Eco Conjoncture

Convergence en zone euro : où en est-on ?

29/04/2019
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Au cœur du projet initial de création de la zone euro, la convergence économique des Etats membres a connu depuis 20 ans un chemin particulièrement heurté. Concept protéiforme, la convergence recouvre à la fois les critères issus du traité de Maastricht, la dynamique de croissance et la dispersion des niveaux de richesse. Si la période qui a précédé la grande crise financière a été marquée par un processus d’alignement nominal relativement abouti, la dynamique de convergence réelle affiche quant à elle un bilan beaucoup plus mitigé. L’absence d’« optimalité » de la zone euro, de possibilité de dévaluation du change et de mécanismes de stabilisation macroéconomique sont autant de freins importants à la convergence durable au sein de l’union monétaire.


Le concept de convergence économique recouvre plusieurs réalités. La convergence « nominale », d’abord, fait référence aux critères de Maastricht définis en 1993 en vue de l’adoption de la monnaie unique. Il s’agit de l’inflation, des taux d’intérêt de long terme, du taux de change, des dettes et déficits publics. Par ailleurs, une autre forme de convergence, dite « réelle », fait référence à la convergence des niveaux de richesse (en termes notamment de PIB par habitant exprimé en PPA[1]), des dynamiques de productivité ou même des structures économiques (par exemple, le poids des différents secteurs dans la valeur ajoutée nationale) mais également à des phénomènes de rattrapage économique. En effet, les pays affichant un niveau de richesse initial plus faible doivent connaître une croissance économique plus rapide que celle des pays plus riches.

Un consensus existe autour de la nécessité de convergence entre Etats membres de la zone euro, afin notamment de faciliter la mise en place et la transmission de la politique monétaire menée, en zone euro, par la Banque centrale européenne (BCE). En effet, une plus grande synchronisation et une moindre différence d’amplitude des cycles économiques permettent la mise en place d’une réponse monétaire commune plus efficace, en ligne avec les besoins de la majorité des pays. Aussi, la convergence économique permet-elle d’atténuer les chocs idiosyncratiques. Toutes choses égales par ailleurs, les effets d’un choc exogène seront proches pour des pays dont les structures productives sont similaires. Toutefois, cette convergence n’est pas a priori endogène à une union monétaire. Selon certains auteurs, dont Paul Krugman, plutôt que la convergence de ses membres, un espace économique et monétaire intégré alimente davantage la spécialisation des économies selon leurs avantages comparatifs. La convergence des résultats n’implique pas forcément, a priori, la convergence des structures économique (poids des secteurs dans l’économie par exemple).

Cela étant dit, où en est-on aujourd’hui en zone euro ? Celle-ci a connu, depuis sa création, deux phases distinctes. De 1999 à la crise financière de 2008, la convergence nominale, qui était une réalité avant même la création de la monnaie unique, s’est maintenue. Un processus de convergence « réelle » a également émergé avant la crise, mais de façon nettement moins marquée. La période post-crise a révélé des différences structurelles entre les économies membres dont les performances macroéconomiques ont commencé à diverger.

Avant la crise, une convergence « nominale » déstabilisante

Avant 1999 et jusqu’à la crise de 2008, le processus de convergence « nominale » entre les Etats membres de la zone euro était bien avancé.

Dès le milieu des années 1990, les taux d’intérêt longs (rendements des obligations d’Etat à 10 ans) des différentes économies ont rapidement convergé. Les pays présentant des taux d’intérêt plus élevés ont vu ces derniers sensiblement diminuer et se rapprocher de la limite basse, représentée par les taux allemands. Le taux à 10 ans de l’Etat italien a ainsi enregistré une baisse de plus de 6 points entre avril 1995 et janvier 1999. Les écarts de taux longs (spreads) entre les pays de la « périphérie »[2] et l’Allemagne sont alors proches de zéro en 1999, et le resteront jusqu’en 2008 (cf. graphique 1). Durant cette période, l’appréciation du risque était la même pour l’ensemble des Etats ayant adhéré à l’union monétaire, la zone euro apparaissant comme une entité dont les membres ne peuvent pas faire faillite.

Ecarts de rendements souverains à 10 ans avec l'Allemagne

L’éclatement de la crise en 2008-2009 conduit à un premier élargissement des spreads souverains. La vraie rupture intervient toutefois au moment de la crise des dettes souveraines, avec une hausse parfois très importante des spreads entre les Etats membres. Certains pays ont subi des hausses très sensibles de leur coût de financement, en particulier la Grèce, le Portugal et l’Irlande. Depuis, la convergence des taux longs a été réenclenchée, dans une ampleur toutefois moindre que lors de la décennie de préparation à l’euro.

Avant la création de la monnaie unique en 1999, et afin de satisfaire aux critères de Maastricht, les taux d’inflation ont également convergé de façon marquée (cf. graphique 2)[3]. Cette dynamique s’interrompt toutefois à partir de 1999. Des écarts d’inflation, même faibles, ont tendance à perdurer durant les premières années de fonctionnement de l’Union économique et monétaire (UEM)[4]. Compte tenu de la convergence, alors complète, des taux d’intérêt nominaux, les pays ayant structurellement des taux d’inflation plus élevés ont bénéficié de taux réels plus bas. Ces derniers ont pu alimenter des excès de crédit et de dépenses, notamment dans l’investissement immobilier. In fine, ces dynamiques ont conduit à des déséquilibres de balances courantes de plus en plus marqués (cf. infra).

La persistance au cours du temps d’un écart d’inflation entre les Etats membres a pesé sur la compétitivité-prix de certaines économies vis-à-vis de la zone euro et du reste du monde, comme le montrent les dynamiques de taux de change effectifs réels[5] (cf. graphique 3).

La Grèce, l’Espagne et, dans une moindre mesure, le Portugal et l’Italie, ont connu une appréciation sensible de leur taux de change effectif réel lors de la première décennie de l’euro, et ainsi une dégradation de leur compétitivité-prix vis-à-vis de leurs concurrents. Le processus de convergence « nominale », important mais insuffisamment abouti, a conduit à des déséquilibres macroéconomiques dans certains Etats membres de la zone euro, et révélé des faiblesses structurelles.

Ecart-type des taux d'inflation annuels
Evolution des taux de change effectifs réels

Ecarts de richesse : en ordre dispersé

La convergence des taux d’intérêt nominaux a soutenu la croissance de plusieurs économies membres lors des dix premières années de l’euro. Toutefois, l’activité a nettement ralenti les années qui ont suivi la crise, en particulier dans certains pays de la « périphérie ». Sur l’ensemble de la période, parmi les premiers pays ayant adhéré à la zone euro[6], le processus de rattrapage économique n’a pas eu lieu. Les pays baltes, aux niveaux de richesse très sensiblement inférieurs et dont l’adhésion à l’euro a eu lieu beaucoup plus tardivement[7], sont quasiment les seuls à avoir connu un rattrapage.

Les graphiques 4 et 5 retracent l’évolution de la dispersion des écarts de PIB par tête (en euros de parités de pouvoir d’achat) au sein de l’UEM, celle-ci étant ramenée, pour des raisons d’homogénéité des conditions d’observation, aux pays du premier cercle[8].

Sur l’ensemble de la période, les écarts de niveaux de richesse se sont accrus, la convergence réelle ne semble donc pas avoir eu lieu. Trois phases peuvent toutefois être distinguées :

  1. de 1999 à 2008, la dispersion des niveaux de richesse tend à se réduire de manière limitée,
  2. de la crise jusqu’à 2013, les niveaux de richesse des Etats membres ont sensiblement divergé,
  3. depuis lors, la dispersion semble se réduire très progressivement.

Cette approche agrégée masque des disparités nationales fortes. En effet, les Etats membres ont suivi des trajectoires différentes, en particulier après la crise, ce qui a contribué à accroître les écarts de richesse au sein de la zone euro (cf. graphique 5).

Les écarts s'accentuent depuis la crise de 2008
Qui converge, qui diverge ? PIB par tête, évolution des écarts à la moyenne (*)

Sur la première décennie de l’euro, les pays de la « périphérie » tendent à réduire leurs écarts de richesse par rapport à la moyenne, sur la base toutefois d’un modèle économique difficilement soutenable. C’est le cas notamment en Espagne, en Grèce et au Portugal. Ces dynamiques ont été accompagnées sur la période par la divergence des pays du Nord, qui voient leur niveau de richesse s’accroître davantage par rapport à la moyenne de la zone euro. C’est le cas notamment des Pays-Bas, de la Finlande et de l’Autriche. L’Allemagne, de son côté, n’a pas véritablement divergé en termes réels sur ces dix premières années.

Après 2008, les divergences s’accentuent nettement. Les pays de la « périphérie » effacent les bonnes performances d’avant-crise, basées sur des taux d’intérêt réels très bas et une forte croissance du crédit, et ont globalement eu tendance à s’appauvrir relativement à la moyenne. Certains pays ont affiché un creusement relativement durable et important de l’écart de production, en particulier pendant la crise des dettes souveraines (-16% du PIB potentiel en 2013 en Grèce, -9% en Espagne et -5% en Italie). Sur la même période, à l’inverse, le nord de la zone euro a plutôt continué de s’enrichir, porté notamment par le dynamisme allemand dont le PIB par tête a progressé à un rythme nettement supérieur à la moyenne de la zone euro. Avant et après la crise, comme souvent, la France occupe une position intermédiaire ; ses écarts de richesse par rapport à la moyenne de la zone varient peu.

Pourquoi un défaut de convergence post-crise ?

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le défaut de convergence depuis la crise. L’évolution de la productivité globale des facteurs (PGF) en est un élément déterminant.

Si le ralentissement des gains de productivité s’observe dans la plupart des pays, certaines économies « périphériques », qui ont connu une productivité structurellement moins dynamique avant 2008, ont affiché après la crise une baisse de la PGF (cf. graphique 6). Dans les pays initialement les plus productifs, bien que sensiblement moins allante après-crise, la PGF a dans l’ensemble continué de croître.

Evolution de la productivité globale des facteurs

Avant la crise, l’afflux important de capitaux dans les pays de la zone euro à plus faible revenu n’a pas permis un processus de rattrapage durable de la productivité. Les capitaux entrants dans les économies « périphériques » étaient alors essentiellement constitués d’investissements de portefeuille, tels que des achats de titres de dette publique ou de prêts interbancaires à court terme, au détriment des flux d’investissements directs étrangers, plus pérennes et plus enclins à favoriser la croissance de la productivité[9].

Dans certains cas, les booms de crédits ont même pu freiner les gains de productivité, en générant des réallocations de main-d’œuvre vers des secteurs faiblement productifs[10]. C’est l’exemple de l’Espagne, où l’allocation du capital n’a pas été optimale et a alimenté en grande partie une bulle immobilière. Toutes choses égales par ailleurs, la stimulation de la demande interne par la forte dynamique du crédit dans les pays « périphériques » a également été associée à la détérioration des comptes courants sur la période d’avant-crise (cf. graphique 8).

Compte courant

Au moment de l’éclatement de la grande crise de 2008 puis, en 2011, de celle des dettes souveraines, ces financements externes se sont nettement taris. La part du total des prêts entre institutions financières de la zone euro a diminué de l’ordre de 10 points entre fin 2008 et fin 2018. De nature essentiellement cyclique, les gains de productivité, déjà faibles, engrangés durant les années d’expansion se sont évanouis, laissant place à des baisses. Le repli de la PGF a été particulièrement marqué en Italie, ainsi qu’en Grèce qui a, en outre, connu une période de consolidation budgétaire marquée ainsi qu’une baisse sensible de l’investissement (le taux d’investissement tous actifs confondus est passé de plus de 25% du PIB en 2007 à moins de 12% en 2014).

La convergence « nominale » incomplète, la persistance d’un écart d’inflation et le dynamisme marqué du crédit dans certains pays « périphériques » ont participé à alimenter des déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro et conduit à une interruption du processus de convergence « réelle ».

Désalignement interne

Les critères d’optimalité ne sont pas remplis en zone euro : la mobilité de la main-d’œuvre reste assez faible, l’intégration des marchés de capitaux est à approfondir, l’amélioration des liens commerciaux intra-zone n’a pas suffisamment répondu aux attentes[11] et la convergence fiscale et budgétaire rencontre des freins majeurs (cf. infra). Par ailleurs, l’ajustement externe par le biais de dévaluations des taux de change n’étant pas un recours possible, des stratégies d’ajustement différentes s’imposent. La dévaluation interne, par le biais de la maîtrise des coûts salariaux unitaires[12] (CSU), en est une. L’évolution des CSU en zone euro indique, à ce titre, des écarts croissants en termes de compétitivité-coût entre les pays membres, en particulier avant la crise (cf. graphique 7).

Evolution des coûts salariaux unitaires

L’Allemagne est longtemps restée sans rivaux. Au-delà des progrès en termes de compétitivité hors coût et de positionnement stratégique, l’économie allemande a opéré après la réunification une modération salariale importante, menée notamment sur la base d’une décentralisation des négociations salariales. Cette modération a été accompagnée au début des années 2000 d’une flexibilisation du marché du travail. Ainsi, les coûts salariaux unitaires allemands sont restés stables entre 1999 et 2007. Cette dynamique, qui a permis à l’industrie manufacturière allemande de regagner en compétitivité, a notamment contribué à l’amélioration sensible du compte courant (+9 points de PIB depuis 1999 pour atteindre environ 8% en 2017). Les Pays-Bas, qui affichent également une forte progression et un niveau élevé d’excédent courant (plus de 10% du PIB en 2017, en hausse de 7 points depuis 1999), ont de leur côté connu une croissance moyenne des CSU de l’ordre de 2% avant la crise (proche de la France), avec une dynamique de productivité du travail comparable à celle de l’Allemagne.

Note de lecture : Les pays « déficitaires », représentés par la courbe noire pointillée sur le graphique, regroupent les pays qui ont affiché en moyenne un déficit de leur balance courante depuis 1999. Il s’agit notamment de l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal.

Les pays de la « périphérie » ont, sur cette période, vu leur CSU croître sensiblement. La progression des CSU avant la crise en Italie, au Portugal et en Espagne, a surtout eu lieu dans les secteurs des biens et services non échangeables[13]. En tant qu’intrants du processus de production, la progression des CSU dans le secteur abrité a pénalisé la compétitivité du secteur exposé à la concurrence internationale. Les dynamiques différentes de CSU entre les Etats membres de la zone euro ont participé aux écarts de balances courantes entre les pays déficitaires et les pays excédentaires (cf. graphique 8). Tandis que le compte courant de la zone euro dans son ensemble était globalement à l’équilibre sur la première décennie de l’euro, il n’a par la suite cessé d’augmenter, en grande partie sous l’effet de la hausse de l’excédent allemand. Les pays « déficitaires » ont à l’inverse vu leur compte courant nettement se dégrader avant 2008, avant de se refermer dans un contexte de demande interne déprimée.

Depuis 2008, les dynamiques salariales en Allemagne tendent à être plus marquées qu’en moyenne en zone euro (les coûts salariaux unitaires allemands ont progressé en moyenne d’environ 2,0% depuis la crise, contre +1,3% en zone euro). D’un autre côté, certains pays ont connu des ajustements brutaux de leurs coûts salariaux unitaires. Progressant en moyenne annuelle de plus de 3% entre 1999 et 2007, les CSU en Grèce et en Espagne ont stagné depuis lors. Ces nouvelles tendances, si elles persistaient, permettraient de réduire les écarts de compétitivité-coût à même de corriger une partie des déséquilibres macroéconomiques accumulés en zone euro.

Progrès institutionnels nécessaires

En cas de chocs asymétriques, des ajustements macroéconomiques sont donc possibles, notamment via la modération des coûts salariaux unitaires. Ils peuvent toutefois déprimer durablement la demande. Le partage du risque apparaît à ce titre essentiel, en particulier au sein d’une union monétaire, afin de lisser la consommation dans le temps et in fine d’améliorer le bien-être. Par définition, la politique monétaire commune limite l’autonomie au niveau national de sorte qu’un partage des risques s’impose pour amortir l’impact des chocs asymétriques[14]. Les mécanismes de partage du risque peuvent aussi bien être privés (via le marché des capitaux ou le canal du crédit) que publics (transferts intergénérationnels par le biais de la dette publique), nationaux ou transfrontaliers (système de transferts entre Etats).

A l’inverse des Etats-Unis, une république fédérale, la zone euro connait un partage du risque très limité, 80% des chocs qui affectent une économie donnée n’ayant pas été lissés depuis la création de l’union monétaire[15]. Le partage du risque s’affaiblit en outre pendant les périodes quand surviennent des difficultés économiques. La dynamique du crédit transfrontalier a pâti sensiblement de la crise de 2008, de la montée de l’aversion au risque des agents économiques et de la différentiation accrue du risque vis-à-vis des emprunteurs.

Le renforcement des mécanismes de partage du risque au sein de la zone euro nécessiterait notamment une plus grande intégration des marchés des capitaux et un marché du crédit transfrontalier moins sensible aux retournements conjoncturels. Par ailleurs, la brève histoire de la zone euro a, pour beaucoup, révélé la nécessité de renforcer la convergence institutionnelle.

Des premiers pas…

La lente et difficile réponse apportée à la crise des dettes souveraines, et en particulier au cas grec (dont l’économie ne représentait alors qu’un peu plus de 2% du PIB nominal de la zone euro), a mis en avant les divergences importantes entre les tenants d’une position ferme de « non-renflouement » (en ligne avec les traités européens) et les partisans d’une position plus interventionniste. Ces divergences de point de vue ont fragilisé la zone euro, et les tensions sur les marchés des obligations souveraines ont augmenté.

La création du Mécanisme européen de stabilité (MES) en 2012, qui a fait suite au Fonds européen de stabilité financière (FESF)[16], est une première avancée dans le domaine du partage des risques. Ces structures, destinées à prêter aux Etats membres qui rencontreraient des difficultés financières en échange d’une « stricte conditionnalité », ont permis une meilleure absorption des chocs en zone euro pendant la crise[17], en se substituant aux prêteurs privés dans les pays les plus affectés. Toutefois, ces dispositifs sont davantage des mécanismes d’urgence ex-post. Bien qu’ils apparaissent comme des outils crédibles de lutte contre les chocs négatifs à court terme, un instrument en amont pourrait absorber une partie du choc et ainsi limiter les effets négatifs en termes de croissance économique et d’emploi.

La zone euro s’est par ailleurs engagée, depuis 2012-2013, dans une union bancaire, dont la finalité est triple puisqu’elle vise :

  1. la prévention des risques, au moyen d’un mécanisme de supervision unique confié à Banque centrale européenne ;
  2. la dissociation des risques, souverains et bancaires, au moyen d’un mécanisme de résolution unique comportant notamment un fonds de résolution alimenté par les banques ;
  3. la mutualisation des risques, au moyen d’un mécanisme unique de garantie des dépôts bancaires, non encore achevé.

Promouvoir la convergence réelle nécessite d’abord de renforcer les conditions d’offre des économies membres de la zone euro (la compétitivité notamment) en vue, comme discuté plus haut, de permettre une convergence durable de la productivité et des niveaux de richesses. Cela requiert, d’autre part, de se doter d’un outil permettant de limiter les effets négatifs durables des chocs sur le PIB et l’emploi. Dans cette dernière partie, nous nous focaliserons sur le second point.

…qui restent à confirmer

L’accomplissement de l’Union bancaire ou de l’Union des marchés de capitaux est un premier pas, mais le risque de retournement des flux de financement, en cas de stress financier, demeure. Par ailleurs, l’assainissement des fondamentaux macroéconomiques et financiers,
souvent vu par l’Allemagne comme un préalable à toute forme de mutualisation plus poussée, relève davantage d’un objectif de long terme et apparaît comme nécessaire mais non suffisant. Ainsi, pour certains, l’UEM reste vulnérable[18].

Doter la zone euro d’une capacité budgétaire supranationale serait un moyen de la renforcer (Commission européenne, 2017[19].). Conçu à des fins de stabilisation macroéconomique, un tel outil contracyclique pourrait absorber tout ou partie des chocs, et éviter qu’un processus de divergence ne s’enclenche. Il permettrait la mise en œuvre d’un policy mix plus équilibré que celui observé, par exemple, pendant la crise des dettes souveraines[20]. Il serait aujourd’hui d’autant plus pertinent que la politique monétaire est contrainte par des taux d’intérêt très bas.

Cette capacité budgétaire supranationale devrait, pour être efficace, reposer sur des bases simples. Elle se déclencherait dès lors que la conjoncture se dégraderait. Un des indicateurs serait, par exemple, la déviation du taux de chômage par rapport à sa moyenne de long terme[21]. Il pourrait être préféré à l’output gap (l’écart entre le PIB effectif et le PIB potentiel), dont la mesure est régulièrement sujette à débats et pourrait être remise en question ex-post.

La capacité budgétaire serait mobilisée, de manière temporaire et proportionnée, en faveur du pays qui, subissant un choc asymétrique, verrait son chômage conjoncturel augmenter et, par conséquent, sa situation budgétaire se dégrader (manque de recettes et hausse des prestations sociales). Cette intervention aurait l’avantage d’atténuer les effets négatifs sur les marchés obligataires (hausse des spreads souverains) d’une dégradation des finances publiques. Il limiterait également l’activation ex-post du Mécanisme européen de stabilité.

La mise en place d’un tel outil pose différentes questions majeures et nécessite des garanties[22]. Le financement de ce mécanisme budgétaire, qui pourrait prendre la forme d’une contribution annuelle de chaque pays, nécessite un transfert d’une partie des ressources nationales à un niveau fédéral. Plus la capacité budgétaire au niveau de la zone euro est importante plus ce transfert sera élevé. La question de l’acceptation politique et sociale se pose alors. A ce titre, pour faciliter la mise en place de ce projet, des garanties sont nécessaires. La question de l’aléa moral doit être traitée. Comment se prémunir contre les risques de dérapage budgétaire au niveau national en présence d’un tel mécanisme « d’assurance » au niveau supranational ?

Selon le FMI, les transferts nets vers les pays en difficulté devraient dépendre du respect sur les années passées des règles budgétaires. En cas de non-respect, ces transferts, sans être totalement annulés, seraient dégressifs. La capacité budgétaire n’aurait, par ailleurs, pas vocation à être un mécanisme permanent, et ne doit ainsi pas se substituer aux ajustements, parfois nécessaires, des politiques économiques nationales. En cas de recours trop fréquent aux transferts supranationaux, des pénalités pourraient ainsi être demandées au pays concerné (une contribution additionnelle à la contribution annuelle par exemple).

Au total, l’acceptation politique à la mise en place d’une telle structure et son bon fonctionnement nécessitent de la part des pays membres de la zone euro des politiques budgétaires permettant, lorsque la conjoncture est favorable, de reconstituer des marges de manœuvre budgétaires. En effet, cela faciliterait le dialogue entre les pays structurellement excédentaires et les pays déficitaires, et assurerait un fonctionnement sans « à-coups » de la capacité budgétaire supranationale alors mise en place.

L’UEM s’est renforcée à l’épreuve des crises. Des outils de stabilisation, inexistants à l’origine, ont été créés. La Banque centrale européenne a endossé un rôle beaucoup plus important, en augmentant la taille de son bilan et en supervisant aussi directement, au sein d’un mécanisme de surveillance unique, les principales banques. L’union des marchés de capitaux a été lancée. Toutefois, les forces centrifuges, par lesquelles la zone a pu diverger par le passé, restent à l’œuvre. L’édifice réclame encore de l’attention, au moins sous deux aspects : la productivité et l’absence d’avancées institutionnelles suffisantes.

La question de la productivité, d’une part, apparaît centrale. Avant même la grande crise de 2008, les dynamiques de productivité globale des facteurs étaient très différentes entre les pays, constituant un frein à la convergence. Ainsi, des politiques nationales visant justement à relever cette productivité et in fine la croissance potentielle sont-elles nécessaires.

D’autre part, l’absence d’avancées institutionnelles suffisantes a mené à des ajustements macroéconomiques parfois brutaux qui ont pu prolonger les effets négatifs des crises sur la demande interne. La zone euro a désormais besoin d’une vraie capacité de stabilisation supranationale, pour éviter que les effets de chocs localisés s’amplifient et creusent les écarts.


[1] La parité de pouvoir d’achat (PPA) permet d’exprimer dans une unité commune les pouvoirs d’achat des différentes monnaies, en éliminant les différences de niveaux de prix entre pays.

[2]Par convention, nous désignerons, dans le reste du document, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce comme pays de la « périphérie ».

[3] Le traité de Maastricht impose la stabilité des prix. Le taux d’inflation d’un Etat membre donné ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point celui des trois Etats membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.

[4] Entre 1999 et 2007, l’Allemagne a connu une inflation annuelle moyenne de 1,8%, contre 3,4% par exemple en Espagne et en Grèce, soit pratiquement le double. Pour certains auteurs, ces écarts renvoient à l’ampleur des décalages cycliques ou à des différences en termes de détermination des prix.

[5]Le taux de change effectif réel se mesure comme la somme pondérée des taux de change bilatéraux vis-à-vis des partenaires commerciaux, corrigée par le rapport des prix à l’exportation.

[6] Allemagne, Belgique, Irlande, Grèce, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Autriche, Portugal, Finlande

[7] L’Estonie a intégré la zone euro en 2011, la Lettonie en 2014 et la Lituanie en 2015.

[8] Soit, dès 1999, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche, le Portugal, la Finlande, pays auxquels s’ajoute la Grèce, arrivée en 2001. Du fait de la variabilité de leur PIB par tête comme de leur sensibilité à des facteurs « exogènes » (telle l’évolution des règles comptables au niveau international) le Luxembourg ainsi que l’Irlande n’ont pas été retenus dans l’échantillon.

L’écart-type se mesure comme suit : s = , avec xi, le PIB par tête en euros (PPA), la moyenne pondérée de la zone et n la taille de l’échantillon.

[9] J.-L. Diaz del Hoyo and al., Real convergence in the euro area: a long term perspective, BCE, décembre 2017

[10] C. Borio et al., Labour reallocation and productivity dynamics: financial causes, real consequences, BIS Working Papers, December 2015

[11] R. Glick & A. Rose, “The currency union effect on trade : Redux”, VOX CEPR, June 2015

[12] Les coûts salariaux unitaires sont mesurés par le rapport entre la rémunération totale des salariés (y compris cotisations sociales salariales et patronales) et la productivité du travail.

[13] T. Tressel et al. Adjustment in Euro area deficit countries : Progress, challenges, and policies, IMF Staff Discussion Note, juillet 2014

[14] W. De Vijlder, Partage des risques dans la zone euro : quelles perspectives ?, BNP Paribas, Conjoncture, octobre 2018

[15] BCE, Le partage des risques en zone euro, Bulletin mensuel numéro 3 / 2018

[16] Le FESF a cessé de prêter mi-2012 et a été remplacé de manière permanente par le MES, dont la force de frappe financière était plus importante.

[17] J. Cimadomo et al., Private and public risk sharing in the euro area, BCE, Working Paper Series n°2148, Mai 2018

[18] A. Bénassy-Quéré et al., Quelle union budgétaire pour la zone euro ? Conseil d’analyse économique, Février 2016

[19]Reflection Paper on the deepening of the Economic and monetary Union, European Commission, May 2017

[20] En 2012 et 2013, les politiques budgétaires procycliques menées dans certains pays ont contribué à amplifier les effets négatifs de la crise sur l’activité et sur l’emploi.

[21]De nombreuses propositions, comme celle du FMI, retiennent comme mesure de la moyenne de long terme, des moyennes mobiles simples du taux de chômage sur par exemple les 10 dernières années.

[22]N. Arnold, A central fiscal stabilization capacity for the Euro area, IMF, March 2018

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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