Une croissance solide mais qui va ralentir
Comme le laissaient présager les enquêtes, la croissance espagnole a fait preuve d’une grande résistance à la dégradation de l’environnement international et au ralentissement européen début 2019. L’activité a même légèrement accéléré en rythme trimestriel, avec un PIB en hausse de 0,7% t/t au T1, au plus haut depuis fin 2017. Sa composition s’est, en outre, révélée favorable, plus équilibrée que nous ne l’attendions. La croissance au T1 a en effet bénéficié d’un net rebond des investissements productifs (+6,8% g.a. au T1 2019), et elle est apparue moins dépendante que nous ne le craignions de la consommation des ménages (+1,4% g.a.) et des investissements résidentiels (+3,8% g.a.), qui restaient toutefois bien orientés.
Sur le front extérieur en revanche, la contraction des échanges amorcée au second semestre 2018 s’est poursuivie. Si la baisse des exportations de biens et services (-0,5% g.a.) est contenue par la bonne tenue du tourisme, le repli des importations est de plus en plus marqué (-1,2% g.a.), ce qui limite le creusement de la balance commerciale observé l’an dernier. Au final, la croissance espagnole atteignait encore +2,4% g.a. au T1, contre 1,2% en moyenne dans la zone euro. Les données d’enquêtes les plus récentes montrent qu’un tassement est très probable dès le printemps. Il pourrait se prolonger un peu au cours des prochains trimestres, l’affaiblissement de la confiance s’étendant désormais aux activités de services, et plus seulement à l’industrie manufacturière. Dans l’ensemble toutefois, la croissance de l’activité devrait sans difficultés dépasser 2% en moyenne annuelle en 2019.
Dans ce contexte, les créations d’emplois sont également restées très bien orientées jusqu’ici, en hausse de +2,5% g.a. au T1 2019, au plus haut depuis fin 2017. 2,5 millions d’emplois ont été créés en Espagne depuis le creux de fin 2013. Le taux de chômage, qui vient de s’afficher en deçà de 14% de la population active pour la première fois depuis dix ans, contre un plus haut au-delà de 26% courant 2013, va poursuivre son repli dans les trimestres à venir, un peu plus lentement toutefois. Associées à la faiblesse de l’inflation (qui soutient le pouvoir d’achat des ménages), ces créations d’emplois sont le principal moteur de résistance de la demande intérieure.
Quelle majorité pour gouverner ?
Pedro Sanchez est, sans surprise, arrivé en tête des élections législatives anticipées du 28 avril dernier, avec 28,7% des suffrages exprimés. Le parti socialiste espagnol (PSOE) occupera donc 123 des 350 sièges du Congrès des députés, soit près de deux fois plus que son opposant principal le Parti populaire (66 députés), en fort recul. Celui-ci a vu ses soutiens s’affaiblir au bénéfice du parti de centre-droit Ciudadanos sur son aile modérée (57 sièges), et du parti d’extrême-droite Vox (24 sièges) sur son aile radicale.
Mais ce succès du PSOE n’en est pas forcément un pour la stabilité politique espagnole. Recomposée, cette nouvelle Chambre des députés n’en apparaît pas moins fragmentée que la précédente, avec un parti leader qui ne bénéficie que de 35% des sièges parlementaires[1], contre 39% pour Mariano Rajoy et le Parti populaire dans la foulée des élections de 2016. Dans ce contexte, Pedro Sanchez a patiemment attendu la tenue des élections européennes et, surtout, municipales et locales pour entamer les négociations nécessaires à la formation d’un nouvel exécutif. Celles-ci ont notamment montré que les instances dirigeantes du parti Ciudadanos, avec lequel une coalition majoritaire serait numériquement possible, était bien décidées à s’installer dans un rôle d’opposant au côté du Parti populaire et prêtes, dans certains cas, à soutenir des exécutifs locaux bénéficiant également du soutien Vox.
À gauche, aucune coalition majoritaire n’est possible sans le soutien du groupe de la gauche républicaine, qui abrite les élus indépendantistes catalans d’ERC. Dans ce contexte, Pedro Sanchez préférerait apparemment former un gouvernement minoritaire sur le seul parti socialiste, capable de s’appuyer sur des soutiens variés en fonction des sujets. Ce projet se heurte toutefois à la volonté de Podémos d’intégrer le gouvernement au sein d’une coalition formalisée avec le parti socialiste. A ce stade, la question n’est pas tranchée et les deux formations discutent d’un gouvernement « de coopération ». Un premier vote d’investiture est programmé le 23 juillet, mais il n’est pas exclu que les négociations s’étendent au-delà de la pause estivale[2]. Malgré sa victoire électorale, le futur gouvernement de Pedro Sanchez, s’il parvient à le former, devra probablement s’appuyer sur une coalition aussi fragile que celle qui a soutenue, un temps, l’exécutif précédent.
Un déficit en baisse, malgré l’absence de budget pour 2019
Rappelons que c’est justement sur le constat qu’il n’était pas en mesure de faire adopter un budget pour 2019 par la précédente assemblée que Pedro Sanchez a convoqué les élections anticipées qui viennent de s’achever. Dans l’attente, le budget pour 2018 est automatiquement reconduit en 2019, additionné d’une série de mesures adoptées par décret, notamment en décembre 2018.
Du côté des dépenses, il s’est agi de valider une augmentation générale des retraites (+1,6%) largement supérieure au minimum légal de 0,25%, ainsi qu’un renforcement des dépenses sociales (extension du congé paternité, amélioration de l’indemnisation des chômeurs âgés, coup de pouce aux petites retraites, etc.) et locales, pour un total d’environ 0,4 point de pourcentage (pp) de PIB selon le programme de stabilité transmis à Bruxelles, financé par une hausse des recettes (hausse des cotisations sociales et de certaines taxes) un peu supérieure (0,5 pp). Au total, la politique budgétaire serait donc très légèrement restrictive cette année selon les autorités, quasiment neutre selon la Commission européenne. Cette année encore, la réduction du déficit sera donc assurée par la croissance économique et le recul des intérêts versés. Estimé à 0,1 pp par rapport à 2018 (la charge d’intérêt passant de 2,5% du PIB à 2,4%), celui-ci pourrait même être un peu plus important qu’anticipé au vu des derniers développements, le taux souverain espagnol à 10 ans s’affichant en repli marqué au cours des dernières semaines, à 0,4% fin juin. Au total, l’exécutif pense être en mesure d’équilibrer le solde primaire des finances publiques espagnoles en 2019, le déficit public d’ensemble s’établissant autour de 2% du PIB, contre 2,5% en 2018. Dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles au printemps (réalisé par le gouvernement intérimaire sortant), les autorités prévoient de renforcer les mesures d’ajustement structurelles sur l’ensemble de la programmation budgétaire 2019-2022 (pour un montant cumulé de 1,5 pp de PIB en 4 ans), et d’équilibrer les finances publiques à l’horizon 2022 (graphique 4). Pour 2020, des mesures d’économies à hauteur de 0,5 pp de PIB[3] ont déjà été annoncées mais il n’est pas certain que le gouvernement minoritaire ou la coalition à venir seront en mesure de les faire adopter.