A la lumière de l’article 107 du traité européen et des précédentes décisions rendues par la Commission, il est possible que ce soutien soit interprété comme une aide d’Etat.
Le soutien d’un actionnaire public constitue une aide d’Etat
L’article 107, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[5] prévoit en effet que « sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
Par le passé, toutes les mesures de recapitalisation déposées par les actionnaires de Landesbanken ont été qualifiées d’aides d’Etat, au motif qu’elles mobilisaient des ressources d’Etat. Les banques régionales allemandes sont, de fait, des banques publiques. Elles appartiennent aux régions (Länder) et aux caisses d’épargne (Sparkassen), dont les autorités de tutelle (Träger) sont des organismes publics détenus par les municipalités ou les comtés. Soutenir un établissement bancaire au moyen de ressources publiques, même en qualité d’actionnaire, constitue, en principe, une aide d’Etat selon le droit né du TFUE.
Bien que ces aides aient procuré aux Landesbanken des capitaux auxquels elles n’auraient pas eu accès sur le marché, la Commission européenne les avait approuvées sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, point b) du TFUE. Celui-ci prévoit que les aides d’Etat destinées « à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un Etat membre » peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur. La Commission considère que les « tensions persistantes sur les marchés financiers » et le risque de « retombées négatives majeures qui pourraient découler de la défaillance d’un établissement de crédit » justifient la prolongation des conditions d’application des règles relatives aux aides d’Etat dans le contexte de la crise financière (définies initialement en octobre 2008 et actualisées à six reprises depuis[6]). Pour être considérées comme compatibles avec le marché intérieur, ces aides doivent être limitées au minimum nécessaire (au moyen d’un partage des charges notamment) et assorties de garde-fous contre les distorsions indues de concurrence.
A titre d’exemple, la Commission était parvenue en 2012 à la conclusion selon laquelle l’aide à la restructuration d’un montant global de EUR 3,3 mds octroyée à NordLB, bien que constituant une aide d’Etat, était compatible avec les règles européennes[7]. La Commission avait estimé que le plan de restructuration présenté garantissait la viabilité de la banque sur le long terme, une rémunération adéquate des capitaux apportés et un partage des charges satisfaisant (suspension des versements de dividendes et du paiement des coupons hybrides pendant la phase de restructuration). La réduction du bilan de NordLB (restrictions imposées à certaines activités commerciales, cessions de filiales non essentielles) et divers engagements pris par la banque devaient par ailleurs limiter les distorsions de concurrence résultant de l’aide. La Commission avait en outre souligné que la recapitalisation découlait d’exigences de fonds propres de l’Autorité bancaire européenne (EBA) à l’issue d’un test de résistance conduit en 2011 et du Capital exercise de 2012, et non d’un problème intrinsèque. Enfin, la Commission avait estimé que la défaillance d’une banque telle que NordLB, considérée d’importance systémique à l’échelle nationale, aurait eu des effets dommageables sur les marchés financiers et l’économie allemande.
Le caractère inédit de ce plan
Les autorités régionales ont indiqué qu’elles s’étaient efforcées, à nouveau, à présenter un plan qui ne contrevienne pas aux règles européennes relatives aux aides d’Etat. L’ambition des Länder comme de la DSGV est d’éviter la privatisation de NordLB[8] ou le déclenchement d’une procédure de résolution, laquelle imposerait un renflouement interne à hauteur d’au moins 8% des passifs. Dans la mesure où la banque ne respecte plus les exigences réglementaires minimales en matière de fonds propres, le plan de restructuration de la banque doit néanmoins prévoir, pour être jugé compatible avec le marché intérieur[9], un renflouement partiel[10] en imposant une conversion en fonds propres ou une réduction de valeur des titres de créance subordonnés[11]. Fin 2018, les fonds propres additionnels Tier 1 et Tier 2 de NordLB s’élevaient à EUR 2,7 mds.
Les conditions du sauvetage de NordLB revêtent toutefois un caractère inédit.
En effet, contrairement aux plans de soutien mis en place précédemment en faveur des Landesbanken, l’aide apportée n’émane pas uniquement des actionnaires de NordLB mais également du réseau de coopération et de soutien mutuel dont elle est membre, le S-Group. Les contributions individuelles des membres du S-Group n’ont pas été intégralement communiquées. Les trois plus grandes Landesbanken (LBBW, BayernLB et Helaba) devraient contribuer à la recapitalisation de NordLB à hauteur de EUR 260 millions au total. L’association des caisses d’épargne du Land de Basse Saxe, à la fois actionnaire de NordLB et membre du S-Group, injecterait EUR 320 millions aux côtés des caisses d’épargne de Bavière (68 millions) ou de Hesse et Thuringe (37,7 millions).
Le dispositif d’entraide, pierre angulaire des IPS
La législation européenne reconnaît le S-Group, auquel appartiennent l’ensemble des Landesbanken et Sparkassen allemandes, comme un système de protection institutionnel (IPS pour Institutional Protection Scheme, l’acronyme anglais étant le plus usité)[12]. Le règlement européen de juin 2013[13] définit un IPS comme « un arrangement de responsabilité contractuel ou prévu par la loi qui protège les établissements qui le composent et, en particulier, garantit leur liquidité et leur solvabilité pour éviter la faillite, le cas échéant » (article 113 paragraphe 7 CRR). D’après le guide de la BCE concernant l’approche retenue pour la reconnaissance des IPS à des fins prudentielles de juillet 2016[14], dès lors qu’il existe un risque de défaillance d’un membre de l’IPS et que les mesures préventives s’avèrent insuffisantes, « l’IPS doit prendre une décision relative à un soutien matériel ou financier ».
L’IPS doit disposer d’un large éventail de modalités d’intervention, « allant de mesures peu intrusives, comme le suivi plus étroit des établissements membres à partir d’indicateurs pertinents et des exigences de déclaration supplémentaires, à des mesures plus importantes, proportionnées au niveau de risque de l’établissement bénéficiaire membre de l’IPS et à la sévérité de ses contraintes financières, notamment la mise à disposition de fonds propres et de liquidités ». Des mesures d’assainissement du bilan, de restructuration ou de révision du business model peuvent être imposées à l’établissement en difficulté. Afin de minimiser ex ante les risques d’aléa moral et ex post ceux de contagion, les IPS établissent les contributions de leurs membres en fonction de leurs profils de risques et n’envisagent généralement pas une aide inconditionnelle et illimitée à leurs membres. Ainsi, s’il doit exister « un engagement clair de la part de l’IPS d’apporter un soutien quand – malgré le suivi préalable des risques et des mesures d’intervention précoces – un membre de l’IPS est insolvable ou à court de liquidités », celui-ci reste conditionnel : un IPS est un système d’engagements et d’obligations mutuels. L’opportunité d’aider financièrement l’un des membres doit être évaluée à l’aune de sa situation financière et de sa prise de risque passée, des fonds disponibles et de la capacité des autres membres à renflouer le fonds ex post. Les conditions d’utilisation des fonds sont encore plus strictement encadrées lorsque l’IPS a la double fonction de système de protection mutuelle et de système de garantie des dépôts (ce qui est le cas du S-Group). La nécessaire approbation préalable des membres du comité de décision (majorité qualifiée de 75%), avant toute activation du dispositif d’entraide, illustre cette conditionnalité. D’ailleurs, à notre connaissance, ce dispositif n’a jamais été mobilisé en faveur d’une Landesbank depuis la crise financière de 2008.
L’arrêt rendu dans le cas de Banca Tercas n’est pas extrapolable
Pourtant, la communication de la Commission relative aux aides d’Etat ne prévoit pas de régime particulier en cas d’intervention d’un IPS. Elle établit en revanche que « les interventions de fonds de garantie des dépôts visant à dédommager les déposants conformément aux obligations imposées aux Etats membres par la directive 94/19/CE relative aux systèmes de garantie des dépôts ne constituent pas des aides d’Etat. Toutefois, l’utilisation de ces fonds ou de fonds similaires pour soutenir la restructuration d’établissements de crédit peut constituer une aide d’Etat. Les fonds en question peuvent certes provenir du secteur privé, mais ils peuvent constituer des aides d’Etat dans la mesure où ils passent sous le contrôle de l’Etat et que la décision relative à l’utilisation des fonds est imputable à ce dernier ». Le 19 mars dernier, le Tribunal de l’Union Européenne a annulé une décision de la Commission Européenne de 2015 qualifiant d’aide d’Etat les mesures de soutien en faveur de la banque mutualiste italienne, Banca Tercas, prises par le Fonds italien de garantie des dépôts (FITD). Le tribunal a estimé que la Commission n’était pas parvenue à démontrer que l’aide était imputable à l’Etat et financée au moyen de ressources d’Etat. La Commission n’avait pas donné de preuves suffisantes que les autorités publiques italiennes avaient exercé une influence substantielle sur la décision d’adopter ces mesures de soutien. En outre, les fonds utilisés étaient issus de contributions volontaires (les statuts du fonds prévoient la possibilité d’une intervention préventive en faveur de ses membres) et non de contributions obligatoires au fonds de garantie des dépôts[15].
Selon nous, l’arrêt rendu dans le cas de Banca Tercas n’est toutefois pas extrapolable à NordLB. Certes, le S-Group endosse également la fonction de système de garantie des dépôts. Il pourrait en outre faire valoir que la décision d’intervenir en faveur de NordLB n’est pas imputable à l’Etat (mesures préventives de l’IPS, vote interne) et que les fonds utilisés correspondent à un volant de contributions volontaires (au-delà du minimum requis au titre de la garantie des dépôts). Il n’en demeure pas moins que les ressources mobilisées en faveur de NordLB sont, contrairement à celles allouées à Banca Tercas, des ressources d’Etat au sens de l’article 107(1) du TFUE.
Finalement, un soutien de nature privée ?
La législation européenne manifeste davantage de bienveillance à l’égard des IPS dans les textes qui définissent le cadre prudentiel (CRR, BRRD). Ainsi, la directive européenne BBRD[16] assimile les dispositifs de soutien prévus par les IPS à des mesures de redressement de nature privée, susceptibles d’écarter le risque de mise en résolution des établissements aidés. A ce titre, l’IPS peut satisfaire aux exigences de la BRRD relatives aux plans de redressement, et ses membres en être dispensés[17].
La BBRD prévoit qu’une banque ne peut être mise en résolution qu’à trois conditions : 1. « la défaillance de l’établissement est avérée ou prévisible », 2. « il n’existe aucune perspective raisonnable qu’une autre mesure de nature privée, y compris les mesures prévues par un système de protection institutionnel, ou prudentielle, y compris les mesures d’intervention précoce ou la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres […], empêche la défaillance de l’établissement dans un délai raisonnable » et 3. « une mesure de résolution est nécessaire dans l’intérêt du public » (article 32 paragraphe 1). Le dispositif d’entraide d’un IPS s’apparente, en quelque sorte, à un mode de bail-out privé : le sauvetage d’une Landesbank peut être assumé par des contreparties extérieures au groupe en difficulté mais membres du même IPS (Landesbanken, voire Sparkassen d’autres régions allemandes et Landesbausparkassen), ce qui offre une protection aux créanciers du groupe extérieurs au réseau (déposants et autres créanciers non membres de l’IPS).
Les conditions du sauvetage de NordLB confirment, selon nous, a minima, l’existence d’un « réel » mécanisme d’entraide au sein du S-Group. A défaut d’une intervention de la DSGV, la crédibilité des engagements de solidarité qui lient les membres du S-Group aurait en effet pu être mise en doute[18].
Finalement, le plan de restructuration de NordLB mériterait sans doute d’être apprécié à travers le prisme du régime des aides d’Etat pour la seule partie des ressources publiques mobilisées par les deux Länder. Interpréter l’aide apportée par le S-Group à la lumière de la communication de 2013 (sans apprécier le caractère spécifique de ce soutien) reviendrait en effet à nier la possibilité d’IPS constitués de membres publics. En d’autres termes, cela reviendrait à considérer toute intervention du S-Group comme incompatible avec le régime des aides d’Etat.