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Échanges commerciaux entre la Chine et l'Allemagne : une dépendance croissante

12/01/2023

La Chine est le principal partenaire commercial de l’Allemagne depuis 2016. Les importations allemandes en provenance de Chine représentent près de 12 % du commerce total de l’Allemagne et les exportations 8 %. Dans l’ensemble, les échanges commerciaux avec la Chine atteignent désormais près de 20% des échanges commerciaux allemands.

Si, par le passé, le déficit commercial de l’Allemagne vis-à-vis de la Chine a été relativement limité, il se creuse substantiellement depuis le début de l’année 2021. L’Allemagne, dont le niveau de gamme de la production industrielle est particulièrement élevé, est très dépendante de la Chine en matière d’intrants stratégiques, et en particulier dans son approvisionnement en terres rares.

Les fleurons industriels allemands dépendent également de la demande intérieure chinoise puisqu’ils y réalisent, en moyenne, environ 20% de leurs ventes, et cette part ne cesse de croître. Pour l’Allemagne, le chemin vers une moindre dépendance s’annonce long et complexe. La Chine lui fournit des intrants essentiels et elle est une source de débouchés importante pour l’industrie la plus puissante d’Europe.

Les liens commerciaux noués entre l’Allemagne et la Chine n’ont cessé de se renforcer au cours des deux dernières décennies. Alors qu’ils représentaient à peine 5% des échanges totaux de l’Allemagne au début des années 2000 (ventilé avec 3,5% pour les importations et 1,5% pour les exportations), ils pèsent aujourd’hui près de 20% (voir graphique 1). Le poids de la Chine apparaît plus élevé pour les importations que pour les exportations allemandes : 11,8% des biens importés proviennent de Chine en 2022, alors la part des exportations à destination de la Chine s’établit à 7,5%[1].

Allemagne : poids de la Chine dans les échanges commerciaux

DES LIENS PARTICULIÈREMENT ÉTROITS ENTRE L’ALLEMAGNE ET LA CHINE

Allemagne : solde commercial avec la Chine par type de biens

Outre-Rhin, les relations commerciales avec la Chine se sont historiquement bâties sur des importations allemandes de biens à faible valeur ajoutée (biens de consommation durables et non durables, produits agroalimentaire) et des exportations de produits à plus haute valeur ajoutée (biens intermédiaires et bien d’investissement). Or, cette relation bilatérale est structurellement, bien que modérément, déséquilibrée sur le plan du solde commercial. Entre 2000 et 2019, l’Allemagne a en effet accusé un déficit commercial annuel moyen de EUR 15 mds vis-à-vis de la Chine (graphique 2). À titre de comparaison, l’excédent commercial global allemand s’est élevé en moyenne annuellement à EUR 177 mds sur la même période. En outre, le déficit bilatéral avec la Chine s’est considérablement creusé depuis le début de l’année 2021, pour atteindre EUR 81,9 mds au mois d’octobre 2022 sur douze mois cumulés.

Cette multiplication par cinq du déficit commercial en seulement deux ans s’explique principalement par deux phénomènes. Le premier est l’augmentation significative des prix des importations en Allemagne dans un contexte de pénuries de certains intrants, combinée à une dépréciation de l’euro qui a accentué la hausse des prix importés. À cela s’est ajoutée la faiblesse de l’économie chinoise, pénalisée par sa stratégie zéro Covid qui a engendré une baisse significative de la demande chinoise pour les biens d’investissement en provenance d’Allemagne. Pour ce type de biens, l’Allemagne connait désormais un solde commercial déficitaire alors qu’en temps normal, c’est de loin le premier poste d’exportation de l’Allemagne vers la Chine (plus de 60% en 2019). Or, c’est en Allemagne que la dégradation de la balance commerciale avec la Chine est la plus marquée. Ce même mouvement est bien moins marqué dans les autres grands pays européens.

Dans le détail, les échanges commerciaux sino-germaniques sont dominés par quelques produits spécifiques. Les produits informatiques et électroniques sont de loin les biens les plus échangés entre les deux pays, suivis des produits électriques et textiles. Les produits chimiques et la fabrication d’automobiles, qui font partie des principaux segments d’exportations de l’Allemagne vers la Chine, se situent respectivement à la 6e et la 8e place.

UNE DÉPENDANCE STRATÉGIQUE, PAS QUANTITATIVE

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Allemagne n’est toutefois pas plus dépendante quantitativement des intrants chinois que ses partenaires européens. L’IFO a montré dans son Policy Report n°36 publié en juin 2022 que « la part des intrants chinois dans la production finale de l’Allemagne est comparable à celle d’autres pays européens, comme la France ou l’Espagne, et représente un nombre plutôt inférieur à la moyenne des autres pays du G20 ». D’un point de vue purement comptable, la Chine joue un rôle important mais pas dominant pour l’Allemagne en tant que fournisseur. Symétriquement, sur le plan des débouchés qu’offre la Chine aux biens allemands, les conclusions sont similaires.

Que sont exactement les terres rares ?

Toutefois, cette analyse purement quantitative ne dit rien des dépendances stratégiques. Car si l’Allemagne n’est pas plus dépendante que d’autres pays européens en termes de volumes importés de Chine, elle l’est si on regarde le type de produits qu’elle importe. En effet, l’Allemagne est un gros importateur de « terres rares » (encadré) essentielles à la fabrication de biens à haute valeur ajoutée (imagerie médicale, ampoule basse consommation, véhicules hybrides, batteries rotors d'éoliennes). Or, 95% des importations allemandes de terres rares proviennent de Chine. Cette très forte dépendance crée une vulnérabilité stratégique particulièrement marquée par rapport aux autres métaux rares dont les sources d’approvisionnement sont, en moyenne, plus diversifiées : le lithium (Chili, Australie), le cobalt (Congo), le cuivre (Chili, Pérou, Brésil), le nickel (Indonésie, Canada, Russie).

UNE DOUBLE EXPOSITION IMPORTANTE DES GRANDS GROUPES

Les grands groupes allemands sont les plus exposés au marché chinois au travers d’une double dépendance. La Chine leur est à la fois indispensable dans la fourniture d’intrants essentiels à leur processus de fabrication, mais aussi en aval de la production puisque la Chine demeure un marché en expansion qui offre des débouchés croissants aux entreprises allemandes. Les grands groupes ont profité du développement chinois pour s’implanter significativement sur le territoire au point où les fleurons industriels réalisent désormais en moyenne 20% de leurs ventes en Chine. Cette part peut monter jusqu’à 40% dans le cas de Volkswagen qui est le leader automobile incontesté sur le marché chinois.

Les constructeurs automobiles allemands ne souhaitent pas ralentir leur développement en Chine, car ils y voient au contraire un avenir prospère. Cela se justifie par le fait que le marché automobile chinois est particulièrement dynamique. En 2011, les ventes d’automobiles en Chine représentaient déjà 30% des immatriculations à l’échelle planétaire (18,5 millions d’unités sur un total de 60,8 millions d’unités) et en 2021, cette part s’est accrue à près de 40% puisque 26,3 millions des 66,7 millions d’automobiles vendus dans le monde l’ont été en Chine selon les chiffres de l'Association chinoise des constructeurs automobiles. Les plus grands industriels allemands du secteur automobile mais aussi ceux de la chimie cultivent donc de grandes ambitions à l’égard du marché chinois.

Allemagne : échanges commerciaux (importations + exportations)avec la Chine, par type de biens (moyenne annuelle, période 2008-2022)

Si la volonté d’émancipation vis-à-vis de la Chine ne fait pas consensus en Allemagne, c’est parce que les grands groupes continuent d’investir massivement en Chine alors que ce n’est plus le cas des petites et moyennes entreprises (y compris celles du Mittelstand) d’après les récents travaux du groupe Rhodium. Les trois grands constructeurs automobiles allemands que sont Volkswagen, BMW et Mercedes, ainsi que le mastodonte de la chimie BASF, ont généré à eux seuls un tiers des investissements émanant du continent européen à destination de la Chine sur les quatre dernières années. Et cette dynamique ne faiblit pas puisque sur les six premiers mois de l’année 2022, les investissements en provenance d’Allemagne vers la Chine ont atteint un record d’environ EUR 10 mds selon une étude de l’institut allemand IW.

Cette différence d’appréciation entre les entreprises à l’égard du marché chinois complique la tâche du gouvernement. Ce dernier fait face à un tissu productif extrêmement polarisé. Les petites et moyennes entreprises allemandes perçoivent désormais la Chine comme un concurrent, tandis que les grands groupes continuent d’y voir avant tout une opportunité de développement et de croissance.

UN VŒU D’INDÉPENDANCE DIFFICILE À CONCRÉTISER

L’éclatement de la Guerre en Ukraine, le 24 février 2022, a mis en lumière la vulnérabilité de la première économie européenne dans ses approvisionnements énergétiques et a forcé le pays à repenser sa vision des relations internationales. Le conflit russo-ukrainien a accéléré l’envie du gouvernement de rééquilibrer les relations de l’Allemagne avec ses principaux partenaires commerciaux afin d’éviter que les dépendances à l’égard de certains pays s’accroissent, comme cela est le cas avec la Chine.

Certaines entreprises se montrent déterminées à diversifier leurs sources d’approvisionnement. D’après une enquête menée par l’institut l’IFO en mars 2022, parmi les entreprises du secteur manufacturier qui déclarent dépendre (46% d’entre elles) des consommations intermédiaires en provenance de Chine, une sur deux prévoit de réduire ses importations en provenance de Chine dans les prochaines années.

Dans un document stratégique rendu public le 1er décembre 2022, le ministre de l'Économie, Robert Habeck, a clairement exprimé son souhait de voir la dépendance de l’Allemagne envers la Chine se réduire. Il soutient que les entreprises allemandes doivent miser sur des marchés alternatifs. Cela fait écho à ses propos tenus avant l’été : « la naïveté envers la Chine est terminée ». Pour autant, ce regain de souveraineté promu par le gouvernement ne devrait pas se traduire par un découplage avec la Chine. À ce sujet, le chancelier Olaf Scholz a fermé la porte à cette voie en énonçant, le 4 novembre 2022, peu avant un entretien avec son homologue Li Keqiang à Pékin, que l’Allemagne n’est pas « partisane d'un découplage » des relations économiques avec la Chine. Le chancelier explique vouloir simplement réduire « les dépendances unilatérales » tout en veillant à ce que les « relations économiques soient équitables, avec une réciprocité, notamment sur la question de l’ouverture aux investissements ». Jusqu’ici, ce vœu d’indépendance ne s’est pas traduit dans les actes, comme en témoigne la décision du gouvernement le 26 octobre dernier d’autoriser la montée au capital du port de Hambourg du Chinois Cosco, malgré la réticence de l’Union européenne et des alertes des renseignements allemands sur les conséquences d’une telle décision.

[1] À titre de comparaison, le poids des États-Unis dans les importations allemandes de biens s’élève à 6% contre 8,8% pour les exportations.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE