi en pâtir (accentuant le contrecoup attendu sur l’investissement en produits manufacturés post-introduction de la norme WLTP), de même que les exportations (via les moindres dépenses de tourisme qui restreindront le fort rebond attendu porté par les livraisons d’Airbus et divers autres gros contrats). Une baisse du PIB au T4 ne peut être exclue mais ce n’est pas le scénario le plus probable. Sur l’ensemble de l’année 2018, nous prévoyons que la croissance atteigne 1,5%.

Pour l’instant, la seule indication disponible au niveau macroéconomique de l’effet négatif du mouvement des « gilets jaunes » est la chute de certaines enquêtes de confiance (cf. graphique 2). Celle des ménages est spectaculaire (-3 points en novembre puis encore -4 points en décembre, pour tomber à 87, très en-deçà de sa moyenne 100 de longue période et son plus bas niveau depuis la fin 2014), de même que celle du climat des affaires dans le commerce de détail (-7 points en décembre selon l’enquête INSEE, tombée à 100, pile sa moyenne de longue période) et dans les services (-6 points en décembre pour l’indice PMI de Markit, qui plonge à 49 et repasse sous la barre des 50 pour la première fois depuis 2016).

Les autres enquêtes ont évolué moins négativement en décembre
(-2 points pour l’enquête INSEE et -1 point pour le PMI dans le secteur manufacturier), voire positivement (+2 points pour l’enquête de la Banque de France dans l’industrie) ou sont restées stables (enquêtes de l’INSEE et de la Banque de France dans les services et le bâtiment).

Le tableau conjoncturel n’est donc pas uniformément noir. Ces résultats des enquêtes de la Banque de France lui permettent de maintenir à 0,2% t/t son estimation de la croissance au T4. La bonne nouvelle, à nos yeux, réside plus exactement dans l’absence de nouvelle révision en baisse de cette estimation après celle de 0,2 point effectuée en novembre. Entre son Point de conjoncture d’octobre et sa Note de décembre, l’INSEE a aussi abaissé de 0,2 point, de 0,4% à 0,2 % t/t, sa prévision de croissance au T4. Notre propre modèle nowcast basé sur les données d’enquêtes se montre un peu plus positif, avec une croissance estimée entre 0,3 et 0,4% t/t. L’estimation basée sur les données d’activité est toutefois plus basse, à 0,2%, et assortie d’un risque baissier : en effet, faute des données pour décembre, l’hypothèse retenue d’un maintien au niveau de novembre est la plus simple mais elle est sans doute optimiste.

2019 : l’année change, la croissance reste ?

Après une année 2017 de croissance forte et régulière, surprenant à la hausse, et une année 2018 de croissance malmenée et affaiblie, surprenant à la baisse, de quel bois sera fait 2019 ?

Gains de pouvoir d’achat et confiance des ménages

Ce qui est sûr, c’est que l’année s’ouvre sur des perspectives mitigées, que les inquiétudes sont nombreuses et l’incertitude grande. Les risques baissiers sont multiples, tant sur le front extérieur, financier qu’intérieur. Sur le front extérieur, le rejet par le Parlement britannique de l’accord négocié avec l’UE sur les modalités du Brexit (ré)ouvre une période d’incertitude sur l’issue du processus. Autre risque prééminent, celui d’un atterrissage de l’économie américaine, ravivé par le plongeon des marchés actions en fin d’année dernière. L’ampleur du ralentissement chinois suscite également des craintes importantes mais qui ne sont pas nouvelles. Le passage à vide de l’économie allemande[3] au second semestre 2018 est, en revanche, un tout nouveau sujet d’inquiétudes.

Sur le front intérieur, notre scénario de résistance de la croissance repose sur deux éléments centraux[4]. Le premier concerne la tendance de fond, que nous estimons toujours solide, bien que plus lente, notamment grâce à un marché du travail qui resterait bien orienté. Nous tablons sur une hausse de l’emploi salarié privé proche de celle de 2018 (environ 1% en moyenne annuelle), sur une baisse du taux de chômage guère moindre (-0,2 point, à 8,9%) et sur des salaires gagnant en dynamisme (près de 2% de hausse pour l’indicateur du salaire mensuel de base, 2,5% pour le salaire moyen par tête).

Le second facteur de résistance est l’impulsion positive de la politique économique et budgétaire. Cette impulsion transite en partie par le soutien apporté aux entreprises via la transformation du CICE en baisse de charges. Elle transite aussi, et pour une plus large part, par l’effet positif attendu sur la consommation des ménages des baisses d’impôts votées dans le budget 2018, auxquelles sont venues s’ajouter les mesures du plan de soutien au pouvoir d’achat des ménages modestes annoncées le 10 décembre par le président de la République en réponse au mouvement des « gilets jaunes »[5]. Cela suppose que le lien entre pouvoir d’achat et confiance des ménages, visiblement rompu en fin d’année dernière, soit renoué (cf. graphique 3). Nous estimons à 0,2 point l’effet positif sur la croissance de ce plan de soutien. Et ce surcroît de croissance vient compenser l’acquis moindre hérité de 2018, ce qui non seulement laisse inchangée à 1,6%, en moyenne annuelle, notre prévision de croissance pour 2019, mais laisse aussi la croissance relativement (et remarquablement) stable par rapport à 2018.

[1] La première estimation, confirmée lors de la deuxième, était un peu plus élevée, à 0,4% t/t.

[2]Cf. aussi France : coup de frein à la croissance, sérieux mais temporaire, EcoFlash n° 15, 17 décembre 2018

[3]Cf. respectivement les textes pages 23, 3, 15 et 7

[4]Nous n’oublions pas le passage au prélèvement à la source en janvier en tant que choc ponctuel prévisible sur la croissance du T1. Mais, pour nous, si choc il y a, il pourrait tout aussi bien s’avérer positif que négatif.

[5]Cf. EcoFlash déjà cité pour le détail de ce plan de soutien.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

Découvrir les autres articles de la publication

Global
Une conjoncture dominée par l’incertitude

Une conjoncture dominée par l’incertitude

Le ralentissement se généralise. Si l’on pouvait s’attendre à une normalisation de la croissance, plusieurs sources d’incertitude (crainte de guerre commerciale, Brexit, fermeture de services publics aux Etats-Unis, etc [...]

LIRE L'ARTICLE
États-Unis
Atterrissage

Atterrissage

L’hypothèse d’un franc ralentissement de l’économie américaine se matérialise chaque jour un peu plus, en raison l’interruption partielle des services fédéraux (shutdown) mais pas seulement [...]

LIRE L'ARTICLE
Zone euro
Vingt ans, et un sérieux ralentissement

Vingt ans, et un sérieux ralentissement

Après 20 ans d’une existence déjà mouvementée, la zone euro entre dans une nouvelle période d’incertitude. Sa croissance fléchit nettement, sur fond de dégradation des indicateurs conjoncturels [...]

LIRE L'ARTICLE
Allemagne
Retournement de conjoncture

Retournement de conjoncture

La croissance économique a nettement décéléré depuis le deuxième trimestre 2018, et, d’après les enquêtes auprès des chefs d’entreprise, la situation ne devrait guère évoluer dans les mois à venir [...]

LIRE L'ARTICLE
Italie
Risque de récession

Risque de récession

À la fin de l’année 2018, l’Italie et la Commission européenne sont parvenues à un accord sur une nouvelle loi de finances, permettant d’éviter la procédure pour déficit excessif [...]

LIRE L'ARTICLE
Espagne
La croissance ralentit mais le redressement se poursuit

La croissance ralentit mais le redressement se poursuit

Le ralentissement en cours s’inscrit dans le cycle économique européen. En relatif, les perspectives restent bonnes, le rythme de croissance attendu figurant parmi les plus élevés des grands pays de la zone euro [...]

LIRE L'ARTICLE
Chine
La relance budgétaire : l’option à privilégier

La relance budgétaire : l’option à privilégier

La croissance est passée de 6,9% en 2017 à 6,6% en 2018 et le ralentissement se poursuivra à court terme [...]

LIRE L'ARTICLE
Inde
Une fin de mandat en demi-teinte pour Narendra Modi

Une fin de mandat en demi-teinte pour Narendra Modi

La croissance économique indienne a ralenti entre juillet et septembre 2018, pénalisée en grande partie par la hausse de la facture pétrolière [...]

LIRE L'ARTICLE
Brésil
Une nouvelle ère

Une nouvelle ère

L’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil, en plus de marquer un virage à droite et un affaiblissement des partis politiques traditionnels, signe le retour des militaires au sein du paysage politique national [...]

LIRE L'ARTICLE
Russie
2019 : une année plus incertaine

2019 : une année plus incertaine

L’année 2018 a été marquée par une reprise de la croissance, un retour du surplus budgétaire, une hausse de l’excédent courant et la création d’un organisme de défaisance pour assainir le secteur bancaire [...]

LIRE L'ARTICLE
Royaume-Uni
Actualité du Brexit

Actualité du Brexit

Le 15 janvier 2019, les députés britanniques ont rejeté le projet d’accord sur le Brexit auquel les chefs d’Etat de l’Union européenne étaient parvenus deux mois auparavant [...]

LIRE L'ARTICLE
Global
Peu d’avancées dans les négociations sur le climat

Peu d’avancées dans les négociations sur le climat

Les participants à la COP 24 ont à peine réussi à se mettre d’accord sur des règles de mesure, de notification et de vérification des émissions de carbone [...]

LIRE L'ARTICLE