Eco Emerging

Nouvelles turbulences

12/07/2021
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La deuxième vague épidémique semble être passée, le point haut des contaminations ayant été atteint en mai. La contraction de l’activité devrait être moins forte qu’il y a un an et circonscrite au deuxième trimestre. Cependant, le coût de cette deuxième vague est estimé à plus de 2 points de pourcentage de PIB alors même que les ménages se remettent difficilement de l’impact de la première. En 2020, 75 millions d’Indiens sont passés sous le seuil de pauvreté. De plus, le rebond attendu pour l’année en cours pourrait être insuffisant pour stabiliser le ratio de la dette publique, ce qui pourrait provoquer une dégradation de la note souveraine par les agences de notation. Dans ce contexte très incertain, la roupie ne profite pas de la bonne tenue des comptes extérieurs.

Contraction de l’activité au T1 de l’année budgétaire 2021/2022

PRÉVISIONS

La deuxième vague épidémique qui a touché l’Inde à partir du mois de mars 2021 a généré une forte baisse d’activité. Tous les indicateurs (production industrielle, recettes de TVA, ventes automobiles et de tracteurs, trafic routier, taux d’emploi) font état d’un important recul de l’activité en avril qui s’est accentué en mai. L’épidémie n’a épargné aucune région mais les dix plus touchées par l’épidémie représentent à elles seules 60% du PIB indien.

Malgré son ampleur, la contraction de l’activité économique devrait être beaucoup moins importante qu’en 2020. Les confinements sont restés localisés et de nombreux États ont choisi de ne pas fermer les usines. On estime ainsi que la contraction de l’économie ne devrait pas excéder 10% au T1 de l’exercice budgétaire 2021/2022 par rapport au trimestre précédent (contre -25,9% à la même période l’année dernière).

INDICATEURS D'ACTIVITÉ

Par ailleurs, elle devrait rebondir graduellement dès le T2 de l’exercice budgétaire 2021/2022 (à moins qu’une troisième vague touche le pays alors que moins de 4% de la population avait reçu deux doses de vaccin fin juin). Depuis la mi-juin, on observe un léger rebond d’activité conjointement à la levée des contraintes sanitaires. Le taux de chômage, qui avait atteint un point haut à 13% début juin (contre plus de 23% au plus fort de la crise en avril 2020), a reculé à 9,2% fin juin. De même, les indices de confiance des ménages (notamment celui des ménages ruraux) ont commencé à se redresser légèrement. La mousson, qui devrait être favorable, selon l’India Meteorological Department, soutiendra la reprise en zones rurales.

La forte hausse des pressions inflationnistes pourrait toutefois peser sur la reprise. En mai, la hausse des prix a atteint 6,3% en glissement annuel (g.a.), reflet de la forte augmentation des prix alimentaires et de ceux de l’énergie et, dans une moindre mesure, des contraintes sur les chaînes logistiques, mais aussi de la hausse des prix de l’ensemble des biens de consommation (la hausse des prix hors énergie et alimentation a atteint 7,2% en mai en g.a., ce qui n’était pas arrivé depuis 2014). Lors du comité de politique monétaire du mois de juin, la banque centrale a maintenu son taux directeur à 4%, rappelant qu’elle continuerait à mener une politique monétaire accommodante tant que la reprise ne serait pas confirmée, et ce alors même que la hausse des prix a excédé la cible d’inflation de 4% +/- 2 points de pourcentage (pp). La Banque centrale indienne pourrait donc maintenir ses taux inchangés jusqu’à la fin de l’année.

Sur l’ensemble de l’année 2021/2022, la fourchette des prévisions de croissance du consensus des économistes a été révisée à la baisse de plus de 2 pp entre 8% et 10% actuellement contre entre 11% et 12% auparavant. La Banque mondiale prévoit, pour sa part, une croissance de 8,3% pour l’année en cours et de 7,5% pour l’année 2022/2023.

Hausse des risques sociaux

Selon le Centre for Monitoring Indian Economy (CMIE), depuis le début de l’épidémie de Covid-19 en mars 2020, 97% des ménages ont enregistré une baisse de pouvoir d’achat, du fait de la perte de leur emploi accentuée par la hausse des prix à la consommation. L’institut Pew Research Center estime ainsi qu’en 2020, 75 millions d’Indiens sont passés sous le seuil de pauvreté (défini par un revenu quotidien inférieur à USD 2), portant leur nombre à 134 millions, alors qu’il avait fallu vingt ans pour extraire de la pauvreté 248 millions de personnes selon la Banque mondiale. Dans le même temps, la population vivant avec un revenu compris entre USD 2 et USD 10 par jour a augmenté pour s’élever à 1,13 milliard fin 2020.

Le CMIE estime que la deuxième vague avait déjà entraîné, à la fin du mois de mai 2021, la perte de 25,3 millions d’emplois (dont 15 millions pour le seul mois de mai), principalement des travailleurs journaliers qui ne bénéficient d’aucune protection sociale. Néanmoins, contrairement aux travailleurs « réguliers », ceux qui travaillent dans le secteur informel retrouveront plus rapidement un emploi dès lors que les mesures de confinement seront levées.

Hausse des pressions sur les finances publiques

Les finances publiques indiennes, déjà fragiles avant la crise de la Covid-19, se sont sensiblement fragilisées au cours de l’exercice 2020/2021 avec la forte hausse des dépenses publiques. Le déficit du gouvernement a atteint 9,2% du PIB et sa dette (hors dette des États) a augmenté de plus de 9 pp à 55,4% sur les trois premiers trimestres de l’exercice 2020/2021. On estime que le déficit et la dette de l’ensemble des administrations publiques pourraient avoir atteint respectivement 14% du PIB et plus de 87% du PIB en 2020/2021.

Lors du budget 2021/2022, présenté en février 2021, le gouvernement avait pris la décision de soutenir la reprise au risque de détériorer encore davantage ses finances publiques. Il prévoyait en effet un déficit de 6,8% du PIB contre 3,8% du PIB en moyenne au cours des cinq années qui ont précédé la crise de la Covid-19. Bien qu’en baisse de plus de 2 pp par rapport à l’année 2020/2021, les dépenses prévues dans le budget (15,6% du PIB) restent bien supérieures au niveau enregistré avant la crise sanitaire. Le gouvernement prévoit ainsi un déficit primaire de 3,1% du PIB, soit un niveau très supérieur à ce qui prévalait avant la crise (0,7% du PIB au cours des cinq années précédentes).

Avec la deuxième vague épidémique, les appels pour un soutien budgétaire de plus grande envergure commencent à se faire entendre alors même que les recettes budgétaires se sont fortement réduites en avril 2021, conjointement à la mise en place de nouvelles mesures de confinement et à la contraction de l’activité économique. Or, les marges de manœuvre du gouvernement sont étroites. La note souveraine indienne a été mise en perspective négative par les agences de notation et une nouvelle dégradation du ratio de la dette rapportée au PIB pourrait faire passer la note de l’Inde en catégorie « non-investment grade ». Or, selon nos projections, si la croissance était inférieure à 9% pour l’année budgétaire en cours, le ratio de dette ne serait pas stabilisé.

Les comptes extérieurs restent solides

Les comptes extérieurs de l’Inde se sont consolidés en 2020. En dépit d’un environnement domestique et international défavorable, l’Inde est restée attractive pour les investissements étrangers.

Sur l’ensemble de l’année calendaire 2020, le solde courant a enregistré un excédent de 1,3% du PIB, ce qui n’était jamais arrivé. Cette consolidation résulte notamment de la baisse du déficit commercial de près de 2 pp. La forte contraction des importations induite par la baisse de la demande intérieure a été plus que suffisante pour compenser la diminution des exportations.

BALANCE DES PAIEMENTS

Dans le même temps, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) ont augmenté de plus de 27% pour atteindre le niveau de 2,5% du PIB (contre 1,8% du PIB en moyenne au cours des cinq dernières années). Selon l’UNCTAD, l’Inde a été le cinquième récipiendaire d’IDE en 2020. Cet afflux s’est fait principalement sous la forme de fusions et d’acquisitions, concentrées principalement dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, la santé, les infrastructures et l’énergie.

Les investissements de portefeuille, bien qu’en baisse par rapport à 2019, en raison notamment d’importantes sorties de capitaux au premier trimestre 2020, ont fortement accéléré aux troisième et quatrième trimestres 2020. Sur l’ensemble de 2020, ils affichaient ainsi un solde excédentaire de 0,6% du PIB.

Globalement, la balance des paiements (hors variations des réserves de change) a ainsi affiché un excédent de 3,9% du PIB en 2020 (contre 2% en 2019).

Sur les cinq premiers mois de l’année calendaire, le déficit commercial a augmenté sensiblement par rapport à la même époque l’année dernière mais cela reflète davantage une normalisation de la situation qu’une réelle dégradation. Par ailleurs, les investissements directs étrangers sont restés solides (sur les quatre premiers mois). En revanche, les investissements de portefeuille ont affiché un déficit au mois d’avril, de même ampleur que celui enregistré un an plus tôt (en raison, une fois encore, de la propagation de l’épidémie et de la contraction de l’activité), provoquant des tensions à la baisse sur la roupie.

Néanmoins, la position extérieure de l’Inde reste solide. Les réserves de change, qui ont atteint un point haut de USD 564 mds mi-juin 2021, soit l’équivalent de 10,6 mois d’importations, couvraient 1,8 fois les besoins de financement à court terme du pays. La dette extérieure restait contenue sous le seuil de 22% du PIB.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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