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Hong Kong : les chocs se succèdent

21/04/2022
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Le redressement de la croissance économique après le choc sanitaire de début 2020 est resté déséquilibré et s’est s’essoufflé rapidement. Puis il s’est interrompu brutalement au premier trimestre 2022 en raison d’une très forte augmentation des contaminations et des décès liés au variant Omicron. Alors que la vague épidémique commence à refluer, Hong Kong devrait maintenant subir les effets du ralentissement du commerce mondial, de la hausse des prix des matières premières et du resserrement monétaire américain. En dépit de cette conjoncture défavorable, la solvabilité du secteur public reste très solide. Le gouvernement conserve une marge de manœuvre confortable pour maintenir une politique budgétaire expansionniste.

Après deux années de contraction, l’économie hongkongaise a affiché une croissance de 6,4% in 2021. Elle a cependant perdu de l’élan dès le T2 2021 et l’activité a de nouveau été stoppée au T1 2022 en raison d’une très forte vague épidémique. Le PIB réel a retrouvé l’an dernier son niveau de fin 2019 (avant la crise sanitaire), mais il ne devrait pas récupérer son niveau de fin 2018 (avant le début des mouvements de protestation) avant le deuxième semestre 2022.

PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES DE HONG KONG
DES CONSOMMATEURS DÉPRIMÉS

Le choc de la Covid-19 de début 2020 a frappé une économie en récession. Après déjà plusieurs trimestres de contraction, la consommation privée, l’investissement, le tourisme et les exportations de marchandises se sont effondrés au S1 2020. L’activité – hors tourisme – s’est ensuite rapidement redressée, soutenue par un important plan de relance budgétaire, l’assouplissement des conditions monétaires et la forte accélération des échanges commerciaux. Cependant, la reprise est restée déséquilibrée et s’est vite essoufflée, pour finalement s’interrompre brutalement au T1 2022.

Alors que les échanges extérieurs ont bien rebondi après le choc du T1 2020, portés par la très solide performance des exportations chinoises, la demande intérieure est restée à la traîne en dépit du policy mix très accommodant. Le taux d’investissement, qui avait chuté de 21,6% du PIB en 2018 à 17% en 2020, s’est à peine redressé en 2021 (atteignant 17,5%), freiné par la perte d’attractivité et la détérioration des perspectives économiques du territoire. De fortes contraintes ont également pesé sur la consommation privée (65,2% du PIB en 2021, contre 68,4% en 2018), en particulier : la fermeture des frontières (les achats des non-résidents, essentiellement chinois, représentaient près de la moitié des ventes au détail avant la crise sanitaire), un marché du travail dégradé et une confiance des ménages en berne.

Le marché de l’emploi n’a en effet pas retrouvé sa situation d’avant les crises de 2019-2020, les secteurs de services les plus fragilisés étant notamment les plus intensifs en main d’œuvre, comme la restauration et l’hôtellerie. Entre le T4 2018 et le T4 2021, les salaires réels ont progressé de moins de 1% et l’emploi total a baissé de 4,8%. La population totale et la population active ont également diminué sur la même période, respectivement de 1,1% et 3,8%. Le taux de chômage, qui avait grimpé de 2,7% en décembre 2018 à un pic de 6,8% en février 2021, est redescendu à 3,5% en janvier 2022, puis est reparti à la hausse (4,2% en février).

… Interrompue par la déferlante omicron au T1 2022

Jusqu’à fin 2021, Hong Kong a su contrôler l’épidémie de Covid-19, au prix d’importantes restrictions (notamment à la frontière). Mais la situation sanitaire s’est brutalement dégradée avec l’arrivée du variant Omicron fin décembre. Les contaminations sont devenues hors de contrôle, notamment en raison d’une couverture vaccinale insuffisante. Au 6 avril 2022, 86% de la population avait reçu deux doses de vaccin, contre seulement 65% fin 2021 ; le taux de vaccination n’était que de 61% pour les 70-79 ans et 35% pour les 80 ans et plus. Le nombre de nouvelles infections est passé de moins de 100 la dernière semaine de décembre 2021 à 450 000 la première semaine de mars (pour une population de 7,4 millions d’habitants), et le taux de mortalité est monté en flèche[1].

De janvier jusqu’à la mi-mars, les autorités ont imposé de très sévères restrictions sur le territoire. Les indicateurs de mobilité, qui étaient revenus à des niveaux d’avant-crise fin 2021, ont chuté et atteint début mars leurs niveaux les plus bas depuis le début de la pandémie. Les ventes au détail se sont à nouveau effondrées. Depuis mi-mars, la vague épidémique reflue et les conditions de mobilité ont commencé à s’améliorer. Elles devraient se normaliser très progressivement dans les prochains mois compte tenu de la dureté des mesures de contrôle sanitaire.

L'environnement externe se dégrade

Hong Kong fait maintenant face à d’autres défis, liés à la dégradation de l’environnement international. En premier lieu, Hong Kong va subir des répercussions indirectes de la guerre en Ukraine via ses effets sur le commerce mondial et les prix des matières premières. Ses échanges commerciaux avec la Russie et l’Ukraine sont très réduits (respectivement 0,2% et 0,7% de ses importations et exportations totales).

Néanmoins, de par son rôle de hub commercial régional, Hong Kong est vulnérable au ralentissement attendu de la demande mondiale et aux perturbations dans les chaines d’approvisionnement. Celles-ci seront exacerbées dans les prochaines semaines par les conséquences de la vague épidémique sur la production industrielle et le transport des marchandises en Chine. À la fragilité de la demande intérieure de Hong Kong devrait donc s’ajouter à court terme le ralentissement de ses exportations (dont 98% sont des ré-exportations).

Par ailleurs, l’inflation des prix à la consommation (IPC) devrait accélérer, attisée par la hausse des cours mondiaux des matières premières ainsi que par des difficultés d’approvisionnement. Des tensions sur les prix des denrées alimentaires (qui constituent 27,4% du panier de consommation des ménages) sont récemment apparues (+3,1% en g.a. en moyenne en décembre-février, contre 2,2% sur les six mois précédents). Toutefois, l’inflation IPC devrait rester modérée, proche de 3% en moyenne en 2022 (contre 1,6% en 2021). Elle sera contenue par l’absence de tensions sur les salaires, la fragilité de la demande intérieure et une hausse des loyers qui devrait rester très faible (les loyers représentent 40,3% de l’indice IPC).

HONG KONG : HAUSSE DE L’INFLATION, HAUSSE DES TAUX

En outre, des subventions publiques sur les coûts de transport et les factures d’électricité, encore prévues cette année, devraient limiter les pertes de pouvoir d’achat des ménages.

L’accélération du resserrement monétaire aux États-Unis est un autre facteur de risque pesant sur la croissance à court terme. En raison de son régime de Currency Board, la politique monétaire de Hong Kong suit les décisions de la Réserve fédérale américaine. Or, le resserrement monétaire aux États-Unis devrait se poursuivre à un rythme soutenu en réponse à l’envolée de l’inflation. Le principal taux directeur américain, qui avait été maintenu à 0,25% depuis le choc de la Covid-19 début 2020, a été augmenté à 0,5% le 16 mars et devrait s’approcher de 2% à fin 2022. Le taux de base de Hong Kong suivra donc, il est déjà passé de 0,5% à 0,75% en mars. Les niveaux d’inflation et les positions dans le cycle des deux économies sont cependant différents. À Hong Kong, l’accélération de l’inflation ne devrait pas compenser la hausse attendue des taux d’intérêt nominaux en 2022, contribuant à un resserrement plus important des conditions monétaires.

La marge de manœuvre budgétaire est importante

En revanche, la politique budgétaire va continuer de soutenir l’activité en 2022. Les récessions de 2019 et 2020 et la crise sanitaire ont conduit à une dégradation rapide des soldes budgétaires. Néanmoins, la solvabilité du secteur public et la position financière extérieure de Hong Kong restent très solides.

Le solde budgétaire est négatif sur l’exercice budgétaire 2019/20 (qui s’étend d’avril 2019 à mars 2020) pour la première fois en quinze ans. Le déficit a ensuite bondi en 2020/21 pour atteindre 9,4% du PIB, avec un plan de relance budgétaire équivalant à 12,3% du PIB. En 2021/22, les mesures de soutien ont été partiellement reconduites (représentant 3% du PIB environ). Le déficit s’est réduit rapidement (attendu à moins de 2% du PIB), aidé par le rebond de l’activité. Pour 2022/23, le gouvernement maintient sa politique expansionniste. Son nouveau budget, annoncé au plus fort de la vague de Covid-19 fin février, table sur un plan de soutien estimé à 6% du PIB environ. Le déficit devrait augmenter à nouveau et dépasser 3% du PIB en 2022/23.

Le gouvernement a eu recours à des mesures telles que l’augmentation des dépenses de santé et de vaccination (1% du PIB en 2020/21, 0,2% en 2021/22 et plus de 2% en 2022/23), ainsi que le soutien à l’emploi (3,4% du PIB en 2020) et aux créations d’emplois temporaires (0,2% du PIB en 2021). Il a également introduit des aides directes aux entreprises (subventions, aides aux PME et secteurs en crise comme le tourisme, réductions fiscales) et aux ménages, telles que des versements en espèces aux résidents en 2020/21 (2,6% du PIB) puis la distribution de bons d’achat (1,3% du PIB en 2021/22 et environ 2% du PIB attendu en 2022/23), et des allègements divers (tarifs des services publics, loyers, etc.). Le gouvernement prévoit également le développement de projets d’infrastructures. À moyen terme, des politiques publiques de nature structurelle restent nécessaires, notamment pour améliorer le système de protection sociale et l’accès au logement, afin de renforcer la confiance et la demande des ménages hongkongais.

Le gouvernement dispose d’une marge de manœuvre confortable pour mettre en œuvre ces politiques. Il a utilisé ses réserves pour financer les déficits depuis 2020 et devrait continuer à le faire. Les réserves ont chuté de HKD 1190 mds en mars 2020 (soit 43% du PIB et 23 mois de dépenses budgétaires) à HKD 862 mds fin 2021. Mais cela n’a pas altéré la solvabilité du gouvernement : les réserves représentent encore 30% du PIB et peuvent couvrir 16 mois de dépenses. En outre, l’endettement du gouvernement est très limité (et négatif en termes nets) et seule une infime portion est utilisée pour couvrir son budget (1% du PIB en 2020).

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