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Mexique : reprise sans dynamisme

21/04/2022
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Les conséquences directes sur l’économie mexicaine du conflit en Ukraine devraient rester limitées, les liens commerciaux avec les deux belligérants étant quasi-inexistants. En revanche, les conséquences indirectes pourraient avoir un effet significatif sur une économie déjà fragilisée par la crise de la Covid-19. La hausse des prix des matières premières accentuera les pressions sur les prix et aggravera le déficit courant (le Mexique est un importateur net d’énergie depuis 2015). En outre, la désorganisation des chaînes de valeur liée au conflit ou à de nouvelles vagues épidémiques pourrait peser sur le secteur exportateur. Les perspectives d’investissement continuent de se détériorer, à mesure qu’avancent les débats sur la réforme du secteur de l’énergie.

PRÉVISIONS ÉCONOMIQUES DU MEXIQUE
PRODUCTION ET CONSOMMATION D’ÉNERGIE

Faible croissance en 2022

Le rebond de croissance du PIB enregistré en 2021 (+5,4%, après un recul de 8,3% en 2020) n’a pas permis au Mexique de retrouver le niveau d’activité pré-crise, et les perspectives de croissance à court terme sont relativement faibles. Le gouvernement et la banque centrale ont d’ailleurs récemment revu leurs prévisions pour l’année 2022 à la baisse, respectivement à 3,4% (4,1% en 2021) et 2,4% (3,2% en 2021). Ces prévisions nous paraissent toutefois encore trop optimistes. Nous attendons une croissance du PIB de 1,2% et 1,4% en 2022 et 2023 respectivement. À ce rythme, le niveau d’activité de la fin de l’année 2019 ne devrait pas être atteint avant la fin de l’année 2023.

Les conséquences directes du conflit en Ukraine devraient rester relativement limitées. Les exportations (ou importations) à destination (ou en provenance) de la Russie et l’Ukraine ne représentaient respectivement que 0,1% et 0,3% des exportations (importations) totales du pays. Les exportations à destination de l’Europe ont progressé au cours des dix dernières années, mais restent relativement limitées (à 5% du total en 2021). L’économie mexicaine est relativement plus ouverte que les autres pays d’Amérique latine (suivie du Chili), mais la base d’exportations est majoritairement composée de produits manufacturés (à plus de 80%) et à destination des États-Unis (plus de 75%).

Mais les risques restent fortement baissiers. D’une part, bien que le taux de vaccination ait progressé (62% de la population totale avait reçu deux doses de vaccin à la fin du mois de mars), le pays reste vulnérable à de potentielles nouvelles vagues de contamination. Au niveau global, la résurgence du nombre de contaminations en Chine et les mesures associées pourraient retarder davantage le rétablissement des chaines de valeur. D’autre part, l’augmentation du prix des matières premières s’est significativement accélérée depuis la fin du mois de février, ce qui constitue un nouveau choc d’offre négatif potentiellement générateur de volatilité financière pour les pays émergents. L’économie mexicaine est très intégrée financièrement et donc vulnérable à un changement brutal du sentiment des investisseurs, nationaux comme étrangers. En outre, le Mexique est devenu un importateur net d’énergie depuis 2015, ce qui signifie que le solde de la balance courante devrait se dégrader (au moins) en 2022.

Inévitable hausse de l'inflation

L’inflation avait déjà accéléré significativement avant la matérialisation du conflit en Ukraine. En cause, plusieurs chocs liés à la pandémie : ruptures d’approvisionnement, retards dans la production industrielle et les chaines de valeur, hausse du prix de certaines matières premières, rebond de la consommation privée. Après 5,7% en moyenne en 2021, l’inflation s’est établie à plus de 7% en moyenne sur les trois premiers mois de 2022.

Les pressions inflationnistes devraient perdurer au moins au cours des prochains mois en raison des ruptures d’approvisionnement. Les subventions gouvernementales destinées à compenser l’effet de la hausse du prix des matières premières ne seront pas suffisantes pour absorber la totalité du choc. En moyenne, l’inflation devrait atteindre 7,1% en 2022 et nous anticipons de nouvelles hausses de taux à court terme. La banque centrale a déjà relevé son principal taux directeur à cinq reprises en 2021 et une fois en février dernier, à 6,0%.

Peu d'effet sur le déficit publique à court terme

Le déficit et la dette publics sont restés modérés au cours des deux dernières années. D’une part, les mesures de soutien à l’économie ont représenté 1,1% du PIB en 2020, l’une des parts les plus faibles parmi les économies émergentes ; d’autre part, le gouvernement a puisé dans le fonds de souverain de stabilisation (FEIP) pour se financer. Il a ainsi réduit les actifs du fonds à environ 0,1% du PIB à la fin de l’année 2020, alors qu’ils représentaient près de 2% à la fin de l’année 2019. Le déficit public s’est élevé à seulement 2,8% du PIB en 2021 (après 2,3% en 2020) et la dette est restée contenue à 50,8% du PIB en 2020 et 2021).

L’augmentation des prix des matières premières devrait avoir un effet limité sur les finances publiques en 2022. Le budget prévoit que les subventions sur le gasoil (le gouvernement s’est engagé à limiter la hausse à 5% pour les consommateurs) soient compensées par les recettes supplémentaires générées par les royalties versées par l’entreprise nationale pétrolière PEMEX. D’après les annonces du gouvernement, le surplus de recettes devrait être utilisé pour renflouer le fonds souverain FEIP.

Pour autant, l’évolution des finances publiques à moyen et long terme este une source d’inquiétude. En dépit de l’engagement du président à poursuivre sa politique de consolidation budgétaire, les dépenses devraient significativement augmenter dans les années à venir. De plus, les comptes de PEMEX ont continué de se détériorer et, malgré la hausse des prix du pétrole, leur assainissement nécessitera un soutien financier gouvernemental important et pérenne).

Les perspectives d'investissements continus de se détériorer

Enfin, les perspectives d’investissement restent relativement faibles à court et moyen terme. En nette baisse depuis le milieu de l’année 2018, l’investissement restait au cours des premiers mois de 2022 à un niveau significativement inférieur au niveau de décembre 2019, avant le choc lié à la pandémie (graphique 2). Le manque de lisibilité de la politique économique, l’absence de soutien gouvernemental au cours des deux dernières années et le débat en cours sur la réforme de l’énergie ont pesé sur la confiance des investisseurs, et continuera au moins jusqu’à la fin du mandat, prévu en 2024[1].

La réforme du secteur de l’énergie (proposée par le gouvernement en mars 2021), de nouveau d’actualité, et sa philosophie devraient fortement influer sur le sentiment des investisseurs à court et moyen terme. Dans les grandes lignes, le président a proposé une refonte du secteur de l’électricité (qui figurait dans son programme de campagne). Selon la proposition de loi de mars 2021, l’entreprise publique d’électricité CFE fournirait 54% de l’électricité (contre moins de 40% aujourd’hui) au détriment des acteurs privés du secteur. La proposition inclut également l’annulation de contrats de production et de fourniture d’électricité par des acteurs privés, ainsi que d’autres portant sur la production d’énergies renouvelables. En outre, le président entend supprimer la gouvernance d’entreprise pour la CFE et PEMEX et donner au gouvernement seul le pouvoir de décision.

MEXIQUE : INDICE D’INVESTISSEMENT

La réforme du secteur de l’énergie (proposée par le gouvernement en mars 2021), de nouveau d’actualité, et sa philosophie devraient fortement influer sur le sentiment des investisseurs à court et moyen terme. Dans les grandes lignes, le président a proposé une refonte du secteur de l’électricité (qui figurait dans son programme de campagne). Selon la proposition de loi de mars 2021, l’entreprise publique d’électricité CFE fournirait 54% de l’électricité (contre moins de 40% aujourd’hui) au détriment des acteurs privés du secteur. La proposition inclut également l’annulation de contrats de production et de fourniture d’électricité par des acteurs privés, ainsi que d’autres portant sur la production d’énergies renouvelables. En outre, le président entend supprimer la gouvernance d’entreprise pour la CFE et PEMEX et donner au gouvernement seul le pouvoir de décision.

Dans les prochains mois, de nombreux débats autour de cette réforme doivent encore se dérouler au Congrès. En particulier, le Sénat et la Cour suprême doivent statuer sur la proposition du président, formulée en octobre 2021, de modifier les articles de la constitution évoquant la participation du secteur privé dans le secteur de l’énergie. Il semble peu probable que ce projet de loi soit adopté dans sa forme actuelle, et l’ampleur des modifications apportées reste incertaine. L’approbation d’un projet qui ne modifierait qu’à la marge celui défendu par le président augmenterait les risques dans plusieurs domaines : un « risque de réputation », si les contrats privés déjà signés étaient annulés (et dans le même temps un risque juridique au niveau national et international), une baisse de l’investissement privé (domestique et étranger) à long terme, et, au-delà du secteur de l’énergie, un risque pour les finances publiques si les dépenses consacrées à CFE et PEMEX devaient de nouveau augmenter de manière significative.

[1] Le président a organisé mi-avril un référendum valant validation pour mener son mandat à terme. La question posée était la suivante « Etes-vous d'accord pour révoquer le mandat du président pour perte de confiance, ou pour qu'il continue à la présidence de la République jusqu'à la fin de son terme? ». Plus de 90% des votants ont répondu « oui » à la 2e question, mais le taux de participation était particulièrement faible (moins de 20%).

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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