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Investissement en zone euro : dynamique et recomposition

19/06/2019
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De 2008 à 2013, la zone euro a connu une baisse marquée de l’investissement. Un redressement tardif a été observé à partir de 2014, mais l’investissement total reste inférieur à son niveau d’avant-crise.

Des disparités existent entre les pays. Le taux d’investissement a par exemple nettement baissé après la crise en Espagne alors qu’il a augmenté en France.

La part de l’investissement dédiée aux actifs intangibles, notamment à la recherche et au développement, progresse au détriment des actifs matériels.

Une longue période de baisse

En zone euro, le double choc de 2008 (crise financière) et 2012 (crise des dettes souveraines) a eu un impact particulièrement prolongé sur la dynamique de l’investissement (cf. graphique 1). La hausse des coûts de financement, en particulier pour certains pays sensiblement affectés par la crise de 2011-2012 et, plus largement, la difficulté d’accès au crédit, dans un contexte de fragmentation financière importante, ont pu freiner les décisions d’investissement[1].

Rattraper le retard

Le niveau élevé des incertitudes pourrait également en constituer l’un des principaux facteurs. Sur cette période, il aurait en effet pesé de manière significative et continue sur l’investissement[2]. Le difficile redressement de la FBCF (formation brute de capital fixe ou investissement), postérieur à 2009, doit également s’inscrire dans un contexte de hausse et de niveau élevé de l’endettement public en zone euro et de faiblesse de la demande agrégée[3], notamment dans certains pays du Sud de l’Europe.

Redressement tardif mais notable

En zone euro, sur la période d’après-crise (2011-2017) le taux d’investissement moyen a été inférieur de l’ordre de 2 points de PIB à celui d’avant-crise (1999-2007). La baisse s’est vérifiée dans la plupart des grands pays[4], à l’exception de la France où le taux d‘investissement a légèrement progressé pour atteindre en moyenne 22% du PIB après la crise[5] (cf. graphique 2). Si ce taux diminue peu en Allemagne, la baisse est nettement plus marquée en Italie (-3,2 points à 17,7% du PIB) et surtout en Espagne (-8 points à environ 20%), ce qui suggère une correction suite à l’apparition de surcapacités importantes avant la crise, notamment dans la construction[6].

Disparités entre pays

En zone euro, la croissance moyenne en volume de l’investissement (cf. graphique 3) a été divisée par deux entre les deux périodes (+3,2% en moyenne par an entre 1999 et 2007 et +1,5% entre 2011 et 2018). Le léger repli du taux d’investissement allemand masque une sensible accélération du volume de FBCF. Après une période de faible dynamisme avant la crise (croissance moyenne de l’ordre +1,0%), le volume total d’investissement en Allemagne a progressé de +2,5% post-crise. Au total, sur cette période, l’Allemagne a très nettement soutenu la dynamique d’investissement de la zone euro dans son ensemble.

En Espagne, la forte correction de l’investissement, débutée au moment de la crise de 2008 après un dynamisme difficilement soutenable, a ramené en 2013 son niveau à celui de 1999. Un rebond marqué et soutenu s’observe depuis. Le profil de l’investissement en Italie est singulier. Après sept années consécutives de baisse (2008-2014), le volume d’investissement a retrouvé une croissance positive en 2015 lui permettant tout juste de retrouver en 2018 son niveau de 1999 (cf. graphique 4).

Le Sud de la zone euro à la peine

La baisse du taux d’investissement global en zone euro s’est accompagnée, entre les périodes d’avant-crise et d’après-crise, d’une légère recomposition. La part des actifs immatériels[7] dans la FBCF totale a progressé pour atteindre environ 20%, au détriment des actifs matériels (bâtiments, machines et équipements) (cf. graphique 5). L’importance croissante prise par les intangibles dans les investissements s’observe dans les quatre grandes économies de la zone euro. Toutefois, cette part reste relativement plus faible en Espagne (14,5% du total en moyenne post-crise) et en Italie (15,7%), qu’en France (23,4%) et, dans une moindre mesure, qu’en Allemagne (18,1%).

Plus d’actifs immatériels, moins de bâtiments

A l’inverse, la part des « machines et équipements » dans la FBCF française est moins élevée que celle des trois autres grands pays reflétant en partie la faiblesse relative de la valeur ajoutée (VA) industrielle (hors construction) dans la VA totale (14% en 2018 en France, contre 26% en Allemagne et un peu moins de 20% en Italie et en Espagne).

Les profils de l’investissement en volume confirment le dynamisme des investissements en « droits de propriété intellectuelle »[8] (cf. graphique 6). En effet, les dépenses d’investissement en « machines et équipements » ont sensiblement pâti de la crise, et notamment du choc négatif sur le commerce mondial de 2009. A l’inverse, les dépenses en « droits de propriété intellectuelle » semblent avoir été moins affectées, affichant une stabilité de 2007 à 2009, avant de repartir à la hausse dès 2010. Cette résilience s’observe aussi bien en Allemagne qu’en France (dans le contexte des réformes du Crédit Impôt Recherche[9]) qu’en Espagne.

Résilience de la propriété intellectuelle

Un effort de R&D à confirmer

Parmi les branches d’activité marchandes des grandes économies de la zone euro, l’industrie (hors construction) et les services « d’information et de communication » affichent en particulier des taux d’investissement élevés, suggérant une forte intensité capitalistique.

Dans l’industrie, le taux d’investissement augmente en moyenne en France et en Espagne entre les périodes d’avant et d’après-crise, tandis qu’il baisse légèrement en Allemagne et en Italie (cf. graphique 7). Partout, néanmoins, le taux d’investissement de l’industrie en actifs immatériels a augmenté[10], en particulier en « recherche et développement » (R&D). Ce taux reste relativement faible en Espagne (2,2% de la VA industrielle) et en Italie (3,6%) par rapport à l’Allemagne (7,1%) et, de surcroît, à la France (9,0%). Ce dernier constat est à nuancer compte tenu de la faiblesse relative de l’industrie dans le tissu productif français.

Une industrie plus innovante

A l’image de l’industrie, la branche d’activité « information et communication », dont la productivité est relativement élevée et dynamique, affiche également un taux d’investissement en actifs immatériels en hausse dans les grandes économies de la zone euro et un niveau relativement élevé parmi les services marchands. Cette dynamique pourrait en partie refléter un environnement concurrentiel intense, incitant les entreprises à monter en gamme, et qui pourrait plus largement mener à l’exclusion du marché des entreprises les plus fragiles.

Au total, bien que globalement ralenti, l’investissement en zone euro tend à s’orienter davantage vers des actifs immatériels, notamment dans l’industrie et certains services productifs. L’investissement en R&D aurait à court et long terme des effets bénéfiques sur les dynamiques de productivité. L’effort en R&D doit être maintenu et accompagné. Toutes choses égales par ailleurs, bien que relativement élevé, le niveau de productivité des pays de la zone euro, approché par le PIB par heures travaillées, s’est éloigné de celui des Etats-Unis (cf. graphique 8) depuis la crise de 2008. Une marge de rattrapage subsiste donc.

Un retard à combler avec les Etats-Unis

[1] B. Barkbu et al., Investment in the euro area: why has it been weak?, IMF Working Paper, February 2015

[2] Business investment in EU countries, ECB, Occasional Paper Series, October 2018

[3] N. Balta, Investment dynamics in the euro area since the crisis, DG ECFIN, March 2015

[4] L’échantillon retenu regroupe l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne, soit ¾ de la FBCF totale en valeur de la zone euro en 2018.

[5] En limitant le champ de l’analyse aux branches marchandes non agricoles, le constat est identique.

[6] P. Butzen, Why is investment in the euro area continuing to show only weak recovery?, National Bank of Belgium Economic Review, September 2016

[7] Nous désignons ici comme actifs immatériels, les “droits de propriété intellectuelle” qui recouvrent notamment les dépenses d’investissement en recherche et développement et en logiciels et bases de données.

[8] La hausse marquée de 2015 des dépenses d’investissement en R&D s’explique en partie par le changement de méthode de comptabilisation de la R&D intervenue en Irlande cette année-là (voir: La croissance irlandaise est-elle factice?, CEPII, Novembre 2017)

[9] S. Guillou et al. L’investissement des entreprises françaises est-il efficace?, France Stratégie, octobre 2018

[10] Parmi les actifs immatériels, la comparabilité entre pays de l’investissement en “logiciels et bases de données” nécessite de la prudence, en raison de différences possibles de comptabilisation (voir: S. Guillou, L’immatérialité de l’investissement des entreprises françaises?, OFCE, février 2019)

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE