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Défaillances d’entreprises en Europe : d’importantes divergences

04/04/2024
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Notre indice des défaillances d’entreprises dans l’Ouest de l’Europe a dépassé son niveau pré-Covid. Il reste toutefois nettement en deçà des plus hauts atteints après la crise de 2008 et au moment de celle de la zone euro (entre 2011 et 2015). Dans une majorité de pays, le niveau des défaillances d’entreprises est désormais supérieur à celui enregistré avant la pandémie. Cela a été le cas dès 2022 pour le Royaume-Uni et la Suède, rejoints courant 2023 par la France, la Belgique et l’Allemagne. Toutefois, pour cette dernière, ainsi que pour l’Italie et les Pays-Bas, les niveaux de défaillances restent nettement inférieurs à leur pic pré-Covid. Ces divergences de situation se retrouvent également d’un point de vue sectoriel : les détériorations dans la construction, le commerce ou les agences immobilières sont plus marquées dans les pays qui ont subi les baisses d’activité les plus importantes.

EUROPE DE L’OUEST : INDICE DES DÉFAILLANCES

Les défaillances d’entreprises ont poursuivi leur remontée en Europe en 2023 (graphique 1[1]), augmentant de 24% par rapport à 2022 en moyenne annuelle (après +30% en 2022 vs. 2021). Elles ont dépassé leur niveau de 2019 à partir du 2e trimestre 2023, et avoisinent, au 4e trimestre 2023, le chiffre du 2e trimestre 2016.

Cette évolution s’explique par le retrait progressif des mesures de soutien exceptionnelles mises en œuvre lors de la période de Covid-19 et par l’impact de l’envolée de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt entre 2021 et 2023. L’indice montre toutefois que les défaillances restent nettement inférieures aux niveaux atteints après la crise de 2008 ainsi qu’au niveau élevé conservé tout au long de la crise de la zone euro (2011-15).

Des divergences entre les pays au plus haut

EUROPE DE L’OUEST : DISPERSION (ÉCART TYPE) DES DÉFAILLANCES

Comme toute moyenne, notre indice cache de fortes disparités entre pays, la remontée des défaillances n’étant pas de même ampleur. Un indice de dispersion (écart-type des chiffres normalisés de défaillances[2], calculé sur les 7 pays de l’étude) a même atteint un niveau record en 2023 (graphique 2). Cela suggère que la période récente laisse plus de place à des différences de situation que la crise financière de 2008 ou la crise de la zone euro.

La remontée des défaillances a été précoce et marquée au Royaume-Uni et en Suède, qui ont dépassé leur niveau pré-Covid dès 2022, à la différence des pays de la zone euro (à la situation, par ailleurs, encore relativement homogène à ce moment-là). Au Royaume-Uni et en Suède, un rebond de l’inflation et une réponse de politique monétaire plus précoces sous-tendent cette forte remontée des défaillances dès 2022. Cette tendance s’est poursuivie en 2023, marquée par une nouvelle augmentation des défaillances de 13% au Royaume-Uni et de 29% en Suède par rapport à 2022 (à partir de chiffres en moyenne annuelle).

En 2023, les différents pays de la zone euro ont connu des fortunes plus diverses qu’en 2022 : une dégradation très nette en France, un retour plus modéré au-dessus du niveau prépandémique au 4e trimestre en Belgique et en Allemagne, et des statistiques qui restent plus favorables qu’avant-Covid aux Pays-Bas ou en Italie (graphique 3[3]). Quand on compare la dernière donnée de défaillances à leur niveau maximal dans le passé (dates différentes selon les pays), l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie restent dans une situation nettement plus favorable, à la différence des autres pays (les défaillances en Suède dépassant même ce pic prépandémique).

ÉVOLUTION DES DÉFAILLANCES PAR RAPPORT À LA MÊME PÉRIODE DE 2019

L’Italie a bénéficié d’une relative bonne tenue du marché immobilier (dont la consolidation à la suite de la crise de la zone euro s’est étirée sur l’ensemble de la décennie 2010 et qui n’était donc pas en surchauffe au moment du resserrement monétaire récent de la BCE[4]) ainsi que d’une surperformance en matière de croissance au regard de la moyenne européenne. L’Allemagne et les Pays-Bas bénéficient de retards de paiements parmi les plus faibles d’Europe (de l’ordre de 6 et de 5 jours fin 2022 selon Altarès, contre une moyenne européenne à 13 jours).

Selon Altarès, en France, si ce nombre de jours (12) n’a pas augmenté, en moyenne, au cours des derniers trimestres, la proportion de paiements très en retard (de plus de 30 jours) a augmenté à 7,6% au 1er semestre 2023 (contre 5,7% un an plus tôt). L’enquête de l’Insee dans le secteur du bâtiment fait également état d’une hausse de la proportion des paiements en retard au 2nd semestre 2023 (en moyenne à 34%, contre 28,7% au 1er semestre 2023).

Commerce et construction expliquent les divergences de trajectoires entre les pays

DÉFAILLANCES SUR LES 6 DERNIERS MOIS ET SUR LA MÊME PÉRIODE PRÉ-COVID

Le commerce et la construction sont les deux secteurs qui, structurellement, génèrent le plus de défaillances d’entreprises. Or, ces deux secteurs ont été particulièrement exposés aux chocs récents, le commerce principalement en raison de l’inflation et de son impact négatif sur la demande, et la construction à la suite de la remontée des taux d’intérêt (ainsi que de la hausse des coûts de construction).

Les défaillances dans ces deux secteurs atteignent même leurs plus hauts (ou proches de ceux-ci) au Royaume-Uni et en Suède, et pour la seule construction en Belgique. En France, ils enregistrent une détérioration marquée au regard de la période pré-Covid, tout en restant bien en deçà de leur pic (2009 pour la construction et 1997 pour le commerce). En Allemagne et aux Pays-Bas, les deux secteurs restent dans un étiage comparable à celui enregistré prépandémie (graphique 4[5]).

DÉFAILLANCES : ÉVOLUTION SECTORIELLE

Par ailleurs, comme le montre le graphique 5, le secteur des agences immobilières enregistre la plus nette détérioration sur les 6 derniers mois dans la plupart des pays (vs. période prépandémique), repli imputable à la baisse des transactions immobilières. Au Royaume-Uni, le secteur de l’information et communication connaît aussi une détérioration très nette. En Allemagne, aux Pays-Bas ou en Belgique, certains secteurs voient, à l’inverse, leur situation s’améliorer, notamment les services aux entreprises aux Pays-Bas ou les services de transport en Allemagne. Le faible niveau des retards de paiement et l’absence relative de dérive en la matière contribuent à cette bonne performance.

Dans un contexte de faible croissance, l’évolution des défaillances d’entreprises est à surveiller car, en cas de nette augmentation ces dernières auraient des conséquences préjudiciables, sur l’emploi notamment.


[1] Cette étude couvre l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède. L’Espagne n’est pas intégrée à l’étude en raison d’une réforme des procédures collectives qui empêche la comparaison des statistiques sur une longue période. Les chiffres commentés sur la moyenne européenne correspondent à l’indice (moyenne pondérée par le PIB des statistiques nationales) représenté sur le graphique 1.

[2] Pour chaque pays, la normalisation consiste à diviser la donnée de défaillance sur un trimestre donné par leur valeur moyenne sur l’ensemble de la période (2006-2023).

[3] Les données s’arrêtent au 4e trimestre 2023 pour l’Allemagne et au 3e trimestre 2023 pour l’Italie. 24ytd correspond à janvier-février 2024.

[4] Voir G. Derrien (2024), « Le marché résidentiel en zone euro à l’épreuve de la normalisation monétaire », Conjoncture, BNP Paribas

[5] Sur le graphique 4, par exemple en France, dans le commerce, le point orange signifie que les défaillances ont atteint sur les 6 derniers mois 80% de leur niveau maximal passé (1997). La barre noire signifie que lors des 6 derniers mois pré-Covid elles avaient atteint 63% de ce niveau maximal de 1997.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE