Eco Emerging

Bien positionnée pour rebondir

15/04/2021
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L’économie a plutôt bien résisté au choc de la pandémie jusqu’à présent. La croissance a certes fortement décéléré en 2020, mais elle est restée positive. Surtout, elle devrait rebondir fortement cette année, soutenue par la demande domestique et une décrispation du contexte politique après un cycle électoral chargé. Comparé à d’autres pays africains, la situation de la dette soulève également moins d’inquiétudes. Néanmoins, la détérioration marquée des finances publiques en 2020 appelle à une consolidation qui pourrait s’avérer difficile sans une hausse durable des recettes fiscales. Cela risque aussi de peser à terme sur les perspectives de croissance d’une économie de plus en plus dépendante des investissements publics.

PRÉVISIONS

L’horizon se dégage. Après la réélection du président Ouattara en novembre 2020, lors d’un scrutin émaillé de violence et sans la participation de l’opposition qui contestait la légitimité de la candidature de ce dernier, la tenue des élections législatives début mars est venue clôturer un cycle électoral chargé. Le parti présidentiel, le RHDP, a réussi à conserver sa majorité face à une opposition remobilisée. Surtout, les élections législatives se sont déroulées dans un climat apaisé, laissant entrevoir une décrispation du contexte politique.

Du côté des investisseurs, la continuité de la politique économique rassure également, comme en atteste le retour réussi de la Côte d’Ivoire sur les marchés financiers internationaux en novembre 2020, puis en février. Avec une croissance de 8% en moyenne depuis 2012, le bilan des deux précédents mandats du président Ouattara est en effet positif. La Côte d’Ivoire fait aussi partie des rares économies africaines à avoir évité la récession en 2020, notamment grâce à une bonne maîtrise de l’épidémie, et la détérioration des comptes publics et extérieurs y a été moins sévère. Un rebond significatif de l’activité est attendu cette année. Néanmoins, la situation n’est pas sans risques.

Finances publiques : consolidation graduelle

La consolidation des finances publiques sera l’un des principaux défis à relever. De fait, le déficit budgétaire a plus que doublé en 2020 pour atteindre 5,6% du PIB (graphique1) en raison essentiellement de la progression de plus 3 points des dépenses publiques. Les recettes budgétaires hors dons ont été 5% inférieures aux objectifs initiaux. Elles ont néanmoins plutôt bien résisté (+4% en glissement annuel), ce qui a permis à l’État de ne pas procéder à des réallocations de dépenses.

Les investissements publics ressortent ainsi en hausse de presque 30% en 2020, alors que des coupes avaient été envisagées au début de la crise sanitaire. Selon le FMI, le déficit budgétaire devrait être ramené à 4,7% du PIB en 2021 avant de progressivement converger vers la norme communautaire de 3% en 2023. Le rythme d’assainissement ainsi retenu permettrait de contenir l’endettement en dessous de 50% du PIB sans pour autant fragiliser la reprise économique.

DÉTÉRIORATION DES FINANCES PUBLIQUES

Si la situation d’ensemble reste gérable, de nombreux facteurs pèsent néanmoins sur la dynamique des finances publiques. La Côte d’Ivoire affichait, en effet, avant la crise l’une des plus mauvaises performances de la région en termes de collecte fiscale ; à 12% du PIB, elle est le reflet d’un système relativement complexe avec de multiples exonérations. Le retrait progressif des mesures de soutien mises en place pour lutter contre les effets de la pandémie aura un effet très modéré sur la performance budgétaire.

D’un montant estimé à 1,5% de PIB en 2020, le programme ne devrait être réduit que d’un demi-point en 2021. Le gouvernement table également sur le redressement des recettes générées par la reprise de l’activité économique, ainsi que sur des réformes fiscales pour réduire ses déficits. Les contre-performances répétées par le passé incitent cependant à la prudence.

La capacité des autorités à contenir la hausse des dépenses publiques est également sujette à caution. Jusqu’à présent, elles y sont parvenues grâce à un strict contrôle des dépenses courantes, en particulier de la masse salariale des employés de la fonction publique dont le poids dans le budget est passé de 32,2% en 2014 à 25% en 2020. Mais le contexte social fragile, à la suite de la crise sanitaire et des élections, alimente le risque de dérapage sur ce front, ce qui laisserait les investissements publics jouer le rôle de variable d’ajustement. Les marges de manœuvre existent dans la mesure où les dépenses en capital comptent pour plus d’un quart du budget. Néanmoins, il ne peut s’agir que d’une solution transitoire.

Dette : soutenable mais sous surveillance

Comparé à celle d’autres émetteurs africains, la situation de la dette ivoirienne apparaît moins risquée, que ce soit en termes de niveau ou de structure. Mais la dynamique de hausse de la dette doit être enrayée. Point positif, les prochaines tombées de dette euro-obligataire importantes ne sont pas attendues avant la fin de la décennie. De fait, si les émissions d’eurobonds, ces dernières années, ont accru la part de la dette extérieure due à des créanciers privés (33% de l’encours de dette à fin 2020 contre 24% en 2013), elles ont aussi servi à allonger sa maturité. La durée moyenne de vie de la dette est ainsi passée de 5,5 ans en 2013 à 8,3 ans en 2020. La Côte d’Ivoire s’endettant essentiellement sur les marchés en euro, la vulnérabilité de la dette à un choc sur le change est également contenue grâce au peg.

La capacité de la Côte d’Ivoire à couvrir ses besoins de financement ne pose pas de problème. Le pays reste soutenu par les bailleurs de fonds et il dispose d’un accès régulier aux marchés financiers locaux et internationaux. D’ailleurs, la participation de la Côte d’Ivoire au moratoire de dette des pays du G20 ne traduit pas de tensions particulières de liquidité. Les gains ont été modestes (0,4% du PIB en 2020) et le resteront en 2021. À l’image d’autres pays éligibles, le gouvernement ivoirien n’a pas souhaité inclure les créanciers privés afin de préserver son attractivité et sa qualité de crédit auprès des agences de rating, ce qui explique, entre autres, le niveau relativement bas des spreads ivoiriens qui restent inférieurs à 400 points de base.

Cependant, l’augmentation de la dette publique (+20 points de PIB depuis 2014) et le recours accru aux marchés obligataires internationaux ont aussi conduit à une hausse marquée de la charge d’intérêt sur la dette, qui absorbe désormais 13% des ressources budgétaires hors dons, contre 7% en 2014. En l’absence de progrès dans la mobilisation des ressources domestiques, et sans une réduction du déficit budgétaire, cette situation risque de s’aggraver.

Vers un rebond en 2021, incertitudes au-delà

L’économie ivoirienne a plutôt bien résisté au choc en 2020. Après un plongeon au T2 à -1,6% en glissement annuel, la croissance est redevenue positive dès le T3 2020 (0,7%) à la suite d’un allègement substantiel des mesures de restrictions, et la dynamique s’est renforcée au T4 (1,9%). De plus, l’économie est modérément exposée au secteur du tourisme, et a bénéficié de termes de l’échange favorables grâce à la bonne résistance des cours mondiaux du cacao et à l’allègement de la facture pétrolière. Elle n’a ainsi pas souffert de pressions autres que les perturbations des échanges extérieurs générées par la pandémie.

Selon la banque centrale régionale (BCEAO), la croissance aurait atteint 1,2% en 2020. Cela constitue malgré tout un décrochage brutal. Pour 2021, la croissance est attendue à 5,5-6%, soutenue par l’intensification des grands projets en infrastructures et un rebond de la demande domestique. L’incidence de la remontée des cours des matières importées, en particulier ceux de l’énergie, sur les prix devrait restée contenue grâce aux mécanismes stabilisateurs de la zone Franc CFA. L’inflation était de seulement 2,3% en janvier 2021. Un resserrement prématuré de la politique monétaire par la BCEAO, est donc peu probable. Le taux directeur a été baissé de 50 points de base à 4% en 2020, ce qui a permis de soutenir l’activité de crédit au secteur privé (+11% en glissement annuel).

À court terme, l’impact de la levée du moratoire sur le remboursement des dettes bancaires, introduit durant la crise, devrait être gérable. Selon FMI, cela concernait seulement 5% des crédits à la mi-2020 au niveau de l’UEMOA. Or, il est probable que le risque de crédit, comme l’activité économique, ait plutôt mieux résisté en Côte d’Ivoire que les autres économies de la région.

Évidemment, le redressement économique à court terme suppose que l’épidémie reste sous contrôle. Certes, la Côte d’Ivoire est l’un des premiers pays africains à avoir reçu des vaccins grâce à l’initiative Covax. Mais la campagne de vaccination n’a démarré que début mars et elle sera longue.

TAUX D’INVESTISSEMENT

Au-delà, la capacité de l’économie à rester sur un sentier de croissance durablement élevée sera étroitement corrélée à l’agenda des réformes. Malgré un potentiel indéniable, le modèle ivoirien souffre encore de nombreuses fragilités structurelles, à commencer par une dépendance accrue aux investissements publics (graphique 2). Or, la nécessité de consolider les finances publiques rend cette dynamique difficile à maintenir. La baisse du taux d’investissement du secteur privé depuis 2015 illustre aussi la difficulté de l’économie à se transformer. Malgré un élargissement de la gamme des produits exportés, elle reste concentrée sur des matières premières, en particulier le cacao (plus de 40% des exportations). L’économie demeure non seulement vulnérable à des chocs exogènes mais la croissance n’est pas assez inclusive. Tous ces chantiers figurent en bonne place dans le nouveau Plan de développement national 2021-2025.

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