Eco Perspectives

Accélération économique en vue

05/07/2021
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Le risque épidémique refait surface

Même si le scénario central reste celui d’un redémarrage solide de l’activité économique au T3, les risques d’une résurgence épidémique liés au variant Delta ne peuvent désormais pas être totalement écartés. Et cela d’autant plus que la campagne de vaccination semble plafonner1 avec près de la moitié seulement de la population espagnole ayant reçu, fin juin, au moins une injection du vaccin. L’objectif du gouvernement de vacciner 70% de la population espagnole d’ici à la fin de l’été reste néanmoins atteignable, selon le ministère de la Santé.

La saison touristique pâtirait évidemment d’une détérioration de la situation sanitaire en Espagne et ailleurs en Europe si cela devait conduire à un nouveau tour de vis sur les conditions de déplacement dans le pays et avec les autres pays. Des mesures de contrôle (test PCR, certificat de vaccination) ont déjà été remises en place pour les voyageurs en provenance de Grande-Bretagne. Le secteur du tourisme générait, avant la pandémie, près de 2 600 000 emplois (directs et indirects), soit un peu moins de 15% de l’emploi total en Espagne2. Les chiffres de la fréquentation touristique, dont nous disposons à l’heure actuelle, portent encore les traces des mesures de confinement et témoignent du long chemin qu’il reste à parcourir. Le nombre de « nuitées » s’établissait en mai encore à près d’un quart seulement du niveau enregistré à la même période en 2019. Même si ces chiffres vont s’améliorer significativement, un retour à des niveaux équivalents à ceux de 2019 n’est pas envisageable cette année, et semble difficilement atteignable en 2022.

À ce stade, nous tablons toujours sur une accélération de l’activité économique au second semestre – autour de 5,5% – après un premier semestre timoré. Cela constitue une légère révision à la hausse pour 2021 – +6,0% désormais – par rapport à nos dernières prévisions de mars (+5,9%). L’activité économique en Espagne a été frappée cet hiver non seulement par une nouvelle vague épidémique, qui a contraint les autorités à durcir à nouveau les conditions d’activité, mais aussi par la tempête hivernale Filomena en janvier dernier. Cette dernière a paralysé pendant plusieurs jours une grande partie du pays, ce qui a plombé davantage l’activité au T1, notamment dans la construction. Ce secteur a enregistré, en effet, la plus forte contraction d’activité au T1 2021 (-4,3% t/t) alors que le PIB réel s’est réduit de 0,4% t/t. Notons toutefois la très bonne tenue de certaines composantes de la demande. Côté investissement, les dépenses en machines et en équipements ainsi que ceux en intangibles ont continué de progresser cet hiver, atteignant pour le second un nouveau record.

Mais c’est surtout du côté des exportations de biens que le redressement a été le plus prononcé. Les exportations en valeurs ont, en effet, grimpé de plus de 8% au cours des quatre premiers mois de l’année, dépassant ainsi très largement les niveaux enregistrés à la fin de l’année 2019 (cf. graphique 2). Le rebond des biens d’investissement a été particulièrement fort (+13,8% au cours des quatre premiers mois de l’année), mais les biens de consommation (+8,5%) et intermédiaires (+7,0%) ont également progressé significativement. Par pays, et au cours de la même période, les plus fortes augmentations sont venues de la zone euro (+28,2%), notamment du Portugal (+30,7%), d’Italie (+28,7%) et de France (+27,6%).

CROISSANCE ET INFLATION

La consommation et l’emploi toujours en convalescence


Au regard de l’évolution des enquêtes d’opinion récentes (PMI, enquêtes de la Commission européenne), la tendance sur le front conjoncturel s’annonce en effet encourageante. Pour n’en citer qu’un, l’indice composite PMI a atteint en mai son niveau le plus élevé depuis 20 ans (59,2). Alors qu’un net regain d’optimisme était observé dans l’industrie dès cet hiver, l’amélioration de la confiance est apparue plus récemment dans les services, grâce au relâchement des mesures de restriction pesant encore sur les activités du secteur durant le printemps. Un décalage important existe néanmoins entre ces données d’enquête – optimistes – et les données plus tangibles, qui tardent à s’améliorer de façon significative. Cela concerne aussi bien la consommation (ventes automobiles et de détail) que l’emploi. Près de 4 emplois sur 10 détruits durant le premier confinement n’avaient pas encore été recréés en mai3. Cependant, le secteur de la construction se porte bien, l’emploi étant d’ores et déjà repassé au-dessus du niveau observé en 2019. Les chiffres d’emploi nationaux doivent néanmoins encore être analysés avec recul puisque les travailleurs en chômage partiel (dispositif ERTE) sont considérés en emploi, et tous ne vont pas, à terme, retrouver un emploi. Malgré une baisse significative, près de 500 000 travailleurs se trouvaient ainsi encore couverts par le dispositif ERTE à la fin du mois de mai.

Dans ces conditions, et même si un processus de réduction des aides exceptionnelles d’État est en cours, une bonne partie des mesures de soutien devraient se poursuivre pour plusieurs mois encore et ne disparaître que très progressivement. C’est notamment le cas du dispositif assoupli de chômage partiel (ERTE) qui a été prolongé jusqu’à la fin du mois de septembre. Dans ces conditions, les finances publiques espagnoles resteront fortement détériorées en 2021. La Banque d’Espagne (BdE) prévoit désormais un déficit public au-dessus de 8% du PIB (8,2%)4 pour cette année ; un déséquilibre qui resterait, toujours selon le BdE, important en 2022 (-4,9%) et 2023 (-4,3%). Cela n’est pas simplement dû aux aides exceptionnelles de soutien, mises en place par le gouvernement pour amortir le choc de la pandémie, mais c’est aussi la conséquence d’un déficit «?structurel?», sous-jacent, important, antérieur à la crise du coronavirus5. Le ratio de dette publique sur PIB ne bénéficierait donc que très peu du rebond de croissance attendu en 2021 et 2022, et resterait encore très proche du seuil des 120% (118,0% en 2022 selon la BdE contre 119,9% en 2020).

L’Espagne devrait néanmoins bénéficier dès le mois de juillet des premiers versements provenant du fonds de relance européen (EUR?9?mds), la Commission européenne ayant en effet donné son feu vert au plan de relance espagnol. EUR?10 mds de subventions supplémentaires devraient être débloqués d’ici à la fin de l’année. Ces sommes (EUR?19?mds au total) constituent néanmoins un montant inférieur à celui envisagé par l‘exécutif espagnol qui tablait initialement sur le versement de EUR?27 mds en 2021.

LES EXPORTATIONS DE BIENS ONT TIRE LA CROISSANCE AU T2

Des pressions inflationnistes à relativiser jusqu’ici

Comme ailleurs en Europe, l’inflation en Espagne est remontée de façon significative au cours des derniers mois (+2,7% en mai). Cependant, les pressions sous-jacentes restent très contenues. En effet, la hausse de l’IPC total s’explique en quasi-totalité par des augmentations de prix dans l’énergie, avec deux contributeurs principaux : d’une part, la remontée du prix des carburants automobiles – l’IPC pour l’essence a bondi de 24,2% en g.a. en mai – et, d’autre part, le bond spectaculaire du prix de l’électricité (+36,3%). Si on écarte la composante énergie de l’IPC, la trajectoire inflationniste est beaucoup plus bénigne, à seulement +0,3% en mai (cf. graphique 3). Certaines composantes se situent même en déflation. C’est le cas, par exemple, de la communication (-4,5% en g.a.), de l’hôtellerie & restauration (-0,6%) et des boissons alcoolisées & tabac (-0,3%). L’écart entre inflation globale et sous-jacente (hors énergie et aliments périssables) n’a jamais été aussi important depuis le début des séries actuelles (janvier 2002).

Pour réduire le poids de l’électricité sur la facture des ménages, le gouvernement a baissé, à compter du 26 juin dernier et jusqu’à la fin de l’année, la TVA sur l’électricité, de 21% à 10%. Il a également suspendu pour trois mois la taxe sur la production d’électricité (7,0%) qui s’applique aux entreprises. Le manque à gagner en termes de recettes fiscales pour le gouvernement ne sera pas négligeable, près de EUR 1,2 md d’euros selon l’exécutif, ce qui alourdira encore davantage la facture gouvernementale en 2021.

ECART HISTORIQUE ENTRE IPC ET IPC SOUS-JACENT

guillaume.a.derrien@bnpparibas.com

1 Spain misses June vaccination target with nearly three million doses still in storage, El Pais, 22 juin 2021.

2 Source : Eurostat.

3 Données de l’Agence pour l’emploi espagnol (SEPE).

4 Projections macroéconomiques de la Banque d’Espagne de juin 2021

5 Voir BNP Paribas Ecoflash Espagne : vers une hausse prolongée du déficit public ?, 21 janvier 2021.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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