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L’intervention du FITD en faveur de Banca Tercas n’était pas une aide d’Etat

29/04/2019
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Le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission européenne qui qualifiait d’aide d’Etat les mesures de soutien accordées à Banca Tercas par le fonds de garantie des dépôts italien (FITD).

A l’instar de l’imputabilité de l’intervention aux autorités italiennes, son financement au moyen de ressources d’Etat avait été insuffisamment démontré.

Le coût des mesures de soutien était estimé inférieur à celui d’une mise en œuvre du dispositif de garantie des dépôts en cas de liquidation de Banca Tercas. Cette intervention, décidée volontairement par un consortium de banques en faveur de l’un de ses membres, avait donc pour objet de préserver leurs intérêts privés. En l’occurrence, ces derniers coïncidaient avec les intérêts publics.

Les besoins en fonds propres de la banque italienne étant exclusivement comblés avec des ressources privées, cette intervention ne contourne ni le cadre prévu par la directive européenne BRRD, ni les règles relatives aux aides d’Etat. Il ne s’agit donc pas d’une exception au principe du renflouement interne (bail-in).

Le Tribunal de l’Union européenne a annulé[1] la décision de la Commission européenne[2] qui qualifiait d’aide d’Etat illégale les mesures de soutien prises en faveur de Banca Tercas par le fonds de garantie des dépôts italien (Fondo Interbancario di Tutela dei Depositi ou FITD) en 2014. Selon l’arrêt rendu, la contribution à fonds perdus et les garanties apportées par le FITD, lors de l’acquisition de Banca Tercas par Banca Popolare di Bari, ne remplissent pas deux conditions distinctes et cumulatives nécessaires à leur qualification d’aide d’Etat[3] : être imputables à l’Etat et être financées au moyen de ressources d’Etat.

A défaut d’éléments prouvant suffisamment le contrôle substantiel de l’Etat italien sur l’adoption des mesures de soutien ou les ressources mobilisées, le FITD, un consortium de droit privé, est intervenu dans l’intérêt de ses membres. En effet, si Banca Tercas avait dû faire l’objet d’une liquidation administrative, le coût de la mise en œuvre du dispositif de garantie des dépôts aurait été supérieur à celui des mesures de soutien, selon les estimations réalisées préalablement par un audit.

Cette intervention du système bancaire italien en faveur d’un de ses membres tend à mettre en lumière l’une des options lui permettant de poursuivre l’assainissement, par ses propres moyens, de son bilan agrégé. Les mesures que pourrait prendre à l’avenir le FITD sont susceptibles d’être influencées par cet arrêt, comme dans le cas de Banca Carige, par exemple. Au demeurant, ces mesures de soutien n’enfreignent pas le cadre prévu par la directive européenne relative au redressement et à la résolution des établissements de crédit (Bank Recovery and Resolution Directive – BRRD), le Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) et la communication de 2013 relative aux aides accordées aux banques[4]. L’intervention du FITD ne constitue donc pas une exception aux règles relatives aux aides d’Etat ou au principe du renflouement interne.

L’intervention n’est pas imputable à l’Etat italien

De façon préliminaire, la Commission européenne concluait que les mesures de soutien prises par le FITD en faveur de Banca Tercas constituaient une aide d’Etat. Elle estimait que le fonds était placé sous le contrôle des autorités publiques italiennes en vertu du mandat public qu’elles lui avaient confié et qu’en conséquence, l’intervention leur était imputable.

L’intervention en faveur de Banca Tercas n’entre pas dans le cadre du mandat public confié au FITD

La transposition en droit italien de la directive européenne sur les systèmes de garantie des dépôts[5] a conduit les autorités publiques à confier un mandat de fonds de garantie des dépôts au FITD. En cas de liquidation d’une banque, les dépôts sont couverts par le dispositif de garantie à hauteur de EUR 100 000. En cas de renflouement interne d’une banque à l’occasion de sa mise en résolution, les déposants ne sont sollicités qu’en dernier ressort et pour la part de leurs dépôts excédant EUR 100 000. Les déposants occupent ainsi un rang privilégié dans la hiérarchie des créanciers de la banque.

Le Tribunal de l’UE estime, contrairement à la Commission européenne, que l’intervention du FITD en faveur de Banca Tercas ne constitue pas une mise en œuvre de son mandat de fonds de garantie des dépôts. Selon lui, le mandat public confié au fonds est circonscrit au remboursement des déposants dans la limite de EUR 100 000 en cas de liquidation administrative forcée d’une banque.

Du reste, la finalité de ces mesures de soutien différait du mandat public confié au fonds (protéger les déposants). Elles avaient pour objet de préserver les intérêts privés des banques membres du consortium. Préalablement à l’acquisition de Banca Tercas par Banco Popolare di Bari au travers d’une souscription à une émission d’actions ordinaires, le FITD avait commandité un audit qui a confirmé qu’un remboursement des déposants en cas de liquidation administrative forcée aurait représenté un coût supérieur à celui des mesures de soutien. Les intérêts publics coïncidaient donc avec les intérêts privés des banques mais le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, cela ne donne aucune indication sur une éventuelle implication de l’Etat. Au demeurant, les autorités publiques italiennes n’ont pas la capacité légale d’imposer au fonds des interventions de la nature de celles mises en œuvre en faveur de Banca Tercas.

Le FITD a ainsi versé en 2014 EUR 265 millions à Banca Tercas à fonds perdus pour combler ses fonds propres négatifs. Les actions préexistantes d’une valeur de EUR 337 millions avaient préalablement vu leur valeur ramenée à zéro après l’absorption d’une partie des pertes. Toutefois, le principe de renflouement interne (bail-in) tel que défini par la BRRD n’a été que partiellement appliqué puisque la mise à contribution des détenteurs de titres subordonnés est également prévue. La Commission européenne a critiqué cet aspect car, dans la perspective où il se serait agi d’une aide d’Etat, la communication de 2013 prévoit la conversion en actions des instruments de dette subordonnée en vertu du principe de répartition des charges. Enfin, des garanties d’un montant de EUR 65 millions ont été accordées à Banca Tercas afin de couvrir le coût du risque et d’éventuels frais.

La Banque d’Italie a respecté l’indépendance du fonds dans l’adoption des mesures de soutien

En tant que consortium de droit privé, le FITD est, a priori, autonome dans sa prise de décision. L’exercice d’une influence substantielle des autorités publiques italiennes sur l’adoption des mesures de soutien doit donc être démontré. Dans le cas présent, le Tribunal estime que les éléments retenus par la Commission européenne ne suffisent pas à prouver l’implication de l’Etat italien. L’intervention du fonds a ainsi été réalisée sur une base volontaire puisque décidée par ses organes de contrôle sans preuves suffisantes d’une intervention des autorités publiques italiennes.

Plus particulièrement, le Tribunal de l’UE estime que la validation des mesures de soutien par la Banque d’Italie le 7 juillet 2014 n’avait pas de valeur contraignante. Il ne s’agirait que du dialogue normal entre une banque et son superviseur qui ne prouve donc pas l’intervention de l’Etat italien. De plus, les procès-verbaux des différentes réunions mettent en évidence que les représentants de la Banque d’Italie qui y ont assisté n’ont exercé qu’un rôle d’observateurs ; ils n’ont pas pris part aux échanges et ne disposaient pas de droit de vote.

L’intervention n’a pas été financée au moyen de ressources d’Etat

Dans le cadre des aides d’Etat, le simple fait que les fonds mobilisables demeurent sous le contrôle permanent des autorités publiques suffit à les qualifier de « ressources d’Etat ». Les aides d’Etat peuvent ainsi être financées au moyen de ressources détenues par l’intermédiaire d’organismes privés. Le seul fait que les fonds mobilisés en faveur de Banca Tercas aient été apportés par un consortium de droit privé ne permet pas d’écarter la qualification d’aide d’Etat. Le contrôle de l’Etat sur les fonds mobilisés doit néanmoins être prouvé.

La Commission européenne concluait que les ressources mobilisées étaient sous le contrôle de l’Etat italien puisque les banques sont légalement tenues d’adhérer à un fonds de garantie des dépôts et que leur contribution en cas d’intervention du FITD est également obligatoire. Le Tribunal estime cependant que l’obligation faite aux banques du consortium de participer au financement de l’intervention trouve sa source dans une disposition statutaire tandis que celle d’adhérer à un fonds de garantie des dépôts, dans une disposition réglementaire. Les banques sont donc tenues de contribuer au financement des mesures de soutien décidées par le FITD car elles ont choisi d’adhérer à ce dernier, tandis que l’appartenance à un dispositif de garantie des dépôts est une obligation légale. L’autonomie du fonds est donc préservée dans le cadre des mesures de soutien. Le Schema volontario di intervento dispose, en outre, d’une section distincte de celle du dispositif de garantie des dépôts dans le document qui établit les statuts du fonds. Le Tribunal rappelle également que la création de ce dernier est antérieure à la directive européenne de 2014.

Au demeurant, à l’instar des arguments de la Commission européenne imputant l’intervention du FITD à l’Etat italien, le mandat public confié au fonds et le supposé contrôle des autorités publiques sur celui-ci ne permettent pas de qualifier les fonds mobilisés de « ressources d’Etat ». Le Tribunal estime à ce titre que la Commission européenne a insuffisamment distingué la question de l’imputabilité aux autorités publiques de l’intervention de celle de son financement par des ressources d’Etat.

Le système bancaire italien doit poursuivre l’assainissement de son bilan par ses propres moyens

L’arrêt du Tribunal de l’UE permet de rappeler les limites des règles en matière d’aide d’Etat en faveur des banques dans l’UE[6]. La décision de la Commission européenne de qualifier les mesures de soutien en faveur de Banca Tercas comme une aide d’Etat illégale avait contraint la banque à rembourser les fonds perçus en avril 2016. Au demeurant, estimant que cette décision avait conduit à une augmentation du coût des difficultés de Banca Tercas pour le système bancaire, le ministre italien des affaires étrangères, Enzo Moavero Milanesi, n’a pas exclu de demander des compensations à la Commission européenne. Cette dernière étudie quant à elle les suites à donner puisqu’elle dispose de deux mois à compter de la notification de l’arrêt pour former un pourvoi auprès de la Cour de justice de l’UE.

L’arrêt du Tribunal de l’UE consacre l’intervention du FITD comme un moyen dont ,pour le système bancaire italien, de poursuivre l’assainissement de son bilan, à un niveau agrégé. A brève échéance, cet arrêt pourrait influencer les mesures du FITD, notamment en faveur de Banca Carige. En effet, le 30 novembre 2018 une intervention volontaire a été décidée par le fonds afin d’acheter EUR 318,2 millions d’obligations subordonnées Tier 2 de la banque. Toutefois, le plan de redressement présenté par la direction de Banca Carige n’a pas été validé dans sa globalité par l’ensemble de ses actionnaires. La banque fait actuellement l’objet d’une mesure d’intervention précoce, comme le prévoit la BRRD. Trois administrateurs temporaires ont été nommés par la BCE et leurs missions, prolongées jusqu’au 30 septembre 2019. Banca Carige pourrait en outre bénéficier d’une aide d’Etat justifiée par sa forte empreinte régionale.


[1] Arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 19 mars 2019 dans les affaires jointes T-98/16, Italie/Commission, T-196/16, Banca Popolare di Bari SCpA/Commission, et T-198/16 Fondo interbancario di tutela dei depositi/Commission

[2] Décision (UE) 2016/1208 de la Commission du 23 décembre 2015 concernant l’aide d’Etat SA.39451 (2015/C) [ex 2015/NN] mise à exécution par l’Italie en faveur de Banca Tercas

[3] Afin d’être légale, l’intervention doit être préalablement portée à la connaissance de la Commission européenne. Un plan crédible de restructuration visant à restaurer la viabilité de long terme de la banque doit être présenté, les détenteurs de titres de dette subordonnée doivent être mis à contribution (en plus des actionnaires) et les distorsions de concurrence doivent être limitées.

[4] Communication de la Commission concernant l’application, à partir du 1er août 2013, des règles en matière d’aides d’Etat aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière.

[5] Directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux systèmes de garantie des dépôts

[6] Pour le cas NordLB, voir notamment C.Choulet (2019), Le soutien d’un IPS constitue-t-il une aide d’Etat ? BNP Paribas, EcoFlash 29 avril 2019

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE