Un deuxième trimestre décevant
D’après les indicateurs avancés, la croissance s’est légèrement contractée au T2, après une performance particulièrement robuste au premier trimestre (0,4 %). Cette dernière pourrait être due à des facteurs temporaires comme un hiver doux favorable au secteur de la construction, la fin des difficultés d’approvisionnement dans l’industrie automobile, liées à l’introduction du dispositif WLTP (procédure de test mondiale harmonisée pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers), ainsi que l’augmentation de la demande des clients britanniques, dans la perspective de la date butoir fixée pour le Brexit.
Entre-temps, les conditions économiques sous-jacentes ont continué à se détériorer. En juin, l’indice Ifo du climat des affaires s’est de nouveau replié, pour atteindre 97,4, son plus bas niveau depuis novembre 2014. Dans l’ensemble, les chefs d’entreprise restent satisfaits de la situation actuelle, mais ils se disent préoccupés par les perspectives pour les prochains mois car les carnets de commandes se dégarnissent. L’indice du climat des affaires ne se maintient à un niveau relativement élevé que dans le secteur de la construction. De plus, l’incertitude est relativement forte chez les chefs d’entreprise. Depuis le T4 2018, l’indice Ifo de dispersion, qui mesure la dispersion des anticipations des entreprises concernant les perspectives pour les six prochains mois, se situe autour de 59, un niveau précédemment observé au lendemain de la crise financière.
Le marché du travail reste, néanmoins, bien orienté. En avril, l’emploi était toujours en hausse d’environ 1 % par rapport à l’année précédente et le taux de chômage harmonisé s’établissait, en mai, à 3,2 %, niveau le plus bas de la zone euro.
Compte tenu des tensions sur le marché du travail, les salaires négociés ont fortement augmenté ces derniers mois. Au T1, ils avaient progressé de près de 3 % par rapport à l’année précédente. Dans l’ensemble, les coûts de main-d’œuvre ont grimpé de 2,3 % sur cette même période. Cependant, cela n’a guère eu d’impact sur l’inflation. En mai, les prix à la consommation n’avaient progressé que de 1,4 % par rapport à 2018.
Une orientation budgétaire expansionniste
Les partis de la coalition ont subi une cuisante défaite lors des élections européennes de mai dernier. La CDU/CSU (conservateurs, chrétiens-démocrates) est restée la principale formation politique, mais le SPD (socio-démocrates) a reculé à la troisième place, derrière les Verts. De nombreux partisans du SPD seraient favorables à un retrait de la grande coalition. Cependant, la perspective d’une défaite écrasante et la prochaine élection du nouveau président du parti en font une option peu probable pour le moment. Dans les prochains mois, les affrontements entre les membres de la coalition vont probablement s’intensifier, le SPD souhaitant exercer davantage d’influence sur les politiques publiques dans des domaines tels que l’introduction du minimum vieillesse ou d’une politique sur le climat.
Conformément à l’accord de coalition, la politique budgétaire va être considérablement assouplie, en particulier pour ce qui concerne les dépenses. Les dépenses publiques vont ainsi augmenter pour ce qui est des infrastructures de transport, de la garde des enfants et de l’éducation. De plus, les droits à prestations des personnes ayant élévé des enfants seront revalorisés (pensions des mères de famille). L’impôt sur le revenu et les cotisations sociales ne seront pas sensiblement modifiés. Les baisses d’impôts sur le revenu suffisent à peine à compenser la non-indexation des tranches d'imposition. Par ailleurs, la diminution des cotisations chômage sera compensée par une augmentation des cotisations d’assurance dépendance.
Avec l’assouplissement budgétaire, l’excédent des finances publiques devrait rapidement se résorber, passant de 1,7 % du PIB en 2018 à 1 % en 2019 et à 0,75 % en 2020. De plus, les recettes fiscales, en particulier celles en provenance du secteur des entreprises, risquent d’être décevantes. En revanche, les versements d’intérêts continuent de diminuer en raison de taux exceptionnellement bas. Conséquence, le ratio de la dette va continuer à reculer pour passer en dessous de la barre des 60 % du PIB, pour la première fois depuis 2002.
La croissance pourrait s’accélérer en 2020
Dans les prochains trimestres, des politiques budgétaire et monétaire expansionnistes seront les principaux moteurs de l’économie. En outre, la générosité des accords salariaux précédemment conclus et la bonne orientation des données du marché du travail viendront soutenir la demande intérieure.
Dans un tel contexte, le PIB ne devrait que légèrement progresser au second semestre 2019, principalement du fait de la robustesse de la demande des administrations publiques et des ménages. En revanche, la croissance de la production manufacturière va rester déprimée sous l’effet du fléchissement du commerce mondial, qui devrait aussi se répercuter sur le reste de l’économie. L’incertitude du climat des affaires est, en effet, peu propice à l’investissement. Dans l’hypothèse d’un Brexit avec accord, certaines incertitudes commerciales seront peut-être levées vers la fin de l’année, une évolution favorable aux exportateurs allemands. Selon les prévisions, la croissance devrait de nouveau se situer à un niveau proche du potentiel, estimé à 1,4 %.
Intégration dans les chaînes de valeur mondiales
L’important secteur manufacturier allemand est, actuellement, très affecté par le ralentissement du commerce mondial. Au cours des dernières décennies, les industriels allemands se sont parfaitement intégrés dans les chaînes de valeur mondiales. Pour rester compétitifs sur les marchés mondiaux, ils ont délocalisé les processus à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvre. Résultat, la part nationale de la valeur ajoutée dans la demande totale a reculé de 60 %, en 2005, à 51 %, en 2015. La majeure partie de la valeur ajoutée est toujours produite dans l’UE (73 % en 2015) mais la part de la Chine a sensiblement augmenté, de 1,8 %, en 2005, à 6 %, en 2015. De plus, on observe une réorientation en faveur des anciens pays communistes d’Europe centrale et orientale, la part de ces derniers dans la valeur ajoutée augmentant de 3,7 % à 5,2 %. Les statistiques sur le commerce en valeur ajoutée montrent également que 4,1 % de celle du secteur manufacturier allemand provenaient des Etats-Unis en 2015, contre 3,3 % en 2005, soulignant une fois de plus que les sanctions commerciales adoptées par les Etats-Unis peuvent aussi, indirectement, pénaliser l’industrie américaine.
Le secteur manufacturier reçoit aussi des apports de la part d’autres secteurs, comme celui des services. Sa part en termes de valeur ajoutée est restée plutôt stable, autour de 33 %. Dès lors, il n’est pas surprenant que les services aux entreprises soient également pénalisés par le ralentissement de la production manufacturière.
La délocalisation des processus à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvre a eu d’importantes répercussions sur le marché allemand du travail. Or, l’emploi n’a pas diminué. Au contraire, il a augmenté et le chômage se situe actuellement à un plus bas. Ce qui a changé, c’est la nature des postes proposés, l’économie allemande étant de plus en plus axée sur les connaissances. Entre 1995 et 2009 (dernières données disponibles) la part, en termes d’heures travaillées, des employés hautement qualifiés est passée de 21,8 % à 27,7 %. Cela a contribué au creusement des inégalités. Malgré une compensation partielle, au travers d’une redistribution des revenus par la fiscalité et le système de sécurité sociale, le risque de pauvreté au sein de la population en âge de travailler a augmenté au cours des quinze dernières années.