Podcast - En ECO dans le texte

Neutralité climatique : un défi technologique, mais pas seulement…

31/10/2023

Alors que les conséquences du changement climatique s’aggravent et que l’impératif de sortie des énergies fossiles se fait de plus en plus pressant, Jean-Luc Proutat discute du développement des technologies vertes, chemin devenu incontournable pour parvenir à la neutralité climatique.

Transcription

Claire d'Izarny
Bonjour et bienvenue, vous écoutez en Eco Dans Le Texte, le podcast des Études Économiques du groupe BNP Paribas.
Je suis Claire d’Izarny, membre de l’équipe Information et Communication des Études Économiques de BNP Paribas et nous recevons aujourd’hui Jean-Luc Proutat, responsable des projections économiques de BNP Paribas.

Bonjour Jean Luc,

Jean-Luc Proutat
Bonjour Claire, bonjour à tous

Claire d'Izarny
Merci de revenir pour ce deuxième podcast sur la transition énergétique. La dernière fois vous nous aviez parlé du pacte vert européen qui était le sujet de votre graphique de la semaine du mois de juin. Nous vous retrouvons aujourd’hui autour du thème de la neutralité climatique et des moyens à mettre en oeuvre pour y arriver, qui représentent un véritable défi technologique.
Nous venons d’écouter un extrait de la conférence de presse d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unis en mars 2023 qui appel au développement des technologies vertes pour atteindre le net zero d’ici 2050
En juillet et août 2023, les températures sur terre comme à la surface des océans ont battu tous les records. Des incendies d’ampleur inédite ont affecté la Grèce et le Canada ; dans l’hémisphère sud, c’est la banquise antarctique qui, désormais, peine se reformer. Alors que dérèglement climatique n’est plus à démontrer et que ses conséquences s’aggravent, beaucoup de pays entreprennent de décarboner leur économie. Le défi reste toutefois considérable.
Alors, Jean-Luc, première question : pour bien mesurer l’ampleur de la tâche, que représentent encore aujourd’hui les énergies fossiles dans le monde ? Les voit-on régresser ?

Jean-Luc Proutat
-On pourrait dire que les énergies fossiles sont devenues consubstantielles à nos modes de vie…
…modes de vie qui, eux-mêmes, sont l’aboutissement de deux siècles de révolution industrielle.
-Elles ne nous servent pas seulement à nous chauffer ou à nous déplacer. De l’alimentaire au textile, en passant par la chimie, les ordinateurs, les smartphones, ou l’automobile, on les retrouve dans tout ce que nous consommons.
-Elles nous servent aussi à échanger des services et, notamment, à communiquer. Pour prendre un exemple parmi beaucoup d’autres, le bilan carbone de l’industrie du numérique, notamment des serveurs qui permettent de stocker les données, est loin d’être négligeable.
-En 2022, le pétrole, le gaz et le charbon représentent encore plus de 80% de l’énergie consommée dans le monde, autrement dit l’essentiel.
-S’en passer d’ici à trente induira de profondes transformations, qui ne seront sans doute pas une sinécure mais seront indispensables si l’on souhaite maintenir le réchauffement climatique dans les limites du supportable.

Claire d'Izarny
On en mesure déjà les effets

Jean-Luc Proutat
- Oui comme vous …Comme vous l’avez rappelé, on en mesure déjà les effets. Qu’il s’agisse de l’intensification des catastrophes naturelles (comme les sécheresses, les ouragans, les incendies ou les inondations) ou encore de la mise en péril des écosystèmes comme les récifs coraliens ou les glaciers de montagne, beaucoup de choses qui se passent aujourd’hui ont été anticipées par le GIEC (le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
-Mais ce qui frappe à la lecture du sixième et dernier rapport publié en 2023, c’est que tout arrive plus vite que prévu. Cela signifie qu’à +1,2°C de réchauffement climatique par rapport à l’ère préindustrielle - là où nous en sommes aujourd’hui - les conséquences sont déjà plus sévères qu’anticipées dans les précédents rapports.
- Cela veut dire aussi que la limite des +2°C fixée à Copenhague en 2009 est plus que jamais à ne pas dépasser.

Claire d'Izarny
Comment peut-on faire pour s’y conformer ?

Jean-Luc Proutat
- Il n’y pas d’autre solution que de réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre la neutralité climatique, dans le meilleur des cas aux alentours de 2050, et impérativement avant 2070.
- Depuis quelques années on constate bien que la courbe des émissions nettes s’est infléchie ; mais à 40 milliards de tonnes par an pour ce qui concerne le seul CO2 elles n’ont pas encore atteint leur pic, que l’on anticipe pour 2025.

Claire d'Izarny-Gargas
L’impératif de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est effectivement guère contestable, venons-en maintenant à la façon de faire. Quels moyens pouvons-nous mettre en œuvre ?
-Certains ne voient pas d’autre solution que la décroissance, ou, à tout le moins, la sobriété.
-D’autres parient encore sur la captation et le stockage du CO2….

Jean-Luc Proutat
- Le captage et stockage géologique du CO2 permettront peut-être un jour d’inverser la course du réchauffement climatique. Le GIEC compte d’ailleurs dessus pour étayer, à l’horizon de la seconde moitié de ce siècle, ses scénarios les plus favorables.
- Mais dans l’état actuel des techniques et connaissances, cette technique, qui encore balbutiante et très énergivore, n’offre qu’un intérêt limité.
- Quant à la thèse décroissante, qui consiste à dire que la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe nécessairement par une contraction des niveaux de vie - autrement dit une baisse du PIB par tête - elle est d’une portée limitée.

Claire d'Izarny
Pourquoi, selon vous, cette thèse serait un mauvais chemin ?

Jean-Luc Proutat
- Commençons par dire qu’elle est inaudible dans les pays émergents, où la priorité reste à l’amélioration des conditions d’existence de populations souvent encore pauvres.
- Quant aux pays avancés, où la question de la répartition des richesses et de la solidarité entre générations est déjà prégnante, on voit mal comment un régime décroissant pourrait s’imposer concrètement, ne serait-ce qu’au plan de l’acceptation sociale.
-L’exemple de l’UE prouve du reste que les émissions de CO2 peuvent être réduites, sans chute de production associée. Et dans les « trajectoires socio-économiques partagées » attachées aux différentes projections d’émissions de CO2 du GIEC, la décroissance n’est pas considérée, à l’inverse de la sobriété, qui est une notion distincte.

Claire d'Izarny
Pouvez-vous nous expliquer la différence entre décroissance et sobriété ?

Jean-Luc Proutat
- La sobriété peut être définie comme l’économie d’énergie qui, au-delà de celle autorisée par le progrès technique, résulte du changement de comportement des ménages et des entreprises.
- Il peut s’agir d’une sobriété d’usage (limitation du chauffage ou de la climatisation, choix de déplacements à pied ou à vélo pour les trajets courts, consommation d’articles reconditionnés, etc.), d’une sobriété dimensionnelle (limitation de la taille des véhicules, achats en circuits courts) ou encore d’une sobriété coopérative (priorisation des transports collectifs, usage partagé d’équipements, etc.).
- Dans les calculs de trajectoire « zéro émissions nettes » du GIEC ou encore de l’ADEME en France, la sobriété à pleinement sa part, mais elle ne constitue pas l’axe essentiel, qui repose avant tout sur le remplacement des énergies fossiles par des alternatives renouvelables ou peu carbonées, tel le nucléaire.

Claire d'Izarny
Terminons donc par les technologies vertes : leur déploiement s’est accéléré depuis la guerre en Ukraine, mais peut-on vraiment envisager qu’elles répondent un jour à tous les besoins ?
-Si l’on considère par exemple le prix des véhicules électriques, ils sont encore chères ; en outre, lorsque l’on évoque les panneaux solaires ou les éoliennes, on parle toujours d’énergies intermittentes…

Jean-Luc Proutat
- Si l’on revient sur l’année 2022 et aux records de subventions accordées aux énergies fossiles, on peut se dire que celles-ci ont encore de beaux jours devant elles.
- Mais il ne faut pas s’y tromper : nous sommes dans une transition, et 2022 marque aussi, et partout dans le monde, un record d’investissements dans les énergies renouvelables.
-Dans l’Union européenne, on est désormais capable de générer davantage d’électricité à partir de panneaux solaires et d’éoliennes qu’en recourant à des centrales à gaz.

Claire d'Izarny
Et en 2023, où en sommes-nous ?
- En 2023, les Etats continuent d’investir massivement dans les renouvelables, notamment au Nord de l’Europe. La transition énergétique est priorisée, le principal obstacle devenant celui de la disponibilité des matériaux et des qualifications.
- Quant au problème de l’intermittence, le progrès technique commence à apporter des solutions.
- Par exemple, la très haute tension pour le transport de courant continu associé à des transformateurs de nouvelle génération va permettre une bien meilleure intégration dans les réseaux des sources d’énergies renouvelables, y compris lorsqu’elles sont loin les unes des autres. On pense ici notamment au raccordement des éoliennes off-shore.
- Citons encore la mesure des flux en temps réel ou encore le couplage éoliennes-batteries, qui non seulement ouvre une voie de recyclage intéressante pour ces dernières, mais apporte une réponse crédible en matière de stockage de l’électricité et d’équilibre en temps réel des systèmes.

Claire d'Izarny
Et en ce qui concerne la question du prix ? on a toujours dit que les énergies renouvelables sont réputées chères en comparaison avec les énergies fossiles ?

Jean-Luc Proutat
- Il est vrai qu’historiquement les énergies renouvelables coûtent chères, notamment parce qu’elles exigent beaucoup de matières premières (par exemple de minerais pour les batteries) et d’investissements en capital.
- Mais elles sont sur une courbe d’apprentissage, tels que les rendements s’améliorent sans cesse et que le prix de l’énergie fournie par les équipements (calculée sur un cycle de vie complet) baisse très sensiblement.
- Il a été divisé par trois en à peine quinze pour l’éolien terrestre, grâce notamment à des appareils de plus en plus puissants ; à 30 dollars par mégawattheure, cette technologie est désormais tout à fait en mesure de concurrencer le gaz ;
- Les progrès sont encore plus impressionnant pour ce qui est du photovoltaïque, dont le coût a, quant à lui, été divisé par dix ; les cellules de dernière génération offrent des rendements qui dépassent les 25% que l’on pensait inatteignables il y a quelques années.
- Dans un pays comme la France, où l’on envisage tout à fait sérieusement de faire rouler des trains à grande vitesse avec de l’énergie solaire, le saut technologique est suffisant pour reconsidérer certains arbitrages.
- Mais il n’y a pas que la France : les fermes solaires les plus puissantes à opérer dans le monde se situent en Chine et en Inde ; l’Espagne a fait du développement du photovoltaïque un axe majeur de sa politique énergétique.
- En conclusion, ce qui paraissait inimaginable il y a encore quelques années, et encore très difficile aujourd’hui, à savoir une production d’énergie à grande échelle ne faisant plus appel aux combustibles fossiles, rentre dans le domaine du possible.
- Une révolution technologique est en marche, reste à savoir comment la financer, ce qui fera l’objet, si vous le voulez bien, d’un prochain podcast.

Claire d'Izarny
Merci Jean-Luc pour votre éclairage sur le défi technologique que représente la neutralité climatique
J’invite nos auditeurs à la lecture de votre publication du mois d’Août sur la neutralité climatique : la course est lancée, dont le lien est dans la description.
Nous nous retrouverons prochainement pour un podcast sur le financement des technologies vertes
Merci à nos auditeurs, rendez-vous sur notre site internet, vous y retrouverez tout au long de l’année les analyses de notre équipe de recherche économique.
À très bientôt.

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LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE